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Terra Nova/Buisson : pourquoi les stratégies électorales des candidats Hollande et Sarkozy étaient les bonnes malgré les nombreuses critiques
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La France d'après

Le candidat PS a visé l'électorat évoqué dans une fameuse note du think-tank Terra Nova. Le candidat UMP a suivi la stratégie élaborée par son conseiller Patrick Buisson. Tous deux ont placé la question identitaire au coeur de leur campagne. A juste titre tant cette thématique trouve un écho profond au sein de la France d'aujourd'hui.

Christophe  Guilluy - Bruno Cautrès

Christophe Guilluy - Bruno Cautrès

Christophe Guilluy est géographe.

Chercheur auprès de collectivités locales et d’organismes publics, il est également le coauteur, avec Christophe Noyé, de L’Atlas des nouvelles fractures sociales en France (Autrement, 2004).

Il a publié plus récemment Fractures françaises (Bourin, 2010).

Bruno Cautrès est chercheur au CNRS et au CEVIPOF. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques
 

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Atlantico : Vous avez étudié le vote en France en fonction des régions dans lesquelles vivent les électeurs. Quelle photographie sociologique de la France donnent les résultats de cette élection présidentielle ?

Christophe Guilluy : La vraie photographie de la France c’est le premier tour. Le second, c’est différent. Dans les urnes, effectivement, nous assistons à une victoire de Hollande et à un échec de Sarkozy. Mais ces résultats doivent être nuancés. Souvenons-nous qu’il y a un an Sarkozy était donné battu au premier tour et qu’il s’est finalement maintenu à un niveau élevé au premier tour, compte tenu de la performance de Marine Le Pen. Dès lors, et compte tenu de son bilan social, mais aussi en matière d’immigration et de sécurité, ainsi que de la puissance de l’anti-sarkozysme, le résultat est inespéré pour lui. 

Sociologiquement, Nicolas Sarkozy perd car contrairement à 2007, il n’a pas su capter le vote populaire. Ces catégories lui font notamment payer son échec sur la question sociale mais aussi sur les thématiques immigration/sécurité. D’ailleurs, si au premier tour les catégories populaires, notamment les ouvriers, avaient plutôt choisi Marine Le Pen, dimanche dernier elles se sont plutôt portées vers Hollande (par anti-sarkozysme plus que par adhésion), l’abstention et/ou le vote blanc. 

Le Nord-Pas-de-Calais est ainsi un exemple intéressant avec un taux d’abstention et de votes blancs très supérieur à la moyenne au second tour. Précisément, si l’on se penche sur le résultat des votes à Hénin Beaumont, bastion du FN : les votes blancs additionnés à l’abstention correspondent quasiment au score de François Hollande, avec 35% des inscrits.

Ces résultats illustrent la déception des milieux ouvriers et employés qui estiment ne pas avoir été entendus ni sur la question sociale, ni sur les thématiques identitaires. En fait, contrairement à ce que l’on dit, Sarkozy  a pris en compte bien trop tard l’importance du ressentiment et la place des thématiques identitaires en milieu populaire.

Vous voulez dire que, malgré sa défaite, la « droitisation » de sa campagne était la bonne stratégie à mener ?

Le résultat du premier tour a validé cette stratégie. Sans cette stratégie, Nicolas Sarkozy aurait fait 20% au premier tour et 42-43% au second. Et puis que pouvait-il faire ? Compte tenu de la situation sociale, il n’allait quand même pas faire une campagne sur son bilan ou le pouvoir d’achat ! Il n’allait pas non plus faire la même campagne que François Hollande ! On peut d’ailleurs noter que, malgré cette « droitisation », Sarkozy a capté tranquillement les voix de François Bayrou…

En fait, la « drôle de campagne » du 2e tour s’explique par le fait que les deux qualifiés étaient des représentants de la « France du Oui » une France encore plus minoritaire aujourd’hui qu’en 2005. Les deux candidats étaient aussi les représentants de partis qui ont accompagné l’adaptation de la société française au libre-échange et à la mondialisation, que les classes populaires rejettent depuis des années. 

Dans ce contexte, les deux candidats, qui ne proposent aucune véritable alternative économique et sociale à une France populaire fragilisée n’avaient d’autre solution que de cliver sur des thématiques d’ordre « socio-culturelles ». Or, s’il est évident que le camp sarkozyste est allé dans cette direction, on ne voit pas qu’en réalité la gauche a aussi fait ce choix, plus discrètement. On ne voit pas à ce titre à quel point la stratégie « Buisson » fait écho, et  a contrario, à celle du think-tank Terra-Nova. Dans les deux cas, il s’agit d’opter pour le « socio-culturel ».

A gauche, la stratégie Terra Nova centrée sur les bobos-minorités-grandes agglomérations a été très critiquée dans son propre camp. Même chose à droite avec Buisson. Mais si l’on fait l’analyse sociologique du vote, ces deux stratégies très contestées sont celles qui ont le mieux fonctionné dans les deux camps ! François Hollande fait le plein en banlieue, dans les dom-toms, dans les grandes villes, chez les catégories diplômées, etc. Inversement, Sarkozy réalise ses meilleurs résultats dans les espaces ruraux.

En quoi cette élection présidentielle est-elle « la première du XXIè siècle », selon l’expression de Nicolas Sarkozy ? En quoi raconte-t-elle la France du XXIè siècle ?

Disons qu’il existe désormais un clivage socio-culturel gigantesque au sein de la France : 48,38% des électeurs se sont tout de même positionnés sur une thématique qu’on a dit « fasciste » et identitaire. C’est une nouveauté. L’évolution socio-culturelle du pays évolue vers un clivage de plus en plus marqué.

Surtout, il apparaît que cette dimension est désormais intégrée au discours politique. Si la droite a « cogné » très fort (je pense notamment aux sorties de Claude Guéant..), la gauche a aussi participé à cette  ethnicisation du discours en fascisant Sarkozy. Les attaques d’Axel Kahn qui a déclaré dans l’entre-deux tours que la mobilisation autour de Nicolas Sarkozy au Trocadero c’était Nuremberg ou de Mélenchon qui traite Sarkozy de « petit blanc raciste » en sont une illustration. Si la droite a ciblé l’immigration musulmane, la gauche a fascisé Sarkozy et indirectement son électorat en sous entendant qu’il était xénophobe, blanc, etc.

Aujourd’hui, il existe une immense fracture sociale entre les classes populaires et dominantes, qu’elles soient de droite ou de gauche. Mais il se double d’une fracture culturelle à partir d’une nouvelle géographie sociale. La France périphérique rurale industrielle et périurbaine, celle des petites et moyennes villes, adhère plus volontiers aux thèses « lepeno-sarkozystes » tandis que  la France des grandes agglomérations constitue désormais des bastions de la gauche. Un clivage qui tend à se renforcer à chaque élection. 

La France d’après sera travaillée par les questions sociales gigantesques mais aussi par une question identitaire. Le problème, c’est que ni la droite ni la gauche ne répondent à ces considérations sociales. D’ailleurs, dès le lendemain du vote, un sondage Ipsos montrait déjà que seuls 26% des gens pensent que « la situation va s’améliorer avec Hollande » ! Les Français font donc le constat que les questions sociales (chômage, pouvoir d’achat) ne seront pas résolues. Et la question socio-culturelle reste latente.

François Hollande semble prendre en compte cette nouvelle réalité. À ce titre il faut souligner le basculement idéologique en cours au sein du PS sur la question  de l’immigration. Les nouvelles fractures françaises sont ainsi intégrées à la réflexion. On peut s’en rendre compte par exemple à l’occasion de son discours de victoire à Tulle dimanche où il a parlé « des banlieues ET des zones rurales ». C’est une petite révolution au PS, qu’avait déjà initiée Ségolène Royal en 2007.

Vous parlez de "fractures", vous dîtes "l'’évolution socio-culturelle du pays évolue vers un clivage de plus en plus marqué", vous évoquez l'importance croissante de la "question identitaire"... A vous écoutez, la France va vers une guerre civile !

Non, disons que nous sommes plutôt dans une logique séparatiste, donc contraire à l’affrontement. Quand on commence à parler de guerre civile, cela empêche de porter tout diagnostic et de débattre. Nous n’en sommes pas là. Quelque chose est toutefois en place qui dépasse très largement les simples dynamiques de gauche ou de droite. C’est pourquoi l’évocation de mai 1981 à l’occasion de ce mois de mai 2012 me semble particulièrement hors sujet . 

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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