Radioscopie des ressorts de l’impopularité record d’Emmanuel Macron<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Radioscopie des ressorts de l’impopularité record d’Emmanuel Macron
©Reuters

Dans la tête des Français

La dernière livraison de l’enquête « Observatoire de la politique nationale » réalisée par BVA pour Orange, RTL et La Tribune, en pleine crise des « gilets jaunes », enregistre un résultat cruel pour Emmanuel Macron : pour la première fois dans cette série d’enquête réalisée tous les mois, sa popularité tombe en dessous de celle de François Hollande à la même période de leurs mandats, après 18 mois.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

Voir la bio »

La dernière livraison de l’enquête « Observatoire de la politique nationale » réalisée par BVA pour Orange, RTL et La Tribune, en pleine crise des « gilets jaunes », enregistre un résultat cruel pour Emmanuel Macron : pour la première fois dans cette série d’enquête réalisée tous les mois, sa popularité tombe en dessous de celle de François Hollande à la même période de leurs mandats, après 18 mois : après cinq mois de baisse consécutive, seuls 26 % des Français ont une bonne opinion du chef de l’Etat (-3 points par rapport au mois dernier), contre près des trois quarts ( 73 %) qui ont une mauvaise opinion. Rien ne dit qu’Emmanuel Macron, pour lequel tout est inhabituel, ne parviendra pas à redresser la barre. Mais passer sous le seuil symbolique des 30% d’opinions favorables semble quand même bien « plomber » lourdement l’image du jeune triomphateur du printemps 2017.

Une spirale d’incompréhensions entre le chef de l’Etat et les Français s’est installée : la promesse d’émancipation a trouvé sur son chemin la réalité d’une société française fracturée par les inégalités, tendue et crispée. Un paradoxe vertigineux se déroule sous nos yeux : les mêmes raisons qui ont catapulté la marche triomphale d’Emmanuel Macron vers l’Elysée le rattrapent aujourd’hui et semblent l’aspirer vers le bas. En vérité, les barrières infranchissables qu’il avait su enjamber sont progressivement ressorties de terre. Le tapis rouge des premiers mois et de son iconographie triomphale s’est muté en chemin des montagnes russes, chaque semaine ou presque amenant une bosse ou un creux. Depuis le 17 novembre, ce chemin a pris l’aspect d’un champ de mines, où les exaspérations peuvent exploser à tout moment.

L’enquête de BVA permet, grâce à une question ouverte sur l’image d’Emmanuel Macron, de mieux comprendre les ressorts de cette impopularité record. Le simple décompte des mots les plus utilisés par les Français qui ont une opinion négative d’Emmanuel Macron en dit long : le mot le plus utilisé, de très loin, est le mot « riches » (utilisé 172 fois au sens « il ne pense qu'aux riches », « il est le président des riches »), suivi du mot « taxe » (82 fois), du mot « écoute » (utilisé 69 fois pour signifier « n’écoute pas », « n’est pas à l’écoute »), « mépris » (67 fois), « peuple » (utilisé 60 fois pour signifier « loin du peuple »), « arrogant » (51 fois) et « méprisant » (32 fois). Le répertoire des mots positifs est plus restreint et moins fréquemment cité : pour ceux qui ont une image positive d’Emmanuel Macron les mots les plus fréquemment utilisés sont les mots « réformes » (39 fois), « cap » (39 fois), « programme » (28 fois dont 17 fois dans l’expression « son programme »), « vision » (14 fois) et l’expression « il essaie » (11 fois).

L’analyse sémantique et fréquentielle fait apparaitre d’importantes différences entre le répertoire des mots positifs et des mots négatifs utilisés à propos d’Emmanuel Macron. Les mots négatifs concernent trois dimensions : les politiques mises en œuvre (des politiques « pour les riches », qui « taxent » le peuple), l’incarnation de la fonction (« n’est pas à l’écoute ») et la personne d’Emmanuel Macron (« méprisant », parfois même « hautain », « dédaigneux », « imbu de sa personne »). Les mots positifs ne concernent qu’une seule dimension : la fidélité au programme des « réformes », le « cap » maintenu et la « vision » d’avenir. Mais les mots positifs ne concernent presque pas (ou presque plus) l’incarnation de la fonction et encore moins la personne : des mots comme « courageux », « compétent », « jeunesse » ne sont utilisés que moins de dix fois, les mots « progressiste » ou « énergie » que 3 fois et le mot « charisme » une seule fois !

En devenant largement majoritaires, les opinions négatives ont creusé l’écart avec les opinions positives non seulement quantitativement mais, plus inquiétant pour Emmanuel Macron, qualitativement. Des thèmes fondamentaux du discours présidentiel sont spectaculairement absents des réponses des Français interrogés : ainsi, l’Europe, cet « ADN » du macronisme, n’est cité que… 9 fois par ceux qui expriment une opinion positive vis-à-vis d’Emmanuel Macron et 3 fois par ceux qui ont une opinion négative. Les commémorations de 1918, qui ont mobilisé l’agenda présidentiel une semaine entière, ne sont évoquées qu’une seule fois sur plus de 1000 réponses… ! Le bombardement non-stop de la communication présidentielle, le flot continu de mots et d’images depuis plusieurs semaines, ont finalement plus brouillé le message qu’autre chose.

Décidément, quel automne calamiteux pour Emmanuel Macron ! Jupiter, c’est bel et bien fini… ! Le carrosse présidentiel a crevé une roue ou deux, la bande d’arrêt d’urgence s’impose, le triangle de signalisation est sorti. Mais au fait, n’a-t-on pas oublié la roue de secours (et le gilet jaune) avant de partir… ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !