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Tim Burton, ce père Fouettard monomaniaque
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La recette fait recette

"Dark Shadows", le dernier film de Tim Burton, sort ce mercredi. L'histoire de ce vampire projeté en 1972 après deux siècles passés dans une tombe réunit tous les ingrédients du cocktail Burton. Démonstration.

Clément  Bosqué

Clément Bosqué

Clément Bosqué est Agrégé d'anglais, formé à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il dirige un établissement départemental de l'aide sociale à l'enfance. Il est l'auteur de chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique ainsi que d'un roman écrit à quatre mains avec Emmanuelle Maffesoli, *Septembre ! Septembre !* (éditions Léo Scheer).

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On dira que Tim Burton (1958 -)  montre un monde monstrueux qui n’est pas le nôtre. Qui nous fait peur ou nous amuse parce qu’il nous emmène ailleurs, au royaume doux-amer de nos cauchemars d’enfant. 

Rien de moins sûr ! Revoyez le court-métrage d’animation "Vincent" (réalisé en 1982 alors que Burton fait ses armes chez Disney

La voix sinistre de l’acteur Vincent Price[1] raconte en vers l’histoire d’un adolescent aux yeux écarquillés, introverti et pétri de fantasmes... mais – et c’est cela qui est frappant – dont le quotidien et les cauchemars se superposent et se croisent jusqu’à réellement se confondre, comme dans la folie.

Le monde de Burton, n’est-ce pas en réalité le nôtre, parfaitement reconnaissable - ce monde de bonnes intentions, de gentillesse et de douceur, pastel et toxique ?

"Taram et le Chaudron Magique" (1985), des studios Disney, sur lequel il travailla comme jeune animateur, recèle déjà cette horreur caractéristique, douceâtre, mélancolique. Il s’avéra trop étrange et sombre pour être un succès.

"Frankenweenie" (1984) vaudra à Burton d’être mis à la porte de Disney. "Batman returns" (1992) est lui aussi jugé bien trop effrayant pour les enfants.

L’humour de "Beetlejuice" (1988) et "Mars Attacks" (1996), c’est cet humour noir qui permet à Burton de raconter d’horribles histoires sous forme de poèmes délicats dans le livre "La Triste fin du petit enfant huître et autres histoires" (1997). Vos enfants adoreront l’histoire du "garçon qui avait des clous dans les yeux", de "la fille qui se  transformait en lit" ou du "bébé robot", fruit de l’union contre-nature de sa mère avec un micro-onde, dont la naissance provoque l’effroi de ses parents... et semble contenir, en quelques lignes, tout Tim Burton :

 "Il n’était ni mignon, ni chaud,

Et n’avait pas de peau.

A la place, une fine couche de métal froid.

Des fils et des tubes lui sortaient de la tête.

Il était allongé là, les yeux tout grands,

Ni mort ni vivant." (nous traduisons)

L’horreur véritable, après tout, n’est-ce pas cette combinaison de mignon et d’affreux ?

Pas étonnant que Tim Burton ait senti une si forte proximité avec les univers de Washington Irving (dont il adapte "Sleepy Hollow" en 1999) et surtout d’Edgar Allan Poe, avec ce style "gothique" qui plonge ses racines dans l’esthétique anglaise et allemande des 18e et 19e siècles. Sans compter "l’Ile du Docteur Moreau" de H. G. Wells qui lui inspire son premier film à l’âge de 13 ans ou les histoires de Roald Dahl, souvent si cruelles pour les enfants...

Ce que Burton suggère, finalement, ce n’est pas du tout un monde hypocrite, où le mal se cacherait derrière la douceur des contes pour enfant. Mais au contraire une simultanéité des deux, une identité.

Ces morts ranimés et vivants cadavériques, ces poupées de chiffon douées de vie, ces personnes mutilées, déformées, ces esprit torturés, ces rictus édenté, orbites caves et maquillages outrés sur une pâleur maladive : n'est-ce pas en tout point notre monde ? Un monde oùla gentillesse et le mal se confondent, où nos sourires sont des grimaces ?

Cet univers "gothique" devient, au gré des films, facilement identifiable chez Burton, où il devient une "marque de fabrique". Citons comme motifs visuels récurrents du "style Burton" : les yeux exorbités aux pupilles rétrécies (le visage de la mariée des "Noces Funèbres" (2005), comme celui de la muse et épouse de Burton à la ville, la bien réelle Helena Bonham Carter) ; les spirales (regardez-les se déployer partout dans "l'Etrange Noël de M. Jack", 1993) ; les rayures (chez "Beetlejuice") ; les paysages et perspectives architecturales distordues et exagérées ; à quoi s’ajoutent une prédilection pour les comptines et chansons en rimes, qui vous entraînent dans une véritable danse macabre.

Avec pourtant le risque de devenir un maniérisme, c'est-à-dire une forme qui, sous prétexte qu’elle a fait recette, et qu’on peut en escompter d’avance le succès commercial, est utilisée et réutilisée. On pouvait le craindre avec les "Noces Funèbres", qui calquait trop "l'Etrange Noël". Doit-on craindre un Tim Burton en voie de "disneyisation", de "macdoïsation" ?

"Dark Shadows", sorti ce mercredi, reprend les ingrédients du cocktail préféré de Tim, à base d'"épouvantable merveilleux", sur fond de musique de fête (Superfly, Barry White, T-Rex). Il promet d’échapper à cet écueil : au spectateur de s’en assurer.

Et en même temps, quoi de plus naturel, pour un artiste arrivé à maturité, de continuer à creuser son art, de pousser toujours plus systématiquement ce qui n’était au départ que de faibles intuitions ?



[1] 1911-1993. C’est sa voix qu’on entend dans "Thriller" de Michael Jackson.

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