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Autopsie de l’héritage du “meilleur d’entre nous” : mais de quoi parlent vraiment ceux qui reprochent à Édouard Philippe son juppéisme ?
©GEORGES GOBET / AFP

« Ce pays crève de ne pas avoir été réformé »

La tradition juppéiste de la bonne gouvernance entretient le mythe français de l'incapacité à réformer le pays.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Derrière le constat d'un besoin de réformes du pays, ne peut-on pas voir le problème de ce juppéisme comme une difficulté à penser au delà du fait que les problèmes de la France découleraient uniquement de problèmes de gouvernance ? 

Edouard Husson : Il y a un vieux mythe politique français, celui de l’incapacité des Français à se réformer. C’est objectivement faux. Prenez l’enseignement supérieur: durant les vingt dernières années, de Claude Allègre à Frédérique Vidal en passant par Valérie Pécresse, nous avons la chance d’avoir une successions de ministres réformateurs. D’excellentes choses ont été faites, de la création de cadres plus adaptés aux performances internationales des chercheurs français à l’autonomie des universités; du rapprochement entre grandes écoles et universités à la mise en place d’une sélection à l’entrée en licence (même si on n’ose pas dire que Parcoursup c’est cela) qui va permettre, enfin, aux universités de ne plus être des établissements de deuxième catégorie face aux grandes écoles. Donc réformer en France est possible. A condition que le Ministre soit soutenu par le Premier ministre et le Président; et qu’il y ait une forte ambition nationale, comme cela a été le cas, en particulier, durant la présidence de Nicolas Sarkozy, le président qui a le plus fait évoluer notre enseignement supérieur. La force de la transformation de l’enseignement supérieur, depuis vingt ans, vient du pragmatisme des réformes. Le problème, dans beaucoup d’autres domaines, c’est que tous ceux qui se croient réformateurs sont en fait prisonniers du monde ancien. Nous sommes, depuis les années 1970, dans un monde de l’innovation financière et monétaire; le minimum à mettre en place aurait été une gestion pragmatique de la monnaie à l’anglaise, un monétarisme rigoureux mais dans un système de change flottants; et, plus la révolution numérique avance, plus il est possible de mettre en place une gestion décentralisée, au plus proche du terrain, du crédit. Eh bien! Depuis Raymond Barre, nos gouvernants et nos grands argentiers, nostalgiques de l’étalon-or, s’accrochent à la politique de changes fixes autour du deutsche mark comme à un fétiche de remplacement. Ce que Juppé & Cie appellent réforme, c’est la politique d’un moderne Sisyphe, qui escalade avec son rocher la pente des dépenses publiques avant de voir le rocher dévaler à nouveau la colline: pour que la politique monétaire « à l’allemande », menée selon un change fixe inadapté à nos besoins économiques, soit un minimum supportable, on injecte régulièrement de la dépense publique, des emplois d’Etat. Il s’agit d’éviter l’explosion sociale. C’est une politique du double bind où l’on organise la dépense publique tout en la critiquant et en étant pris de poussées récurrentes et compulsives d’austérité. Le mouvement des Gilets Jaunes sonne sans doute les trois coups du dernier acte. Ce système n’est plus tenable. 

N'y a-t-il pas ici une forme d'aveuglement à vouloir penser que la seule application des propositions faites par la Cour des comptes permettrait de remettre le pays en ordre de marche ? 

D’abord, il faut s’étonner qu’on ait accepté aussi largement la dérive de l’activité de la Cour des Comptes, introduite par Philippe Séguin, consistant à demander à cette institution de juger des questions en opportunité, au-delà de la vérification des comptes publics. Philippe Séguin était sincèrement gaulliste; et pourtant vous ne pouvez pas imaginer de décision plus contraire à l’esprit des institutions dessinées par le Général de Gaulle, pour qui chacun devait rester à sa place, toute sa place mais rien que sa place. Au fond, Seguin a fait comme s’il prenait acte du fait que nos présidents ne présidaient plus, nos gouvernements ne gouvernaient plus, nos assemblées parlementaires ne votaient plus souverainement la loi. Il a décidé que la Cour des Comptes aussi allait se mettre à faire autre chose que ce pour quoi elle est faite. Je ne mets pas en cause l’intérêt ni le sérieux des rapports de la Cour des Comptes. Je conteste que cette instance puisse prendre parti, juger des politiques publiques.  C’est très pratique pour le gouvernement, qui peut se passer de l’avis du Parlement et se conformer aux avis bruxellois en ayant l’air de respecter des recommandations émises en France. On ne pourra pas réformer, c’est-à-dire gouverner, en France, tant que le gouvernement n’aura pas repris le contrôle des coopérations européennes; tant que nous n’aurons pas rétabli la supériorité de la loi émise par le Parlement souverain sur les textes européens, aussi intelligents soient-ils. Là où nos présidents et premiers ministres successifs se trompent complètement quand ils accusent les Français d’être des « Gaulois réfractaires », d’incorrigibles dépensiers etc...., c’est qu’un pays accepte toutes les réformes pourvu qu’il puisse décider librement de leur mise en oeuvre. La réussite de la réforme de l’enseignement supérieur, pour revenir à elle, est exemplaire dans la mesure où elle a été entièrement décidée et appliquée dans le cadre de débats nationaux, sans aucune autre pression extérieure que la saine compétition pour attirer les meilleurs étudiants et les meilleurs chercheurs du monde entier. Si elle avait consisté à suivre des directives venues de Bruxelles ou d’ailleurs, elle aurait été largement manquée et rejetée. 

En quoi l'application d'un tel agenda de réformes, issu des rapports de la Cour des comptes, pourrait-il être en ce sens insuffisant ? 

On pourrait réutiliser la célèbre formule gaullienne en la transformant: « La politique de la France ne se fait pas à la Cour des Comptes ». Pas plus qu’elle ne se fait, comme l’avait dit de Gaulle, « à la Corbeille » (la Bourse de Paris); ni ne devrait se décider à Bruxelles ou à Francfort. Il n’y a pas d’agenda de réformes de la Cour des Comptes, cela n’a aucun sens! Non seulement la Cour des Comptes ne peut pas se substituer à la représentation nationale ni au gouvernement; mais on ne construit pas une politique sur la seule réduction des dépenses publiques. Une politique se construit à partir d’un système d’instruments: la loi, les services de l’Etat, la politique monétaire, la fiscalité, les politiques d’investissements etc.... Une politique se construit aussi en tenant compte de l’environnement international. De Gaulle l’a dit dans un discours peu cité de 1960, la souveraineté est un stade supérieur de l’existence politique, au-dessus de la simple indépendance nationale: la souveraineté c’est une indépendance assumée et placée dans le réseau des relations internationales, des interactions entre les Etats. C’est un exercice responsable de l’indépendance dans le respect de l’indépendance des autres. Seul un pays souverain, c’est-à-dire à la fois indépendant et responsable de ses actes devant la communauté des nations, est capable de se réformer. Tout le reste est auto-justification de responsables politiques qui ne savent pas comment rétablir le lien avec leur peuple. 

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