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Brexit : pourquoi le détail des négociations importe bien moins qu'on ne le croît
©Stefan Rousseau / AFP

No deal ?

Avec une situation proche du plein emploi, l'économie britannique devrait arriver à négocier ce virage.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Alors que le Conseil européen se réunissait ce 17 octobre pour la poursuite des négociations du Brexit, comment mesurer l'intérêt porté au cadre commercial que prendra la relation entre Royaume Uni et Union européenne ? En quoi ce cadre est-il, ou non, réellement déterminant ? 

Rémi Bourgeot : Ce qui est essentiel, c’est de s’entendre sur un cadre général pour les échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et le marché unique. Dans le contexte alambiqué dans lequel on a inscrit les négociations depuis 2016, il s’agit à court terme de pouvoir enclencher fin mars la période de transition (qui semble pouvoir être facilement allongé par ailleurs) en se mettant d’accord sur les principes de base encadrant la sortie du Royaume-Uni. 

Le caractère dramatique des négociations pourrait laisser penser qu’il s’agit d’échanges extrêmement précis prenant en compte diverses options radicalement différentes. Il convient néanmoins de replacer tout cela dans le cadre réel des échanges commerciaux entre pays ou groupes de pays. La principale menace aujourd’hui est liée au spectre théorique de l’absence d’accord qui se traduirait par une remise en cause du cadre dans lequel se réalisent les échanges commerciaux. Mais à partir du moment où le Royaume-Uni et l’UE s’accordent sur un cadre d’échange commercial qui relève du libre-échange et sur des modalités administratives lisibles, la dynamique des échanges relèvera bien plus des évolutions économiques et technologiques croisées que des détails de la superstructure qui les encadrera. Les évolutions économiques ne se décrètent pas dans des réunions à 28 chefs d’Etat. Au-delà des diverses modalités il s’agit avant tout de s’entendre sur un cadre lisible et efficace qui permette la préservation des chaînes de production et le redéploiement industriel des pays qui sont prêts à s’en donner les moyens humains, technologiques et financiers.

La partie européenne a refusé dès les premiers échanges l’idée d’un plein accès au marché unique en réaction à la volonté de la partie britannique d’encadrer les flux migratoires venus du continent. Par ailleurs, la partie britannique souhaite pouvoir conclure des accords commerciaux avec des pays tiers sans passer par l’UE ; ce qui exclut a priori la participation à l’union douanière. Les relations entre le Royaume-Uni et l’UE doivent donc être régies par un accord commercial de libre-échange sur les marchandises ou, en l’absence d’accord, par les règles de l’OMC. C’est-à-dire que les pays de l’UE appliqueraient au Royaume-Uni leurs tarifs extérieurs communs, qui dépendent des secteurs et qui s’appliquent à tous les pays avec lesquels l’UE n’a pas d’accord spécifique.

Toutefois, cela n’aurait naturellement guère de sens de traiter le Royaume-Uni, qui applique actuellement l’intégralité de l’acquis communautaire, comme un quelconque pays tiers. Surtout, le drame ne serait pas tant d’introduire ces tarifs (qui sont dans la plupart des cas modérés et inférieurs aux variations habituels du taux de change sterling-euro), mais de se retrouver dans ce cadre sans l’avoir annoncé suffisamment à l’avance et sans avoir permis aux entreprises de s’y préparer concrètement. On constate actuellement que de nombreuses entreprises de taille moyenne ont tout simplement renoncé à se préparer véritablement au Brexit du fait du caractère incroyablement erratique des négociations.

Dès les premières semaines qui ont suivi le référendum, aurait dû s’enclencher une négociation calme et raisonnée sur un accord de libre-échange approfondie. L’idée de conditionner toute négociation commerciale à la question de la frontière irlandaise satisfait une certaine vision politique à Bruxelles et à Paris, bien plus qu’à Dublin. Au vu des moyens technologiques actuels, le fait que le Royaume-Uni ne participe plus à l’union douanière n’implique guère de devoir rétablir une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande ni une frontière douanière entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. 

Quelles sont les forces dont disposent le Royaume Uni aujourdhui ? Le pays peut-il s'appuyer sur sa situation de plein emploi pour permettre un virage économique ? 

Deux tendances s’opposent dans l’orientation du Royaume-Uni post-Brexit : celle à la réindustrialisation du pays sur la base de la révolution technologique mondiale, et celle allant vers un modèle reposant encore plus qu’aujourd’hui sur les activités financières offshore (au moyen d’une politique de baisse d’impôts notamment). La situation britannique contraste avec la situation française, italienne ou espagnole, sur le front de l’emploi en particulier, avec une situation effectivement proche du plein emploi. Là où ces trois derniers pays ont exclu une génération du système économique, en s’acharnant notamment sur l’élite scientifique et culturelle dans le cas français, le Royaume-Uni a plutôt sacrifié les investissements. L’approche britannique a surtout consisté à maintenir l’emploi, et même à embaucher davantage sur la base de salaires sous pression, au détriment d’investissements technologiques et d’infrastructure qui apparaissaient alors comme moins rentables et moins opportuns. Cela a eu tendance à aggraver le problème d’atonie de la productivité du travail au Royaume-Uni, le nombre de travailleurs augmentant mais en ayant accès à des moyens de production qui n’étaient pas suffisamment modernisés, que ce soit dans les services ou dans l’industrie. Dans la finance, au-delà de la question technologique, la chute des volumes de crédit a largement amputé la croissance de la productivité totale du pays, à hauteur d’environ 20% (contre 10% aux Etats-Unis alors que le secteur financier représente le même poids dans l’économie).

La tendance naturelle serait aujourd’hui, face au Brexit, au développement supplémentaire du pays dans un sens offshore, capitalisant sur son réseau mondial de paradis fiscaux insulaires, mais, bien avant le vote du Brexit, la crise financière avait déjà bouleversé la réflexion économique au Royaume-Uni, tout au long des dix dernières années. On voit émerger, à l’écart des grands titres, une véritable réflexion, au travers notamment d’ouvrages historiques passionnants, sur le retour à une stratégie industrielle qui intègrerait autant la question éducative et de la recherche que des infrastructures ou encore des financements. Le pays en a les moyens d’un point de vue aussi bien humain que financier.

L’approche britannique des dernières années a été défavorable à la productivité mais le fait d’avoir intégré la jeune génération (de façon certes imparfaite) représente tout de même un atout considérable sur le plus long terme, par rapport aux pays qui, dans un contexte de trépidation plus marquée, se sont engagés dans une forme de nihilisme intergénérationnel. 

D'un point de vue pratique, comment imaginer les prochaines relations de long terme entre Union européenne et Royaume Uni ? 

En ce qui concerne le Brexit, l’issue rationnelle devrait reposer sur un accord de libre-échange sur les marchandises, en laissant en paix l’Irlande, dont les habitants, des deux côtés de la frontière, redoutent que leur île ne soit déstabilisée au nom d’une vision des frontières douanières remontant à l’âge pré-numérique. 

Il est par ailleurs probable que le secteur financier soit exclu de cet accord de libre-échange ; ce qui dans tous les cas encouragera le développement d’activités offshore au moyen, ne serait-ce que partiel, de la politique fiscale. Il sera difficile pour l’UE de se prémunir contre cette tendance. On voit à travers le monde divers centres financiers jouer cette carte sans accord financier spécifique avec les pays dont ils attirent les capitaux. Cette tendance menace en parallèle le redéploiement industriel du Royaume-Uni, en particulier en ce qui concerne l’évolution du taux de change. La monnaie d’un centre financier offshore n’est pas adaptée à un pays poursuivant une stratégie industrielle ambitieuse. Les deux tendances nécessiteront donc un choix clair en termes de priorité sur le plan de la politique monétaire et de la politique économique, en fonction naturellement des évolutions électorales. Le Royaume-Uni restera assez largement intégré au marché européen, d’autant plus s’il parvient à redévelopper son secteur industriel. Par ailleurs, le lien entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis est d’ores et déjà très fort, en particulier dans les services, et est appelé à se développer encore davantage. Le pays continuera de toute évidence à fortement reposer sur les services (dont la délimitation avec l’industrie est toutefois de moins en moins nette aujourd’hui), qui auront de plus en plus tendance à desservir d’autres zones géographiques, parallèlement à l’Europe.

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