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Les mille et unes angoisses de Mario Draghi
©ARIS OIKONOMOU / AFP

BCE

Encore un an Président de la Banque centrale européenne ! Quel métier, bien payé certes, mais sans répit, et avec de plus en plus d’angoisses !

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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D’abord, c’est l’angoisse d’un travail infaisable. Le fameux mandat de la BCE : « l’inflation à moyen terme proche de, et inférieure à, 2% » n’est pas réellement rempli. L’inflation est certes là, et monte, mais à 2,2%, donc trop. En revanche, la croissance faiblit à 1,7%, soit le taux le plus faible depuis deux ans. Mario Draghi va donc devoir répéter que les salaires augmentent dans des contrats revus en hausse, donc porteurs d’une inflation plus soutenue à terme. Il dira aussi qu’il attend 2% mieux répartis dans la zone, de manière plus persistante, avant de remonter ses taux, toujours à 0%. En fait il ne fera rien, même si les Allemands s’énervent et si les banques souffrent. Il devra aussi expliquer pourquoi il juge que les salaires s’inscrivent en hausse en zone euro, avec un taux de chômage à 8,1%, alors qu’ils sont stables aux États-Unis, avec un taux de chômage à 3,7%.

Ensuite, c’est l’histoire de son travail saboté par ses compatriotes italiens. Ils se lancent en effet dans une politique qui affaiblit encore, à 0,8% sur un an au 3ème trimestre contre 1,2% au 2ème, la croissance de leur économie surendettée, au risque de la faire replonger. Avec un programme qui augmente la dépense publique par le revenu universel, pour plaire au sud (Cinque Stelle), et par la baisse des impôts, pour plaire au nord (La Lega), les efforts d’économies publiques seront anéantis. La dette publique atteint 132% du PIB et les taux 3,5%. L’autorité indépendante italienne, en charge de valider le budget de l’actuel gouvernement, ses hypothèses et sa trajectoire, s’y est refusé (avant même que Bruxelles ne le réfute). La banque d’Italie prévient qu’une hausse prolongée des coûts des emprunts affectera les ménages et les entreprises. Le Gouverneur de la Banque d’Italie déclare ainsi que, s’ils ne diminuent pas, ils coûteront cinq milliards. C’est alors, le 25 octobre, que Mario Draghi se dit, dans sa conférence de presse, « confiant » dans le fait qu’une solution pourra être trouvée et annonce que la BCE peut y contribuer (sous conditions), ce qui fait baisser les taux de 3,7 à 3,5%. Mais ceci ne suffira pas, si les dirigeants italiens ne revoient pas leur copie, d’où l’angoisse italienne de Draghi.
Viennent alors les élections en Allemagne et l’annonce du double départ d’Angela Merkel : de la présidence du parti (CDU) et de la Chancellerie en 2021, à la fin de ce qui sera son dernier mandat. Les marchés financiers analysent les candidats à la présidence de la CDU et ne croient pas qu’Angela Merkel « tiendra » jusqu’en 2021. C’est alors que la croissance allemande fléchit, plombée par le commerce extérieur. Mario Draghi s’inquiète de critiques allemandes qui lui répèteront davantage que ses taux, trop longtemps trop bas, ont poussé plus les entreprises à s’endetter qu’à chercher des gains de productivité, plus ont alimenté la hausse des prix de l’immobilier. La BUBA et son président, Jens Weidmann, qui rêve de lui succéder, va-t-il détruire sa stratégie lente depuis des mois, en disant qu’il faut « aller plus vite contre l’inflation » ? Ces quelques mots suffiraient à chambouler sa démarche de « taux bas pour longtemps », d’où l’angoisse allemande de Draghi.
L’affaiblissement de la popularité d’Emmanuel Macron, le plus européen de la bande, couplée à la faiblesse d’Angela Merkel et à la montée de l’imbroglio du Brexit ajoutent leur lot : la zone va-t-elle résister à ces tensions populistes et au départ du Royaume-Uni qui pourrait gravement affaiblir le marché unique (risques de fraudes douanières et de moindres respect des normes ?). Angoisse sur l’euro donc.
Et le pire vient peut-être des États-Unis ! Les États-Unis, avec le dollar, sont en forte reprise (3,5% de croissance annualisée au troisième trimestre), avec 2,3% d’inflation (un peu trop) et 3,7% de taux de chômage (trop peu). En face, la zone euro a 0,8% de croissance annualisée au troisième trimestre, le niveau le plus faible depuis quatre ans, fait grise mine. L’économie américaine flirte avec la surchauffe, poussée par la politique budgétaire expansionniste et les dérégulations de Donald Trump. Donc Jerome Powell doit monter ses taux courts, donc les taux longs monteront, donc le dollar. Il lui faut attirer en fait des capitaux depuis la zone euro pour boucler les comptes. Les japonais sont moins allants qu’avant, les Russes ont vendu tous leurs titres, les Chinois réduisent les leurs. 
Angoisse sur l’épargne allemande donc. Avec des États-Unis rugissants (à tous les sens du terme), et une zone euro qui faiblit et qui, surtout, s’interroge avec l’Italie et l’Allemagne, les capitaux risquent à nouveau de quitter la zone euro, comme ils l’avaient fait à partir de 2015, à l’annonce des achats de bons du trésor par la BCE. A partir de mi-2014 en effet, ils avaient migré de la zone euro vers les États-Unis : à leur plus haut, les sorties (sur douze mois cumulés) ont atteint 5% du PIB de la zone. Désormais, l’idée que la hausse des taux va continuer aux Etats-Unis et qu’elle commencera dans plus d’un an en zone euro, va réalimenter les flux de capitaux. Pire, la stratégie de Mario Draghi mettant en avant sa crédibilité et sa prévisibilité à long terme, par rapport aux saccades et foucades de Donald Trump est ébranlée par ce qui se passe chez lui ! Car les marchés voient bien que la zone euro est secouée, que les taux américains rémunèrent l’épargne à 3,1 et que l’épargne allemande rapporte 0,4%. Et le dollar monte par rapport à l’euro, puisque l’épargne allemande va financer le déficit américain, à hauteur de 30%. Une épargne allemande qui finance Trump à cause de la politique même de Draghi : la pire angoisse de Draghi !

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