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Retour vers les années 30 ? Emmanuel Macron prend l’histoire à contresens
©BERTRAND GUAY / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraëli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Hughenden, 
Le 1er novembre 2018, 
Mon cher ami, 

Un accord minimal est en vue sur le Brexit

J’étais tombé cet après-midi dans une sorte de torpeur tranquille. Il semble bien que l’on aille vers un accord sur le Brexit, courant novembre, entre Londres et Bruxelles. Et mon ami David (Davis) est quasi-certain que Theresa obtiendra une majorité au Parlement. Tout ceci n’est pas très glorieux mais nous avons besoin d’un accord. Les Brexiteers n’arriveront pas à s’entendre, entre conservateurs et travaillistes; les uns veulent plus de libre-échange et moins d’intervention de l’Etat dans l’économie; les autres de protection commerciale et le retour à une politique industrielle. Il faut donc saisir le moment où Theresa est la seule à tenir tous les fils en main. 
Vu la faiblesse dans laquelle va tomber l’Union Européenne, maintenant que l’Allemagne va découvrir le régime des coalitions partisanes changeantes, diverses, sans personnalité puissante à leur tête, nous aurons tout loisir de faire évoluer les choses. C’est de la très mauvaise méthode de négociation - ne pas demander tout de suite tout ce qu’on veut obtenir - et je l’ai dit plusieurs fois à Theresa mais la Dame de Roseau va sans doute remporter un succès à cause de l’obstination un peu stupide de ses adversaires. Son mélange de prudence escessive et de bonne foi aura fini par payer. On nous dit que Michel Barnier serait sous forte pression de certains gouvernements européens en ce qui concerne la frontière entre l’Irlande du Nord et l’Irlande. Il y aura, enfin, des concessions, du côté de l’UE. Celle-là et d’autres encore. Eux aussi ont besoin de l’accord. 
Voilà pourquoi je pensais m’enfoncer, cet après-midi, l’esprit tranquille dans la lecture du livre de Lars Brownworth sur l’Empire byrantin: Lost to the West, lorsque j’ai fait ce qu’on ne doit jamais faire dans ces cas-là: regarder une « alerte info » sur mon smartphone. Il y était question de l’entretien accordé par votre président à Ouest-France, où il compare l’époque actuelle aux années 1930. Autant de mauvaise foi et de pseudo-science conjuguées! Cela m’a sorti de mon engourdissement! Adieu après-midi de lecture. Mon livre m’est tombé des mains, non parce qu’il est mauvais mais parce que j’ai décidé de monter à cheval pour aller prendre la pluie et le vent et oublier cette nouvelle provocation venue d’outre-Manche. En fait, les élucubrations d’Emmanuel Macron ne devraient même pas attirer notre attention plus de quelques secondes tant elles sont absurdes. Il n’empêche, j’y reviens ce soir, en vous écrivant. Il ne s’agit pas de l’éditorialiste lambda d’un magazine libéral à court d’idées nouvelles. Il s’agit du président français. 

Une très curieuse interprétation du traité de Versailles 

Manu mérite vraiment qu’on le remette à sa place. Non seulement il a une vision extrêmement approximative de l’histoire - Monsieur Blanquer devrait lui mettre une note bien en-dessous de la moyenne à la composition d’histoire du baccalauréat, s’il ne l’avait pas supprimée - mais, si l’on veut respecter les faits, on constate qu’ il exonère son pays de toute responsabilité dans le fiasco du traité de Versailles. M. Macron nous rappelle que les auteurs du traité n’ont pas fait preuve d’un grand tact avec l’Allemagne; mais de quel pays s’agissait-il? De la France, représentée en l’occurrence par Georges Clemenceau!  Faut-il rappeler à Emmanuel Macron que le président américain Wilson et le Premier ministre britannique Lloyd George étaient partisans d’une paix modérée avec l’Allemagne vaincue, où l’Empire avait cédé la place à un régime républicain?  C’est Clemenceau, par son intransigeance, qui a d’abord empêché une paix généreuse, pourtant réclamée par le vrai rapport de force militaire à la fin de la guerre; et parce que les quatre pays vainqueurs (n’oublions pas l’Italie) n’arrivaient pas à s’entendre l’Allemagne n’a pas été invitée à la négociation et s’est trouvée mise devant le fait accompli. C’est l’origine du ressentiment envers le diktat, la paix imposée sans négociation qui empoisonna la République de Weimar naissante et rendit impossible sa stabilisation. 
C’est un comportement que M. Macron connaît bien: il fait partie de ceux qui ont imposé à Theresa l’humiliante séance de Salzbourg, récemment, où elle a eu droit à venir parler devant le Conseil européen mais non à participer au débat sur le Brexit. Et si cela ne tenait qu’au président français, les gouvernements polonais, hongrois, italien auraient été depuis longtemps durement sanctionnés pour non adhésion aux principes et aux règles d’action du progressisme européen! 
Le président français, un siècle après l’énorme fiasco provoqué par l’intransigeance de Clemenceau, montre à son insu, alors même qu’il se fait donneur de leçons historiques, qu’on apprend rarement de l’histoire. Mon pays, tous les pays, sont passés par des phases de grandeur et des phases moins admirables. On peut comprendre, a posteriori, qu’une France qui avait subi l’essentiel de la Grande Guerre sur son territoire, ait eu du mal à proposer une paix de compromis aux Allemands. Il est tellement facile de jeter la pierre à nos arrière-grands-parents. Nous comprenons tout tellement mieux qu’eux! Et nous n’imaginons pas que nos arrière-petits-enfants puissent, un jour critiquer notre étroitesse de vues sur des sujets qui nous paraissent évidents. Mais ce n’est pas une raison pour prendre l’histoire à contre-sens comme le fait le président français. En l’occurrence, Emmanuel Macron réagit de manière inattendue, puisqu’il amalgame les Français qui ont maltraité l’Allemagne par le traité de Versailles et les populistes d’aujourd’hui. Ce faisant, il ne se rend absolument pas compte qu’il reproduit, à un siècle d’écart, le comportement des dirigeants français qui traitèrent en pestiférés les Allemands, qui détruisirent l’Autriche-Hongrie par haine du catholicisme puis interdirent aux Autrichiens de de réunifier à l’Allemagne etc.... Emmanuel Macron va même plus loin puisqu’il traite explicitement tous ceux qu’il considère  comme des nationalistes de « lépreux ». Italiens, Hongrois, Polonais, Autrichiens peut-être......Cela fait beaucoup de pays d’un coup à se mettre à dos. 

Absurde amalgame avec l’entre-deux-guerres

Votre président ne sait pas du tout de quoi il parle. On n’invoque pas impunément une histoire aussi tragique que celle de l’entre-deux-guerres. La Grande Guerre avait fait treize millions de morts, en tout. L’Allemagne avait traversé une famine, en 1917-1918 puis fut ravagée par l’hyperinflation. La Russie, en voie de soviétisation, était le terrain d’une atroce guerre civile. Des nations nouvelles émergeaient, qui tendaient à vouloir rectifier par la force les frontières issues des traités qui ne les satisfaisaient pas. Le fascisme émergeait, avec Mussolini, comme idée de mobiliser la nation en vue d’une nouvelle guerre d’expansion. 
Voulez-vous m’expliquer où se trouvent les vrais points de comparaison avec aujourd’hui? L’Allemagne est devenue une grande démocratie apaisée. La Russie s’est non seulement débarrassée du communisme il y a trente ans mais, en une génération, elle a reconstitué sa puissance, au service de l’équilibre du monde. Ferez-vous l’injure à Salvini de le comparer à Mussolini? Cela voudrait dire, tout simplement, que vous n’avez rien compris à ce qui constitue l’essence du fascisme et du national-socialisme: le militarisme, la volonté de mener une nouvelle guerre totale pour, cette fois la gagner. Où sont les armées qui s’apprêteraient à en découdre en Europe? Orban ou Salvini ont-ils menacé leurs voisins? Que veulent tous les « lépreux » dénoncés par Emmanuel Macron? Tout simplement modérer les effets d’un libéralisme qui, après 1990, n’ayant plus aucun ennemi à combattre, a prétendu régenter l’ensemble de la vie des nations. Il faudrait dire à Emmanuel Macron que nous vivons en 2018 et non en 1918. Le fascisme - régime de gauche, au demeurant, tout comme le nazisme - a été vaincu. Le communisme a été contenu puis contraint à l’effondrement. Après une génération de domination sans partage du libre-échange et de l’économie financiarisée, les peuples, éprouvés, cherchent des contrepoids. Ils veulent modérer les mécanismes existant de coopération internationale. Ils veulent reprendre en main leur destin. Qu’y a-t-il de fasciste dans le fait de rechercher un nouvel équilibre des forces qui modèlent l’économie occidentale? Qu’y a t-il de totalitaire à penser qu’une démocratie puisse supporter une bonne dose de conservatisme politique en son sein? Qu’y a-t-il de nationaliste à vouloir contrôler ses frontières et limiter le nombre des étrangers que l’on pense être capable d’accueillir? 

Le visage de la République a-démocratique

Si le président français est en mal d’analogies historiques, eh bien, faisons les comparaisons appropriées! L’Europe traverse actuellement l’une des crises qui jalonnent son histoire, où s’affrontent les forces de la tyrannie et celles de la liberté. Et, contrairement à la mythologie un peu niaise des progressistes, il n’est pas possible d’assimiler automatiquement la gauche à la liberté. On trouverait même sans doute plus d’exemples dans l’histoire de l’Europe où la liberté a été défendue par les conservateurs et la droite. C’est normal: la droite rassemble les « réalistes » au sens de la philosophie médiévale; la gauche est la coalition des nominalistes; il y a souvent moins d’idéologie à droite. Tel est bien le cas aujourd’hui! M. Macron et ses alliés sont sous l’empire d’une fascination dystopique, celle d’une Europe qui n’a plus grand chose à voir avec la vision pragmatique et réaliste des pères fondateurs. Aujourd’hui, le réalisme est du côté de la Hongrie ou de l’Italie, de l’Autriche ou de la Grande-Bretagne. Le progressisme continue à faire l’éloge d’une immigration sans plafond, au mépris non seulement de ce que peuvent réaliser les sociétés en matière d’intégration mais aussi des immigrés eux-mêmes, à qui il n’est plus possible de prodiguer les conditions d’un accueil décent. 
Si l’on veut absolument une analyse historique approfondie, il faudra bien constater qu’une fois de plus mon pays, le Royaume-Uni fait le choix de la liberté et du parlementarisme, comme en 1688, comme en 1793, comme en 1914, comme en 1919, comme en 1940. Il faudra se rappeler que les présidents français successifs qui n’ont pas respecté le vote français hostile au Traité Constitutionnel Européen sont très vite tombés dans une profonde impopularité. Nicolas Sarkozy y a perdu l’électorat qu’il avait un temps conquis aux dépens du Front National; François Hollande, qui s’est entièrement rallié à l’européisme, a fini comme le président le plus impopulaire de la Vè République, un record que visiblement Emmanuel Macron est en train de lui disputer, au rythme où vont les choses. Par comparaison, Donald Trump se maintient, imperturbablement, depuis son élection, entre 40 et 45% d’opinion favorables; le parti conservateur britannique est lui aussi à environ 40% d’intentions de vote. Quant à Matteo Salvini, il a réussi en quelques mois à doubler les intentions de vote pour son parti, la Ligue, passée de 17 à 33%. 
Mais le cas le plus intéressant est celui de cette Allemagne qu’admire tant Emmanuel Macron. Le peuple allemand a été admirable d’abnégation ces trois dernières années: il a d’abord pris au sérieux la mission que lui confiait la Chancelière, en septembre 2015, absorber rapidement un million de nouveaux venus, dont beaucoup ne parlaient pas l’allemand. Puis il a fait savoir à la Chancelière qu’il n’y arrivait plus. Comme cette dernière ne voulait rien entendre, les électeurs allemands ont progressivement défait, entre 2016 et 2018, le pouvoir d’Angela Merkel. Les élections de dimanche dernier, en Hesse, ont représenté le revers de trop pour la Chancelière, obligée d’annoncer qu’elle ne briguerait pas un nnouveau mandat et, surtout, qu’elle abandonnerait, dès ce mois de décembre, la présidence de la CDU. Les Français oublient trop que l’Allemagne est un régime parlementaire. Angela Merkel, avec son pouvoir incontesté pendant aussi longtemps représentait une déviation du cours normal du parlementarisme allemand. Le président français va se trouver devant un casse-tête: lui qui aime gouverner avec un petit groupe de conjurés et décider seul, il lui va falloir composer avec des dizaines d’interlocuteurs en Allemagne. A voir le mal qu’il a, déjà, en Europe, je crains beaucoup que nous devions, les uns et les autres, subir de nouveaux noms d’oiseaux (les Brexiteers sont des menteurs, les démocrates conservateurs sont des « lépreux », les Français sont des »geignards paresseux ») et des déclarations manichéennes tonitruantes. 
Le progressiste Macron aime bien dénoncer les « démocraties illibérales ». Mais il est de plus en plus isolé dans sa vision d’une République adémocratique. Et toutes les comparaisons historiques les plus farfelues ne doivent pas dissimuler le fait que, maintenant qu’Angela Merkel est dépouillée de son autorité, le président français se retrouve de plus en plus seul de son espèce. 
Bien fidèlement à vous
Benjamin Disraëli 

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