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Amazon/ Alibaba / Tencent : le trio en train de prendre la leadership de la 3e révolution industrielle
©JASON REDMOND / AFP

Révolution industrielle

Amazon vient de nouer un partenariat avec l’assureur Aviva et veut investir le milieu français de l’assurance. Baidu a rejoint plus tôt le « consortium pour l’intelligence artificielle » à l’initiative des GAFA et Tencent ne devrait pas tarder à faire son entrée à Wall Street.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Concrètement, ces trois entreprises sont-elles en passe de prendre le leadership de la troisième Révolution industrielle ?

Michel Ruimy : Tout d’abord, face à l’essor des nouvelles technologies, on parle de « troisième » voire de « quatrième » révolution industrielle. Or, il s’agit d’une notion floue, qui mérite une clarification. En effet, la notion de « révolution industrielle » reste une appellation mal contrôlée, de même que le nombre et la chronologie des ruptures et des innovations qu’elle est censée désigner. Pour s’y retrouver, certains économistes proposent une définition qui a le mérite de la clarté. 

Pour qu’on puisse parler de révolution industrielle, il faut que trois éléments soient réunis : d’abord une source d’énergie nouvelle, ensuite des modes de communication inédits, rendus possibles par elle, enfin, une transformation des modes de production et de l’organisation du travail qui découlent directement des deux innovations. Ainsi, les révolutions industrielles désignent de grands cycles d’innovation qui ont profondément transformé la dynamique économique dans son ensemble. 

Ainsi, on en recense en général trois. La première commence dans la seconde moitié du XVIIIème siècle avec l’exploitation du charbon et voit apparaître le factory system qui rassemble autour des machines des salariés autrefois dispersés dans différents corps de métiers. La deuxième débute à la fin du XIXème avec la découverte de l’électricité et se caractérise par l’apparition du travail à la chaîne sous l’influence du taylorisme. La troisième commence dans les années 1970 avec les technologies de l’information et de la communication et voit se développer, dans le sillage du toyotisme, des méthodes d’organisation privilégiant le contrôle qualité, la polyvalence et le juste-à-temps. Chacune de ces révolutions s’accompagne d’un processus de « destruction créatrice » (Schumpeter) : les innovations et les performances des nouveaux secteurs font vieillir rapidement le capital existant, en même temps qu’elles ouvrent de nouvelles perspectives de création de richesses, qui profitent à l’ensemble de l’économie.

La quatrième révolution industrielle serait caractérisée par des développements sans précédent dans la génétique, l’intelligence artificielle, la robotique, la nanotechnologie, l’impression 3D, la biotechnologie, etc. Un des éléments de son existence est la très grande rapidité avec laquelle notre environnement évolue. 

Avec la révolution industrielle en cours, il me semble qu’il faut s’émanciper de l’acception traditionnelle. Les révolutions industrielles antérieures ont libéré l’humanité du pouvoir des animaux, rendu possible la production en série et apporté des capacités numériques à des milliards de personnes. La nouvelle est fondamentalement différente. Elle se caractérise par une gamme de nouvelles technologies qui fusionnent les mondes physique, numérique et biologique, touchant toutes les disciplines, les économies et les industries, et même des idées provocantes sur ce que signifie « être humain ».

Alors, Amazon, Baidu, Tencent participent, certes, activement à cette quatrième révolution industrielle … mais elles ne sont pas les seules. Le rôle de l’esprit entrepreneurial dans la société joue un grand rôle dans sa diffusion.

Que penser de leur transversalité et de leur omniprésence dans leurs domaines respectifs ?

La révolution culturelle ou cognitive est avant tout un changement pratique. Autrefois, nous pouvions reconnaître le métier d’un individu quand nous rentrions dans une échoppe par l’observation extérieure et la position de son corps. Si nous voyions un homme avec un tablier de cuir brandir une masse sur une enclume, par exemple, nous déduisions qu’il était forgeron. Aujourd’hui, où que nous entrons, nous voyons une personne penchée devant son écran et nous sommes bien incapables de distinguer les métiers. Nous pourrions dire que l’universalité est, à nouveau, reconnue. 

Mais au-delà de leur omniprésence économique dans divers secteurs d’activité, les nouvelles technologies auront vraisemblablement, à terme, des répercussions sur notre manière de vivre et surtout sur nos manières de « connaître / savoir ». Car je pense que les nouvelles technologies amènent une nouvelle fonction de l’individu : l’egocratie. Chaque individu peut avoir un degré de liberté très important et une manière de recruter ses semblables totalement différente de la démocratie participative. 

La mobilité et la rapidité de l’egocratie de l’individu peut avoir des conséquences politiques inattendues. Rappelons l’exemple de l’initiative individuelle de Maxime Lelong, qui se plaignant d’un manque de mobilisation populaire autour des enjeux climatiques, a lancé une mobilisation en ligne qui s’est transformée en mobilisation citoyenne (manifestation à Paris début septembre 2018). L’efficacité de la méthode est considérable ! Les nouvelles technologies permettent donc un nouveau droit et sans doute une nouvelle politique. Je ne saurais en prévoir les effets mais cela nous libérerait, dans une certaine mesure, des aristocraties qui pèsent sur nous depuis si longtemps. J’ai l’impression que nous nous trouvons face à une nouvelle forme de politique.

Ainsi la révolution culturelle et cognitive engendrée par les nouvelles technologies change notre rapport au monde. Tout comme avant elle, l’écriture, puis l’imprimerie, ont profondément transformé nos modes de vie. Une conséquence inévitable de toute révolution. Il faut, à mon avis, prendre conscience de la révolution cognitive générée par la révolution de l’information. Les nouvelles technologies ont, en effet, poussé l’homme à externaliser sa mémoire. Il nous faudra donc être inventifs, intelligents…pour être des acteurs de cette nouvelle période de l’Histoire. Mais, il faudra aussi et surtout rester vigilant afin de ne pas avoir de dérives. Accompagner plutôt que restreindre, tel est notre futur proche…

Selon vous est-ce que la course à l’intelligence artificielle sera déterminante pour savoir si ces dernières prendront le leadership ?

Cette course est déjà commencée et elle est importante. Risque-t-on d’assister à la fin du biologique pour entrer dans l’ère biotechnologique. Cette évolution de l’homme sera rendue possible par le développement, l’assimilation et l’incorporation de plus en plus poussée de l’internet des objets et de l’intelligence artificielle, au niveau même du corps humain. Tentons une prospective. L’intelligence artificielle pourrait dépasser l’intelligence humaine vers 2035 et la première fusion se fera vers 2050, ce qui permettra de démultiplier les capacités du cerveau. Le cloud permettra de créer des excroissances, accessibles partout en permanence, le stockage des données permettant à l’esprit de se concentrer sur autre chose. Le numérique sera fondu dans la matière et l’on oubliera son existence, à l’instar du sucre dans un café. L’homme va devenir hybride, tout comme son environnement. On décèle les enjeux de ce futur. 

Cette prise de pouvoir pourrait s’effectuer sur trois aspects. Tout d’abord, économique. La puissance financière de ces méga-entreprises leur permet possibilité de tout acheter, de la nanotechnologie à la recherche pour le traitement du cancer. Ensuite, l’appropriation du légal. Les policies de Facebook ou encore de Google sont en train de prendre le pas sur les législations nationales. Les Etats ont de plus en plus de mal à faire respecter leurs propres lois car ces plateformes réussissent à faire appliquer leurs règles. Le pouvoir est donc en train de changer de main. Troisièmement, l’appropriation du cerveau. Celui-ci mute dans une logique d’intelligence artificielle. 

Au-delà des plateformes, ce sont les entreprises de software, comme Microsoft, les fabricants de terminaux, les ingénieurs et codeurs, ceux qui maîtrisent le numérique, inventent les interfaces numériques et les rendent ergonomiques, qui ont désormais le pouvoir.

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