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Directive droits d’auteur : aller simple des droits voisins vers l’usine à gaz
©FREDERICK FLORIN / AFP

Presse

Avec la directive sur droits d’auteur, les eurodéputés et les lobbys de la presse semblent s’être lancés dans une surenchère réglementaire qui, si elle n’était pas mortifère, en serait comique.

Pierre  Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata, Fondateur de Rinzen, cabinet de conseil en économie, il enseigne également à l'ESC Troyes et intervient régulièrement dans la presse économique.

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A l’origine, l’objectif était de contraindre les plateformes et sites internet relayant l’information produite par les éditeurs de presse à négocier avec ces-derniers afin de rémunérer l’utilisation de leur contenu. Si, en apparence, l’idée est parfaitement défendable, son application relève d’importants effets pervers. 

Tout d’abord, la directive précise que les plateformes et sites auront l’obligation de vérifier les droits d’auteur de tout ce qui sera diffusé et partagé sur leurs utilisateurs, ce qui les rendre de facto responsable de toute violation des droits d’auteur des éditeurs de presse. Voilà comment la directive propose de forcer la main aux plateformes. Etant responsables de tout ce qui circule sur leurs sites, les plateformes auront intérêt à négocier une rente, à l’avance, avec les éditeurs de presse pour éviter toute poursuite. Un tel arrangement n’est pas une victoire pour les éditeurs mais la promesse d’être définitivement lié aux plateformes et aux sites de partage de contenu. En effet, leur rémunération dépendant du nombre de partages sur les plateformes, les éditeurs auront tout intérêt à publier directement dessus et à multiplier les titres accrocheurs pour attirer les clics ! Bref, les éditeurs seront devenus  les pigistes des plateformes.

Mais l’erreur réglementaire va plus loin. A présent, non contents de consacrer la dépendance des éditeurs de presse aux plateformes, il semblerait que nos eurodéputés, sous les conseils mal avisés du lobby de la presse, soient favorables à l’extension de ce droit voisin aux agences de presse. Normal me direz-vous ! Editeurs de presse, agences de presse, quelle différence ! Eh bien, la différence est de taille. Dans le cas français, les éditeurs de presse signent des accords commerciaux avec l’Agence France Presse, qui leur permettent d’utiliser les informations qu’elle diffuse. Dès lors, lorsque l’utilisateur d’une plateforme diffuse une information AFP reprise sur le site d’un éditeur de presse, c’est l’AFP qui doit être rémunérée par la plateforme et non l’éditeur de presse. De même, si un moteur de recherche indexe des dépêches AFP reproduites par les éditeurs de presse, ces derniers ne seront pas payés puisqu’en dernier ressort, c’est l’AFP qui a produit le contenu. Ce que les éditeurs de presse devaient gagner d’un côté, ils le perdront de l’autre, et cela, même s’ils paient déjà un abonnement à l’AFP. Or, devant une telle injustice, il y a fort à parier que les éditeurs de presse devront négocier avec l’AFP, comme les plateformes le feront avec les éditeurs de presse. 

Mais pourquoi la logique s’arrêterait-elle là ? Pour chaque information partagé par un utilisateur sur une plateforme, il faudra alors retracer l’itinéraire du contenu en question jusqu’à son origine. Inévitablement se pose alors la question de la rémunération des différents intermédiaires. Si l’utilisateur d’une plateforme y partage un article d’un quotidien citant une information exclusive dévoilée par un second quotidien et celle-ci faisant écho à des révélations de l’AFP, qui devra être payé par la plateforme ? Faudra-t-il définir un arrangement pour chaque cas particulier ? Quelle que soit la réponse, il faudra des algorithmes capables de retracer l’origine de l’information, de distinguer entre une information AFP « brute » et une information « raffinée » par un éditeur de presse. Autant dire que tous les médias partageant des informations AFP vont voir leurs coûts d’investissement informatique augmenter dramatiquement au risque de se trouver hors la loi. Voilà comment, en élargissant le droit voisin à l’AFP, la directive va créer une véritable usine à gaz dont les éditeurs de presse sortiront forcément perdants.

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