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Chimiothérapie : comment des centaines de malades atteints d’un cancer meurent d’un traitement censé les sauver
©REUTERS/Ricardo Moraes

Le comble

Un article du Daily Mail explique que des centaines de personnes sont tuées par la chimiothérapie destinée à les sauver. En cause, une maladie génétique inoffensive qui fait que le foie ne produit pas d’enzyme appelé dihydropyrimidine déshydrogénase - ou DPD - et l'empêche de traiter le médicament de chimiothérapie, la capécitabine.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Quelle est cette maladie génétique et comment expliquer qu'elle ne soit pas détectée avant que les patients ne commencent une chimiothérapie ?

Stéphane GAYET : La capécitabine (XELODA et génériques) est un agent cytostatique ou anticancéreux. Elle se transforme en 5 fluoro-uracile ou 5-FU après activation enzymatique dans notre corps. La capécitabine est donc un précurseur du 5-FU, considérée comme son analogue. Ce médicament de chimiothérapie est largement utilisé dans les cancers solides (pas dans les cancers des cellules sanguines ou immunitaires). Il est en particulier employé dans les formes avancées de cancer gastrique, dans le cancer du côlon et celui du rectum à un stade déjà avancé ou avec des métastases, ainsi que dans le cancer du sein également à un stade avancé ou avec des métastases.

Tous les médicaments quels qu’ils soient sont interprétés par l’organisme comme toxiques et devant donc être éliminés le plus vite possible. Les deux principales voies d’élimination ou d’inactivation des substances étrangères sont la voie rénale ainsi que la voie hépatique par la bile (ces organes sont des émonctoires). En cas d’insuffisance rénale chronique sévère, les médicaments qui sont normalement éliminés par les reins le sont difficilement et avec beaucoup de retard, d’où une accumulation dans le corps qui peut être dangereuse. C’est la même chose avec les médicaments normalement inactivés par le foie et éliminés par la bile.
Le 5-FU est inactivé par le foie grâce à une enzyme, la dihydropyrimidine déshydrogénase ou DPD, qui est l’enzyme clef de son catabolisme (inactivation). Or, la DPD est présente de façon inégale chez les individus. Certains ont en effet un déficit en DPD : il peut s’agir d’un déficit partiel (jusqu’à 10 % de la population générale) ou même d'un déficit complet, ce qui est assez rare (il concerne au maximum 0,5 % de la population générale, soit une personne sur 200). En cas de déficit partiel, la toxicité d’une dose donnée de capécitabine ou de 5-FU est augmentée de façon significative ; en cas de déficit complet, elle est tellement accrue que le risque de décès est majeur.
Or, les résumés des caractéristiques du produit (RCP) officiels des médicaments dont la formulation contient de la capécitabine ou du 5-FU ne comportent pas à l’heure actuelle de recommandation explicite concernant la recherche d’un éventuel déficit en DPD chez les patients devant être traités par ces produits. Pourtant, les cas de décès en raison de ce déficit se multiplient aujourd’hui.
On ne peut pas parler véritablement de maladie génétique, mais d’un trouble génétique de la production d’une enzyme. Pourquoi n’est-ce pas une maladie ? Parce qu’en dehors de la prise de capécitabine ou de 5-FU, ce déficit enzymatique n’altère pas la santé des sujets qui ont ce déficit, d’où sa découverte uniquement en cas de cancer traité par chimiothérapie.
Pour maitriser ce risque, avant tout traitement par capécitabine ou 5-FU, il est recommandé d’effectuer une détection de déficit en DPD dans un laboratoire de pharmacologie (car les laboratoires d’analyses médicales ou LAM n’ont pas cette possibilité). S’il existe un déficit partiel, on réduira la dose de 25 à 50 % ; s’il existe un déficit complet, ces produits sont bien sûr contre-indiqués. Mais cette détection n’est pas systématique et même pas courante. Alors, une association des victimes du 5-FU s’est constituée en mai 2017 dont le site est à l’adresse www.association-victimes-5-fu.com. Cette association est parvenue à obtenir de l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé ou ANSM la publication le 28 février 2018 d’une recommandation concernant la recherche de déficit en DPD, systématiquement avant chaque administration de 5FU. Le ministère chargé de la santé a relayé cette recommandation dans un message d’alerte sanitaire. Pourtant, cette recherche de déficit en DPD n’est toujours pas pratiquée de façon systématique, loin de là.

Existe-t-il d'autres maladie de ce type qui peuvent empêcher la chimiothérapie d'agir ou mettre la vie du patient en danger ?

Cela relève d’un domaine relativement récent, celui de la pharmacogénétique appliquée aux variations individuelles de la sensibilité aux agents anticancéreux. Cette science étudie les variations (le polymorphisme) des gènes dont l’expression est déterminante dans la réponse de l’organisme à un médicament donné. Elle s’intéresse particulièrement à la chimiothérapie eu égard à l’importance et à la gravité de cette thérapeutique. Car le cas du déficit en DPD n’est en effet pas unique, mais il est exemplaire par sa mortalité.

On sait aujourd’hui qu’il existe des variations individuelles génétiques pouvant avoir une incidence sur l’efficacité et la toxicité des médicaments cytostatiques ou anticancéreux de façon générale, comme dans l’exemple parfois dramatique du déficit en DPD.
La 6-mercaptopurine (6-MP) est un médicament cytostatique des leucémies aiguës dites lymphoïdes (cellules du système immunitaire) de l’enfant. Il existe des variations génétiques (polymorphisme) dans la production de l’enzyme thiopurine méthyltransférase (TPMT) qui diminue la transformation de la 6-MP en forme nucléotidique active. En d’autres termes, si un enfant produit peu de TPMT, il y aura dans son corps plus de forme active de 6-MP, ce qui revient à dire que la toxicité de ce médicament sera augmentée. On a découvert trois variants du gène concerné. Les enfants ayant la forme la plus grave (homozygote) de ce déficit en TPMT ne devraient recevoir que 10 % de la dose normale de 6-MP.
L'irinocétan ou CPT-11 est un médicament de chimiothérapie qui est transformé dans le corps en métabolite actif (SN-38) par une enzyme (estérase). La SN-38 est éliminée par voie biliaire grâce à l’action d’une enzyme, la glucuronyl-transférase ou UGT-1A1. Cette molécule (CPT-11) est spécialement indiquée dans les cancers du côlon ainsi que ceux du rectum avec métastases et ayant résisté à un traitement par 5-FU.
Or, on a découvert qu’il existait des variations génétiques de l’efficacité de l’UGT-1A1. Il existe en effet des individus qui ont un déficit partiel en UGT-1A1 et qui de ce fait ont une augmentation de la toxicité du CPT-11 ou plutôt du SN-38. Il n’y a pas de risque de décès, mais d’une toxicité anormalement élevée et donc mal supportée. Il serait donc chez ces sujets nécessaire de diminuer la dose de CPT-11.
Il existe d’autres exemples de toxicité accrue par déficit d’une enzyme inactivatrice. Mais le cas inverse existe aussi : chaque fois que l’on administre un précurseur de cytostatique, ce précurseur nécessite une activation dans le corps humain par une enzyme qui varie avec chaque produit. On connaît des déficits de ce type d’enzyme qui expliquent une efficacité insuffisante voire presque totale d’une chimiothérapie.
C’est donc un domaine complexe en pleine recherche, déjà capable d’expliquer des toxicités inattendues ou au contraire des inefficacités non prévues de la chimiothérapie.

D'une manière plus générale, quelles sont les effets secondaires de la chimiothérapie ?

Les effets secondaires de la chimiothérapie sont nombreux et souvent marqués, parfois sévères. Les complications aigues peuvent être déjà allergiques et hématologiques. Dans le domaine hématologique, les lignées de cellules sanguines (globules rouges, globules blancs et plaquettes sanguines) peuvent être atteintes à différents degrés (anémie, diminution du nombre de globules blancs ou leucocytes, diminution du nombre de plaquettes). Il peut aussi s’agir de vomissements et d’altérations de la peau ainsi que des phanères (cheveux, poils).

Les complications chroniques sont celles qui apparaissent après un délai d’un mois ou plus. La toxicité peut être neurologique, néphrologique (reins), cardiaque et aussi hématologique.
Mais il faut aussi parler des complications liées à l’abord veineux (inflammation de la veine, thrombose, diffusion du produit dans le tissu sous-cutané, infection).
Ces effets secondaires sont cependant de mieux en mieux pris en charge et anticipés dans les services spécialisés et par les équipes bien formées à ce domaine.

Existe-t-il des alternatives efficaces à la chimiothérapie aujourd'hui ? Existe-t-il un lobby des chimiothérapeutes qui souhaiterait conserver son monopole dans la lutte contre le cancer ?

Les thérapies ciblées et l’immunothérapie des cancers sont les vraies alternatives qui sont porteuses d’espoirs. Elles sont beaucoup moins agressives et plus spécifiques. Les autres traitements des cancers sont essentiellement la chirurgie et la radiothérapie.

Les cytostatiques anticancéreux sont des médicaments faute de mieux. Dans certains cas, ils constituent des armes disproportionnées si l’on considère le rapport bénéfices sur risques qui peut être en effet très défavorable.
D’une façon générale, les médicaments de chimiothérapie constituent un marché qui occupe une place considérable aujourd’hui, de par le nombre de traitements et le coût des produits commercialisés. Jusqu’à l’arrivée des génériques en chimiothérapie anticancéreuse, c’était en effet un marché monopolistique des laboratoires pharmaceutiques à l’origine des produits cytostatiques.

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