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Le mouvement des Gilets jaunes pose les piliers d’un nouveau 1789 sur base de révolte fiscale
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Heures sombres

Un ras-le-bol fiscal en rappelle un autre.

William Thay

William Thay

William Thay est président du Millénaire, think tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Une nouvelle fois, la France s’anime d’un mouvement social d’une grande ampleur qui se poursuit de façon plus radicale avec la dernière manifestation de samedi dernier, conséquence d’un nouveau mécontentement fiscal général, quelques années après les « pigeons » et autres « bonnets rouges » qui ne manquèrent pas d’agiter le précédent quinquennat. Toutefois, par le profil sociologique de ces gilets jaunes (classes populaires et bourgeoises particulièrement touchées par la hausse des dépenses contraintes), et la transversalité de leurs préférences politiques (de l’extrême gauche à l’extrême droite, et y compris 54% de sympathisants chez LREM), ce mouvement est d’une ampleur toute autre et pourrait atteindre la masse critique pour un renversement du Gouvernement. Il s’agit donc d’une révolte populaire, adossée à des revendications majoritaires, qui pourrait laisser présager d’un nouveau 1789. 

La question fiscale a toujours été un puissant moteur de mobilisation en France. La Révolution Française de 1789 ne s’est produite qu’à la suite de la convocation des États généraux par Louis XVI pour lever un nouvel impôt afin de financer le déficit du Royaume de France et le train de vie de détenteurs de privilèges (les « nobles »). La contestation portait non seulement sur le poids de la fiscalité de l’Ancien Régime mais aussi et surtout sur le fait que ce poids pesait intégralement sur les non-nobles. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle que nous vivons actuellement.

Alors que depuis la crise financière de 2008, suivie de la crise des dettes souveraines, les Français ploient déjà sous le poids d’impôts qui n’ont fait qu’augmenter, l’augmentation supplémentaire des dépenses contraintes que représente la taxe carbone a cristallisé le mouvement des gilets jaunes. D’autant plus que ce sont les ménages déjà les plus contraints, c’est-à-dire les plus pauvres et les habitants des territoires « périphériques », qui sont les plus frappés.  Ainsi, alors que le Gouvernement actuel leur demande encre davantage d’efforts, les manifestants ne comprennent pas pourquoi ce sont toujours à eux de payer davantage alors que les plus riches, eux, voient leur fiscalité se réduire drastiquement avec la flat tax sur le capital, la conversion de l’ISF en IFI, ou encore la fin de l’exit tax.

Ainsi, le poids des dépenses contraintes (logement, énergie, etc.) dans le budget des foyers a bondi d’environ 10% dans les années 60 à 30% en 2017. Selon l’INSEE, les dépenses contraintes atteignent même 71% du budget pour une personne seule dans les 25% les plus pauvres, contre seulement 25% pour les ménages dans les 25% les plus aisés. « En même temps », selon l’OFCE, les 5% des Français les plus aisés captaient 42% des gains des choix fiscaux d’Emmanuel Macron. 


Dans une récente interview, Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a souligné que la réduction des inégalités serait un enjeu majeur de ce siècle et que, face à cet enjeu et d’autres, les élites sont déconnectées. Ainsi en 2016, les 10% les plus riches possédaient 37% du revenu en Europe selon un rapport de la World Heath and Income Database. Les chiffres sont encore plus alarmant en terme de projection notamment sur la détention du patrimoine. Au niveau mondial, les 40% du milieu (entre 30% et 70%) vont posséder le même patrimoine que les 0,1% les plus fortunés, si la tendance se confirme à l’horizon 2050, soit environ 25% du patrimoine chacun. Le patrimoine est une donnée plus sensible que celle du revenu in fine, puisque sans politique fiscale adaptée, les privilèges se transmettent de générations en générations exactement comme sous l’Ancien régime. 

Pour établir une nouvelle politique plus juste et efficace et mettre un terme aux privilèges dont bénéficient les élites des grandes métropoles françaises aux dépens des Français de la France « périphérique », un changement de paradigme est nécessaire en France et en Europe, avec un changement de politique monétaire et budgétaire. La Banque centrale européenne doit adopter de nouveaux statuts comprenant la mission d’assurer le plein emploi ainqi qu’une croissance juste et durable ; et les règles budgétaires doivent être amendées pour permettre un choc de la demande et de l’investissement aux pays en ayant besoin. Avec ces différentes marges de manœuvres débloquées et des choix structurels plus favorables, les États-membres pourront résorber les imbalances internes entre privilégiés  tout en ayant en tête les impératifs de la compétition économique mondiale.

En France, il faudra rétablir l’égalité des chances en réformant notre système éducatif dont le caractère inégalitaire est constaté dans tous les rapports PISA. L’école française est trop reproductive des inégalités sociales de départ pour que l’ascenseur social fonctionne. Ensuite, il est urgent de mieux redistribuer l’argent public à plusieurs échelons. D’une part entre les plus riches et les plus pauvres par une refonte globale de notre fiscalité, en rendant l’impôt plus progressif (et ubiquitaire) avec la fusion de l’IR et de la CSG, ainsi qu’en refondant les minimas sociaux en une allocation unique délivrée automatiquement à tous les ayants-droits (pour éviter tant les nombreux non-recours, 36% selon la CNAF, que les abus), ce qui suppose une simplification de l’administration. D’autre part, face au phénomène décrit par Christophe Guilluy de la fracture territoriale de plus en plus importante entre métropoles et territoires « périphériques », une refonte de notre système de péréquation paraît s’imposer afin de mieux prendre en compte les disparités territoriales et une mutation de notre politique « de la ville » en une politique « des territoires » qui s’attache aussi au développement des territoires ruraux et périurbains. 

Ce sont autant de préconisations que le Gouvernement n’adoptera pas puisqu’elles sont à l’opposé idéologiquement de leurs choix politiques. Et pourtant, ce sont les seules qui seraient à même de répondre de manière durable aux attentes de la France des « gilets jaunes ». Si le Président de la République est à contre-courant des politiques publiques à mener en matière fiscale et sur la répartition de l’effort, cela ne suffira probablement pas à provoquer une révolution, d’autant qu’il n’y a pas à la tête des « gilets jaunes » de groupe organisé qui serait prêt à assumer le pouvoir. Cependant, l’entêtement d’Emmanuel Macron pose les bases d’une consommation de la rupture du peuple d’avec les « élites » sur les questions économiques et sociales, rupture qui peut déboucher sur une révolte politique. La France n’est donc pas à l’abri d’une révolte politique similaire à celles qui frappent les démocraties occidentales depuis plusieurs années avec le Brexit et les victoires électorales des Viktor Orban, Matteo Salvini et Luigi Di Maio, et Donald Trump. Il s’agissait en effet à chaque fois d’un sentiment d’impuissance des citoyens qui n’avaient alors que ces choix pour lutter contre le manque de moyens et les contraintes imposées à eux-mêmes et à leur pays. A la différence avec 1789, il n’y aurait donc pas de changement de régime constitutionnel, et pas de soulèvement armé, mais il s’agirait bien d’une révolution politique et culturelle de même ampleur.

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