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L’onde de choc venue d’Allemagne : pourquoi l’Europe pourrait pourrir par la Bavière
©John MACDOUGALL / AFP

Résultats électoraux

Les Bavarois étaient appelés aux urnes ce dimanche 14 octobre pour élire leur Parlement régional, dans un contexte de bouleversement politique national.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Comment analyser les résultats ? 

Edouard Husson : Les résultats sont en gros conformes aux derniers sondages. La chrétiens-sociaux de la CSU atteignent, au terme du décompte des voix, 37%. Les Verts sont à 17,5%. Ensuite viennent les deux partis qui ont pris le plus de voix aux chrétiens-sociaux: les “Freie Wähler” (“électeurs libres”) et l’AfD, qui sont respectivement à 11,6 et 10,2%. La vraie suprise, c’est que le SPD ne vient qu’après, à 9,7%; le parti perd 11 points, c’est une déroute. Enfin, les libéraux du FDP reviennent au Landtag, ayant franchi de justesse la barre des 5%, à la différence de la Gauche (Die Linke), qui gagne des voix, à 3,2% mais non suffisamment pour entrer au Parlement. Le résultat est fort intéressant pour trois raisons:
- la participation est à 72,4 %, soit 9 points de plus qu’il y a quatre ans. Comme lors de l’élection fédérale il y a un an, les électeurs se mobilisent plus. Dans la journée de dimanche, on a remarqué une plus forte participation dans les villes et certains s’attendaient à une poussée encore plus forte des Verts. Il va falloir regarder la participation au niveau local; mais l’impression est plutôt que la participation, comme en 2017, profite aux partis de droite. La CSU a évité un score encore plus bas grâce à la mobilisation d’abstentionnistes; mais c’est l’AfD qui attire à elle le plus fort taux d’abstentionnistes. 
- le deuxième enseignement, c’est un score historiquement bas de la gauche. Aux dernières élections nationales et régionales, le total SPD + Verts + Die Linke  était de 33 ou 34%. Là on est à 30% ! Contrairement à ce que vont répéter beaucoup d’analystes, les Verts ne font pas un score extraordinaire: par rapport à la dernière élection régionale, ils prennent moins que ce que perd le SPD, environ 9 points. La Gauche monte un peu, mais non de façon spectaculaire. 
- le troisième enseignement, c’est une victoire massive de la droite. AfD + Freie Wähler + FDP + CSU = 63%. Le rapport de force droite/gauche en Bavière, ce soir, est de 2 contre 1. 

Comment mesurer l'impact de ces résultats à l'échelon national et que peuvent en être les effets pour Angela Merkel ? 

C’est la fin du merkelisme ! Depuis un peu plus d’une décennie, la Chancelière a voulu installer au centre-gauche son parti, la démocratie-chrétienne, traditionnellement au centre-droit. Cela a eu deux conséquences: d’abord, la Chancelière a essentiellement gagné de l’espace politique aux dépens du SPD. Ensuite, elle s’est crue autorisée, elle la femme de l’Est, à ignorer la règle fondamentale de la politique ouest-allemande depuis la création de la République Fédérale: la première mission des chrétiens-démocrates était d’empêcher qu’apparaisse une force politique à leur droite. En sortant de manière abrupte de l’énergie nucléaire ou en ouvrant toutes grandes les frontières à l’immigration, Angela Merkel n’a pas fait la politique de l’électorat traditionnel de la CDU et de la CSU. Les élections de septembre 2017 lui ont envoyé un clair message de rejet de l’électorat. Mais la Chancelière n’a pas voulu en tirer les conséquences. Elle s’est obstinée au pouvoir. Un an plus tard, elle voit s’effondrer ce qui était le pivot secret de son tournant à gauche: elle a pu se le permettre, entre 2005 et 2015 parce que la Bavière restait un bastion solide pour la CDU/CSU: les chrétiens-sociaux bavarois, au-dessus de 45%, apportait un apoint de 3 à 4% aux chrétiens-démocrates dont l’affaiblissement se voyait déjà, dans le reste du pays. Ils permettaient à la Chancelière de rester aux environ de 35% des voix. A partir du moment où eux-mêmes sont tombées de dix points quand la CDU aussi est tombée presque dix points en-dessous dans le reste du pays, la situation n’est plus tenable pour la Chancelière. Je fais le pari qu’elle devra annoncer la date de son départ de la Chancellerie au plus tard lors du congrès de la CDU en décembre 2018. Je suis peut-être même optimiste quant à sa capacité à tenir jusque-là: un SPD à 9% en Bavière est un piètre allié à Berlin. 

En quoi la situation actuelle devrait-elle nous amener à penser à ce que serait une Allemagne post-Angela Merkel ? 

Ce que nous dit aussi le résultat bavarois, c’est que les partis de la Grande Coalition ne sont plus majoritaires: ils ont encore perdu des voix depuis la dernière élection au Bundestag. Avec un SPD à 9% et une CSU à 37%, Madame Merkel s’appuie sur une coalition gouvernementale qui n’est clairement plus majoritaire dans le pays. Ses jours à la tête du gouvernement sont comptés. Evidemment, on peut imaginer, en Bavière, que la CSU tente  de constituer une alliance avec les Verts. Mais ce serait un contresens historique, qui ne ferait que précipiter la désaffection envers les chrétiens-sociaux, le gouvernement fédérale et la Chancelière. Le problème, c’est que faire une alliance clairement conservatrice, même en excluant l’AfD, sera interprété à juste titre comme un désaveu de la Chancelière. Nous allons mesurer très vite, dans les prochains jours si Madame Merkel a encore un tout petit peu d’emprise sur ses troupes ou non. 
Commençons à penser l’après-Merkel. Les Verts vont monter tant que le SPD ne se ressaisira pas. Die Linke montera doucement dans tout le pays mais l’union de la gauche pour gouverner est peu probable. Théoriquement, nous avons donc affaire pour longtemps à une Allemagne où la majorité est à droite. J’ai tendance à exclure, en effet, la possibilité d’une coalition CDU-CSU/Verts; seule Angela Merkel aurait pu l’imposer, quand elle était encore en position de force. Pour autant, le retour de la CDU et de la CSU vers la droite ne va pas être facile. L’aile centriste va essayer de freiner le processus. Une guerre des chefs va s’engager. Il est donc probable que le parti de Christian Lindner, le FDP, va monter dans les sondages. Mais tout dépendra de la capacité des chrétiens-démocrates et des libéraux à faire baisser l’influence de l’AfD. Nous devons nous attendre à ce que chrétiens-démocrates et libéraux durcissent le ton et sur l’immigration et sur la bonne gestion de la zone euro. Que cette dernière entre en turbulence ou non à propos de l’Italie, c’en est fait du plan Macron pour l’Europe. 

A l'échelle française, quelles sont les enjeux d'une telle réflexion ? 

Il faut tout repenser des relations franco-allemandes. Le discours de la Sorbonne aura été le chant du cygne d’une certaine façon d’envisager l’Europe avec, en son coeur, la relation franco-allemande. Au fond, Emmanuel Macron, qui a voulu faire du “merkelisme” la politique de la France au moment où celui-ci entrait en déclin en Allemagne, va se retrouver très isolé. Il aurait dû utiliser le déclin prévisible puis visible de Madame Merkel pour affirmer la volonté française en Europe, proposer un bon accord sur le Brexit, en un mot prendre le leadership de l’Europe. Au lieu de cela, il a sagement attendu l’improbable victoire d’Angela à l’automne 2017 puis il a encore attendu, pendant six longs mois, qu’elle constitue un gouvernement; et l’explosion définitive du merkelisme, à laquelle nous assistons ce soir, coïncide parfaitement avec la crise du macronisme après dix-huit mois au pouvoir. Nous aurons des raisons de penser que le président français va rebondir en général s’il tire en particulier les leçons de la fin du mekelisme, à commencer par la nécessité d’envisager autrement l’Europe. 
Les élections bavaroises vont au mieux provoquer un rejet définitif du plan Macron pour l’Europe, au pire faire entrer toute l’Europe en turbulence, à quelques mois des élections européennes. Si vous regardez une carte, vous constatez qu’une zone qui correspond largement à l’ancien Empire des Habsbourg devient petit à petit le bastion d’un nouveau conservatisme européen, qui remet en cause toutes les évidences de l’européisme libéral: la Pologne conteste l’autorité constitutionnelle et juridique de l’Union Européenne; la Hongrie a pris la tête de l’opposition à l’immigrationnisme de Paris, Bruxelles et Berlin; l’Italie commence à défier l’autorité bugétaire européenne. La Bavière est aujourd’hui plus proche de Vienne que de Berlin en termes d’affinités politiques. C’est donc toute la géopolitique de l’Union Européenne qu’Emmanuel Macron va devoir repenser. 
Plus fondamentalement, nous assistons à l’effondrement de toute une série de dogmes qui présidaient à l’absence de pensée sur l’Allemagne au sein de notre classe dirigeante: 
- l’Allemagne n’a pas su et ne pourra plus exercer de leadership politique sur l’Europe. 
- l’Allemagne a beau être impressionnante par ses performances industrielles et commerciales, elle est désormais plongée dans une crise politique profonde et qui va durer. 
- La crise politique va se transformer en crise culturelle et sociale, autour de l’intégration des étrangers. Il n’est pas exclu que le pays, divisé politiquement et culturellement, y perde aussi en efficacité économique. 
Dans tous les cas, la bonne entente et la coopération avec Paris vont être de moins en moins prioritaires pour Berlin. La France doit repenser complètement sa manière d’envisager l’organisation et l’équilibre de l’Europe. Elle devrait le faire en fonction de ses intérêts, en bonne entente avec cette Allemagne transformée, et non plus en s’accrochant au passé de la relation franco-allemande. 

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