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Veille sanitaire : pourquoi le système français fonctionne aussi mal pour détecter l’émergence de certaines maladies et anomalies
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Mystère des enfants sans bras

De nombreuses questions se posent sur notre système de veille sanitaire à la suite des mystérieuses naissances de bébés sans bras en Bretagne et en Loire-Atlantique.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Emmanuelle Amar

Emmanuelle Amar

Emmanuelle Amar est responsable du registre des malformations congénitales en Rhône Alpes. https://www.remera.fr/

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Atlantico : A quoi sert la veille sanitaire en France ?

Stéphane GAYET : Le mot veille évoque le fait d’être attentif à ce qui se passe. Ce terme a pris une acception particulière dans le domaine professionnel : c’est l’activité qui consiste à rechercher et traiter des informations pouvant intéresser le domaine concerné. L’activité de veille est à l’affût de toutes les informations nouvelles et utiles. Les documentalistes font de la veille documentaire, les juristes de la veille réglementaire et législative, les entreprises de la veille concurrentielle, etc.
La veille sanitaire est vaste et complexe, parce que la santé est un domaine immense et qui comporte de multiples facettes. Elle guette les faits qui se produisent dans le domaine de la santé et qui ont de l’importance ou peuvent en avoir : il peut s’agir d’une épidémie (maladie infectieuse), d’une intoxication alimentaire, d’une pollution aiguë de l’air ou de l’eau avec des retentissements sur la santé, d’un nouvel effet secondaire de médicament, de l’apparition de malformations inhabituelles chez des nouveau-nés, de la découverte d’une maladie qui n’a pas encore été décrite, etc. Mais ce n’est pas tout : en plus de la survenue de nouveaux faits de santé (à court terme principalement), la veille sanitaire concerne aussi le moyen terme en observant les tendances des phénomènes de santé, ce qui permet de repérer une évolution favorable ou au contraire défavorable. Ce dernier aspect relève en réalité de la surveillance épidémiologique : c’est dire que la veille sanitaire englobe à la fois la vigilance (court terme) et la surveillance épidémiologique (moyen terme), du moins dans la mesure où la deuxième contribue à avertir de phénomènes nouveaux et préoccupants. Il faut encore préciser que les veilles sanitaires humaines et animales sont liées, car une épizootie (épidémie chez des animaux) peut parfois passer chez l’homme.
Cette veille sanitaire permet de réagir aussi vite que possible et nécessaire lorsqu’un fait est signalé. La réaction peut être locale, départementale, régionale ou encore nationale ; voire internationale, dans le cadre de la veille sanitaire internationale.
Aujourd’hui, avec les changements climatiques, les pollutions aériennes, hydriques et aussi telluriques (sol), les menaces microbiennes et chimiques de l’alimentation en rapport avec l’industrialisation et la mondialisation des aliments, les mouvements de population, etc., les risques sanitaires sont à la fois omniprésents et insuffisamment prévisibles. D’où l’intérêt de premier ordre d’avoir un dispositif bien organisé et réactif de veille sanitaire, qui de toute façon se trouvera forcément à un moment ou à un autre dans une situation critique, difficile et complexe à gérer ; avec la nécessité pour le ministre ou plutôt des hauts fonctionnaires de prendre des décisions périlleuses pouvant les exposer à une tempête médiatique. Il faut être conscient du fait que tout va très vite aujourd’hui : les événements sanitaires peuvent prendre rapidement de l’ampleur et l’internet diffuse l’information à très grande vitesse. Les autorités de santé sont donc très exposées en cas d’alerte sanitaire.

Atlantico : Comment s'organise-t-elle à l'échelle nationale (hôpitaux, associations, rôle de l'Etat…) ?

Stéphane Gayet : Les acteurs de la veille sanitaire sont multiples. En réalité, chaque professionnel de santé y contribue : c’est un devoir que d’alerter les autorités sanitaires lorsque quelque chose paraît anormal et inquiétant. Les agences régionales de santé ou ARS ont un bureau spécialement chargé des alertes : on y réceptionne les messages par différentes voies de communication, on les enregistre et les traite.
L’organisation de la veille sanitaire en France comporte plusieurs niveaux.
Le niveau individuel est donc constitué des professionnels de santé : si l’un d’eux, au cours de l’exercice de sa profession, constate un fait qui pour lui est préoccupant et mérite d’être transmis aux autorités de santé, il a le devoir d’effectuer un signalement (terme exact qui est souvent confondu avec celui de déclaration ayant pourtant un sens différent).
Les professionnels de santé qui pratiquent un exercice libéral en dehors des établissements de santé appartiennent de plus en plus souvent à un ou plusieurs réseaux ou associations. Il leur est ainsi permis de faire circuler des informations et d’échanger entre eux à l’occasion de réunions. Certains réseaux concernent plus particulièrement la veille sanitaire dont les maladies infectieuses épidémiques, comme la grippe ; il existe des réseaux concernant les maladies cardiaques, respiratoires, rénales, hépatiques, les cancers, les maladies rares…
A côté de ces réseaux de professionnels de santé, il existe des réseaux ou associations de personnes atteintes de telle ou telle maladie chronique (infectieuse, dégénérative…).
Le niveau individuel et réticulaire ou associatif est sur le terrain ; les associations d’usagers de la santé le sont encore davantage ; ces personnes sont à la source des informations de base en matière de veille sanitaire (elles ne sont pas les seules bien sûr). Il faut préciser que plusieurs alertes sanitaires graves sont parties du terrain, comme cela a été le cas à propos du benfluorex (MEDIATOR) dont le signalement est venu d’une pneumologue bretonne.
Le niveau institutionnel est constitué des établissements de santé publics et privés. Il existe des dispositifs de vigilance sanitaire dont plusieurs sont réglementaires. Celles qui le sont relèvent d’un décret (D.), à l'exception de la cosmétovigilance qui relève directement d'une loi (L.) : la plus ancienne est l’hémovigilance (D. n°94-68 du 24/01/94), les autres sont la pharmacovigilance (D. n°95-278 du 13/03/95), la matériovigilance (D. n°96-32 du 15/01/96), la toxicovigilance (D. n°99-841 du 28/09/99), l’infectiovigilance (D. n°2001-671 du 26/07/01), la biovigilance (D. n°2003-1206 du 12/12/03), la réactovigilance (D.n°2004-108 du 04/02/04), la tatouage-vigilance (D.n°2008-210 du 03/03/08), l'AMPvigilance (procréation médicalement assistée (D. n°2008-588 du 19/06/08), la radiovigilance (D. n° 2010-457 du 04/05/10), ainsi que la cosmétovigilance (article L. 5131-5 de la loi n° 2014-201 du 24 février 2014). Il est clair que la pharmacovigilance concerne les médicaments. L’hémovigilance concerne la transfusion sanguine, la matériovigilance les appareils médicaux, la toxicovigilance les effets toxiques de produits non pharmaceutiques, l’infectiovigilance les infections liées aux soins, la biovigilance les produits vivants utilisés en thérapeutiques (greffes), la réactovigilance les réactifs de laboratoire (ils servent au fonctionnement des automates et leur fiabilité est d’une grande importance pour les résultats de laboratoire), la radiovigilance les complications de la radiothérapie et la cosmétovigilance les effets secondaires des cosmétiques.
Chaque vigilance réglementaire est organisée selon un circuit précis, avec un signalant, un correspondant et une instance locale, en lien avec les instances régionales et nationales. L’instance locale est appelée commission ou comité. L’enregistrement d’un évènement indésirable (EI) et sa transmission est appelé un signalement. Le terme déclaration est à éviter car il désigne un dispositif différent (en particulier : maladies à déclaration obligatoire).
En dehors de la liste (non exhaustive) de vigilances réglementaires, tout EI significatif doit être signalé en interne dans les établissements de santé.
Le niveau régional est constitué des centres régionaux de coordination des vigilances et de l’Agence régionale de santé (ARS) dont le rôle est essentiel : enregistrement, investigations, réactivité, alerte. En principe, tout événement indésirable grave dans le domaine de la santé doit être transmis sans délai à l’ARS, qu’il relève ou non d’une vigilance réglementaire.
Le niveau national est constitué de l’Institut de veille sanitaire (InVS) qui est maintenant une sous-entité de Santé publique France. Le niveau régional et le niveau national sont ceux des décisions importantes : enquête approfondie, dossier de presse, information de patients… Bien entendu, Santé publique France travaille en étroite collaboration avec l’ensemble des agences nationales qui relèvent de la santé.

Atlantico : Comment se fait-il que les associations manquent cruellement de moyens ?

Stéphane Gayet : La veille sanitaire est une activité gigantesque. Les réseaux de professionnels de santé ont des financements modestes, mais ils fonctionnent tout de même assez bien. Il est difficile de savoir où il est le plus pertinent d’investir pour la veille sanitaire, tant elle doit être partout à la fois avec des acteurs multiples et des objets qui se modifient sans cesse en fonction des avancées médicales et des phénomènes de santé. On peut affirmer que les nouveaux faits seront toujours différents et surprenants, nous prenant parfois de vitesse.
Etant donné que la veille sanitaire concerne tous les professionnels de santé, il est essentiel de développer chez eux une culture de la veille et du signalement. Mais c’est facile à dire, alors que cela demande de prendre du recul et de se poser des questions qui ne font pas partie de la pratique quotidienne. Et puis cela demande également du temps.

Atlantico : Quid de la veille sanitaire sur le territoire si elles venaient à fermer ?

Stéphane Gayet : La veille sanitaire est tellement cruciale qu’il y aura toujours des professionnels pour s’y investir, avec ou sans association. L’assurance maladie joue également un rôle dans la veille sanitaire (à moyen terme). Bien sûr, les associations d’usagers et de victimes de maladies liées aux soins sont très utiles, mais nous ne sommes pas près d’être à court de sources d’information. C’est le délai de transmission des informations aux divers organismes publics qui pourrait peut-être augmenter en cas de défaillance des réseaux et associations de professionnels et d’usagers.
Il faut parler aussi du risque inverse : celui des fausses informations en matière de faits de santé (infox sanitaire), tout particulièrement sur les réseaux sociaux. Les différents médias sont bien sûr à l’affût de toute information sanitaire à sensation, et la diffusion d’une infox est parfois si rapide et si organisée que l’on peut se faire berner.
Il faut retenir en conclusion que la France s’est dotée d’un dispositif de veille sanitaire qui est particulièrement organisé et performant. Mais il ne peut rien sans la participation active de tous les professionnels de soins.

Atlantico : Pouvez-vous nous présenter votre association REMERA (Registre des Malformations en Rhône-Alpes)?

Emmanuelle Amar : C’est un registre de malformation créé en 1973 puis repris en 2007 parce qu’il y avait déjà des problèmes de financement. Ce registre a pour but de collecter les données sur les malformations congénitales diagnostiquées dans quatre départements de France (la Loire, le Rhône, l'Isère et l’Ain). 
Les données sont collectées dans tous les services hospitaliers où elles se trouvent. Elles sont entrées dans une base de données puis analysées en continue en vue de mesurer les courbes de fréquences de ces malformations. S’il y a une courbe de fréquence qui augmente anormalement, on essaye d’en trouver la cause.Si l’on reste sans réponse, et que la courbe paraît vraiment anormale, on alerte les autorités sanitaires. 

Quel rôle des associations comme la votre jouent-elles dans la veille sanitaire en France ?

Emmanuelle Amar : Il y a une carence de services publics, un trou dans la surveillance, nous exerçons donc une mission de service public par délégation. Pourquoi par délégation ? Parce que nous étions là avant la création de l’obligation de surveillance épidémiologique c’est-à-dire l’obligation de collecte des données. 
Il y a une obligation de collecter et d’analyser des données, qui n’est pas faite sur 80% du territoire français. Pour ce qui est de la région Rhône-Alpes c’est fait par délégation pour des questions de coûts financiers. Plutôt que de donner cette mission aux services publics -ce qui coûterait très cher- l’Etat la délègue donc, dans ce cas précis, à notre association. Il ne faut donc pas inverser les rôles, nous serions ravis de faire partie de la fonction publique mais pour des questions de coûts ce n’est pas possible. Nous sommes donc adossés administrativement aux hôpitaux de Lyon.
Sur les 80% du territoire restant, il n’y a rien ou presque. C’est-à-dire qu’il y a seulement trois autres villes et régions couvertes : Clermont-Ferrand, par une toute petite association, Paris et la Bretagne par des équipes de l’Inserm dont ce n’est pas la profession de collecter les données. Ainsi, si une femme accouche d’un enfant avec des malformations et ses voisines également, à Marseille ou Strasbourg, rien ne permet de le dire. 80% des naissances France ne sont donc pas surveillées, il n’y a aucun moyen de dire s’il y a malformation ou pas. 
Sans ces données il y a peu ou pas de publications scientifiques sur le sujet -ce dont nous sommes, en partie, en charge-  et donc très peu d’amélioration des connaissances qui sont pourtant nécessaires aux cliniciens. Sans ces informations, ils peuvent difficilement prévenir leurs patients quant à d’éventuels problèmes qui pourraient être associés à des malformations. Chaque malformation correspond également à des facteurs de risque, si ces facteurs de risques sont évitables, on agit également en faisant de la prévention. Or, sans données peu de prévention. 

Votre association REMERA est financée chaque année par le biais de subventions de fonctionnement annuelles par Santé Publique France, l'ANSM ou encore l'ARS (l'INSERM ayant arrêté de verser des fonds) et la région. Est-ce suffisant pour récolter autant de données en région Rhône Alpes et entretenir des emplois à temps plein ?

Emmanuelle Amar : Non bien sur que non, nous sommes financés sur financements annuels avec des budgets qui ne sont pas pérennes. D’autant plus, que ce n’est pas directement notre association qui est financée. Effectivement, ce sont les hôpitaux publics qui reçoivent de l’argent et nous payent pour faire le travail que l’Etat ne fait pas. 
Ces fonds ne sont bien évidemment pas suffisants ni pour récolter les données ni pour entretenir six emplois à plein temps. C’est un problème récurrent, et non pas un problème de santé publique mais un problème humain. Ca n’est pas un problème de coûts puisqu’une grossesse s'interrompt avec trois cachets mais c'est un choc pour la famille concernée. D’autant plus que l’on parle très peu du sujet des malformations, c’est encore tabou, ça dérange.  
C’est d’autant plus problématique que lorsque l’Etat doit faire des coupes budgétaires nous en sommes les premières victimes, puisque nous ne faisons pas partis de la fonction publique. On s’est plaint une fois du manque d’argent (il nous faudrait 250 milles euros annuel) à Santé Publique France, non seulement nous n’en avons jamais vu la couleur mais en plus, “en représailles”, nous avons fait l’objet d’un contrôle fiscal.
C’est donc un éreintement continuel, tous les jours nous avons peur de fermer. C’est donc dramatique puisque si l’on fait des économies sur des structures comme la nôtre alors il n’y aura plus de surveillance épidémiologique, plus de collecte de données, plus d’analyse de données et donc plus d’alerte en cas d’augmentation anormale de la surveillance.

Comment expliquer aujourd'hui cette situation ? Et sur le reste du territoire ?

Emmanuelle Amar : Je pense qu’il y a une volonté de bras de fer avec l’Etat de la part de la région. La région estime que c’est à l’Etat de prendre ses responsabilités et qu’elle n’a pas à financer la santé des femmes et des enfants. Nous sommes donc pris en otage par la région contre l’Etat.
Pour ce qui est de l’Etat, Santé Publique France et Inserm veulent une hégémonie de leurs propres services alors qu’ils n’ont aucune compétence en la matière et ne se rendent absolument pas compte de ce qu’il faut faire et du coût. 

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