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Fiscalité en Corse : en marche vers la même impasse que tous les quinquennats précédents
©PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Bras de fer sur l'île de beauté

Un rapport de l'inspection générale des finances intitulé « Pour une économie corse du XXIe siècle » a suscité l'ire de Jean-Guy Talamoni qui a qualifié le document de "calamiteux".

François Ecalle

François Ecalle

François Ecalle est ancien rapporteur général du rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques ;  ancien membre du Haut Conseil des finances publiques, Président de FIPECO et fondateur du site www.fipeco.fr sur les finances publiques.

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Atlantico : Que penser de cette déclaration ? Quels points de ce rapport seraient susceptibles de justifier ce jugement ?

François Ecalle : Le rapport de l’inspection générale des finances présente une analyse approfondie de l’économie corse, en tenant compte de ses spécificités, et fait des propositions pertinentes pour la renforcer en tenant compte des contraintes budgétaires de la France. Les handicaps de la Corse doivent être relativisés (des îles plus lointaines ont des économies prospères) et elle se situe d’ailleurs au 14ème rang des 22 anciennes régions pour son PIB par habitant.
Les rapporteurs proposent notamment de remédier rapidement aux lacunes du cadastre, de renforcer la concurrence, de développer certaines infrastructures, d’améliorer la capacité d’innovation et de production des entreprises ou encore de revoir, avec prudence, certaines particularités fiscales.
Je ne vois rien de calamiteux dans ces analyses et propositions.

Peut-on parler d'un régime d'exception pour la Corse qui bénéficie de niches fiscales (certaines remontant au Premier Empire ?) difficilement justifiables aujourd'hui ? N'est-il pas normal alors de vouloir remédier à la situation ?

La Corse bénéficie chaque année de presque 300 M€ de crédits budgétaires particuliers, notamment des subventions en faveur des transports, du et vers le continent (la continuité territoriale), ainsi que des aides à l’investissement. Elle dispose également d’un régime fiscal d’exception, comme les départements et territoires d’Outre-mer, avec 11 niches spécifiques dont le coût total est de presque 400 M€ par an, soit 1 200 € par habitant. J’ai moi-même présenté ces chiffres il y a quelques mois dans un billet publié par FIPECO.
Certaines de ces dépenses fiscales sont totalement illégales. C’est notamment le cas de l’exonération de TVA sur les vins produits et consommés en Corse. Quant à l’exonération du droit sur les boissons alcooliques dont bénéficient les mêmes vins, elle repose sur un décret impérial de 1811.
La plus importante de ces dépenses fiscales (185 M€) est constituée par les taux de TVA minorés appliqués sur certains produits (aliments à emporter, spectacles, électricité…). Le rapport de l’inspection montre que le taux réduit appliqué aux constructions neuves (46 M€), dans un contexte où l’offre foncière est insuffisante, a surtout pour effet de faire monter les prix et d’encourager la spéculation immobilière.
Le crédit d’impôt en faveur des investissements en Corse constitue la deuxième dépense fiscale par son coût (56 M€), mais les inspecteurs le considèrent comme suffisamment efficaces pour proposer de le maintenir avec des conditions d’éligibilité moins restrictives.
Les taux réduits des droits sur les tabacs (27 M€) sont contraires à la réglementation européenne et ne peuvent, bien entendu, que dégrader la santé des corses.
L’exonération (supposée temporaire) des droits de succession sur les immeubles (21 M€) est totalement injuste.
Le rapport de l’inspection générale des finances ne traite pas un autre sujet fiscal, les défaillances de la gestion de l’impôt, mais un référé de la Cour des comptes de juin 2016 les met en évidence.
S’agissant du respect des obligations déclaratives, les deux départements corses se situent aux 89ème et 90ème rangs pour les particuliers et aux 95ème et 96ème rangs pour les professionnels. Le contrôle du respect de ces obligations et l’envoi des avis d’imposition sont en outre fragilisés par la mauvaise qualité des fichiers des contribuables tenus par les services fiscaux.
Les taux de recouvrement des impôts dans les départements corses sont, dans la plupart des cas, les plus faibles de métropole (mais sont supérieurs à ceux des départements d’Outre-mer).
La fréquence et le rendement des contrôles « sur pièces » sont plus élevés en Corse que dans la moyenne des départements. En revanche, les contrôles « externes », qui sont les plus efficaces, sont beaucoup moins fréquents. Les probabilités de contrôle externe des entreprises dans les deux départements corses sont inférieures de 39 % et 45 % à la moyenne nationale.
Il y a donc bien une exception fiscale corse qui pourrait être largement remise en cause et le rapport de l’inspection est très prudent en se contentant de proposer des modifications limitées, si on excepte l’application du taux normal de TVA aux constructions neuves.

S'oriente-t-on vers un nouveau blocage sur ce dossier de la fiscalité en Corse ?

L’exonération « temporaire » des droits de succession sur les immeubles remonte à un « arrêté Miot » de 1801 (du nom de l’administrateur général de la Corse nommé par le Premier Consul) qui a supprimé les pénalités en cas de dépôt tardif des déclarations de succession (tout en maintenant l’obligation de déclaration et l’imposition des successions). En conséquence, ces déclarations n’ont très souvent pas été déposées, le partage des biens n’a pas été formalisé et les titres de propriété n’ont pas été établis.  
Une loi de finances rectificative de 2001 a prévu l’application de la fiscalité de droit commun à partir de 2003, mais de nouvelles dispositions législatives ont instauré, dès 2002, des modalités transitoires de déclaration et d’imposition. Elles ont été reconduites jusqu’à des décisions du Conseil constitutionnel de 2012 et 2013 qui les ont déclarées contraires au principe d’égalité des citoyens devant la loi et les charges publiques. Une exonération « temporaire » de droits de succession reste néanmoins en vigueur dans certaines conditions. 
Même lorsque la fiscalité des successions de droit commun s’applique, l’absence de titres de propriété qui résulte de l’absence de déclarations pendant deux siècles, malgré des incitations fiscales temporaires au partage formel des biens (exonération de droit de partage), reste en pratique un obstacle important à son application (c’est le « désordre foncier » que l’inspection générale des finances voudrait réduire en priorité).
Les particularités fiscales de la Corse sont donc particulièrement difficiles à remettre en cause et « un nouveau blocage sur ce dossier » ne serait pas surprenant.

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