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Pourquoi la Constitution de la Ve République est un pilier aussi important de notre cohésion nationale
©BERTRAND GUAY / AFP

60 ans !

La Constitution de la Cinquième République, promulguée le 4 octobre 1958, fête ses 60 ans. Dans une époque où l’immédiateté tend à s’imposer, elle est un pôle de stabilité et d’efficacité dans notre démocratie et nécessite d’échapper aux modes comme aux petites tactiques politiciennes.

David Lisnard

David Lisnard

David Lisnard est Président de l’AMF, Maire (LR) de Cannes et Président de Nouvelle énergie.

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Aujourd’hui encore, elle détermine l’organisation des pouvoirs publics. Mais plus encore que le texte, et selon les mots du Général de Gaulle, « une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique ». La nôtre, née en des temps incertains, entre une Quatrième République défaillante, un système politique déliquescent et des troubles majeurs en Algérie, devait répondre à un double impératif d’ordre public et de liberté pour que perdure notre idéal démocratique.

En soixante ans, la Constitution de la Ve République a fait la preuve de sa capacité à résister à des crises majeures telles la guerre d’Algérie, la fin de ce que son Titre 12 originel nommait « la Communauté », l’explosion d’un chômage de masse durable, les attaques meurtrières d’un terrorisme islamiste que nous n’avons pas fini de combattre. Elle a surmonté l’alternance politique avec l’accession à la présidence de la République de son plus farouche opposant en 1981 qui, une fois élu, en a bien compris le mécanisme et utilisé les avantages. Elle a su aussi encaisser à trois reprises le choc institutionnel de la cohabitation.

Par bien des aspects, la longévité que connaît notre Constitution tient à l’association entre « l’efficacité, la stabilité et la responsabilité » que le Général de Gaulle a souhaité donner aux pouvoirs publics en instaurant notamment dès 1962 l’élection au suffrage universel direct du Président de la République. Cette disposition majeure est devenue la clé de voûte de nos institutions. Elle a permis de nous libérer de la figure charismatique et inégalable du fondateur de la Ve République pour octroyer à ses successeurs la seule légitimité qui soit, celle qui procède du peuple français, et conférer ainsi l’autorité nécessaire au pouvoir exécutif.

C’est aussi parce que Benjamin Constant notait, évoquant Rousseau, que « toute autorité qui gouverne une nation doit être émanée de la volonté générale » que le fondateur de la Ve République, en 1964, a pu affirmer que le pouvoir « procède directement du peuple, ce qui implique que le chef de l’État, élu par la nation, en soit le détenteur et la source ». On le voit, cette notion est à la base de la réflexion ayant conduit à la rédaction de notre régle suprême. Non pas que l’autorité fût une fin en soi – ce que ne devrait oublier aucun président de la République en la confondant avec l’autoritarisme - mais parce qu’elle était nécessaire au bon fonctionnement de nos institutions et permettait de rétablir puis de maintenir un ordre public sans lequel l’édifice démocratique s’écroulerait.

Il est de bon ton dans notre époque post moderne de fustiger l’autorité pour défendre une idée dévoyée de la liberté sans comprendre qu’il ne peut y avoir de liberté sans ordre. Le désordre a toujours favorisé la loi du plus fort, la loi de ceux qui veulent imposer des intérêts catégoriels sans prendre en compte l’intérêt général. Sans garantie des libertés publiques, sans un État fort dans ses fonctions régaliennes et capable d’assurer à chaque citoyen sa liberté individuelle dans le respect des lois, sans des règles constitutionnelles précises permettant au « pouvoir d’arrêter le pouvoir », la liberté ne serait qu’une chimère. Voilà ce que garantissent, en nous protégeant de l’arbitraire, la Constitution ainsi que le Conseil Constitutionnel dont le rôle croissant depuis les années 70 a permis « une invention continue de libertés grâce à un travail d’interprétation des textes», selon les mots du politologue Yves Meny.

Si nos libertés sont menacées aujourd’hui, elles le sont par « la tyrannie des minorités » et en premier lieu le communautarisme qui mine notre société depuis quelques années et menace l’unité même du peuple français sur le territoire national. Elles le sont par ceux qui, chaque jour, tentent d’imposer un fondamentalisme religieux dans certains quartiers, un mode de vie, des droits particuliers, des rapports de force dans certaines entreprises, facultés ou terrains agricoles. Elles le sont par les technocrates qui, au sein des rouages de l’Etat, oublient que « la France est une République indivisible », que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par la voie de ses représentants ou par référendum » et qu’ « aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».

Céder à ce type de revendications ou d’infonctions, c’est faire reculer la République et oublier qu’il ne peut y avoir de liberté sans responsabilité, et d’abord sans cette responsabilité civique pour qui nous permet de vivre libres en partageant le même sentiment d’appartenance à la collectivité. Ce double impératif d’ordre public et de liberté auquel répond notre Constitution est aujourd’hui encore un enjeu majeur au regard notamment des – parfois stupéfiants - récents débats parlementaires qui  ont abouti à un véritable concours Lépine de la proposition de révision constitutionnelle. Si la Constitution n’a pas de caractère sacré, elle n’en demeure pas moins un texte qui n’a pas à céder à l’air du temps.

Parmi ses révisions depuis 1958, l’instauration du quinquennat en octobre 2000 a toutefois marqué une certaine rupture avec l’idée que le Général de Gaulle se faisait du chef de l’État quand il affirmait que « la nature, l'étendue, la durée de sa tâche, impliquent qu'il ne soit pas absorbé, sans relâche et sans limite, par la conjoncture politique, parlementaire, économique et administrative ». Cette disposition favorise, concomitamment à un Parlement affaibli, une prise de pouvoir de la technocratie de plus en plus hors du contrôle démocratique. Les dangers inhérents à cette évolution sont de nature à bouleverser l’équilibre de notre société si l’on n’y prend pas garde, en rendant opaques les principes qui nous gouvernent et en accentuant la concentration et la centralisation des pouvoirs.

Benjamin Constant pointait l’exigence d’un pouvoir qui ne soit pas concentré en un lieu unique et défendait le principe d’une division de l’espace politique en accordant aux collectivités locales le droit de s’auto-administrer. Or, alors que depuis 1982 les lois de décentralisation successives se sont parfaitement ajustées au principe de libre administration des collectivités territoriales garanties par l’article 72 de la Constitution, on assiste ces dernières années à une réaction centralisatrice engagée par une technostructure étatique dirigiste, souvent archaïque, ne prenant plus en compte les problématiques liées à la gestion des collectivités territoriales.

Au premier rang de ces collectivités, la commune est la première à être menacée par ce mouvement impulsé par un État qui se bureaucratise, impose une fausse contractualisation et des baisses uniformes des dotations publiques qui ne sont en réalité rien d’autre qu’un prélèvement supplémentaire du pouvoir central dans des crédits qui appartenaient aux Collectivités et d’après les textes étaient sanctuarisés. De sur-prélèvements en transferts de charges non financés, en passant par la « suppression » (en réalité la nationalisation) de la taxe d’habitation qui revient à retirer aux Maires la responsabilité de lever l’impôt tout en accentuant le poids fiscal de l’État, la liste est longue des contraintes qui pèsent sur la capacité réelle de mener une action publique de proximité efficace et légitime. La commune est pourtant une République à l’échelle humaine, celle qui a façonné notre identité territoriale et celle de la responsabilité, qu’il nous faut défendre pour protéger le citoyen. Comme l’a écrit Alexis de Tocqueville : « C’est dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales mettent la liberté à la portée du peuple. » La Constitution l’affirme et le garantit, non seulement en son article 72 mais dès son article 1er qui dispose que l’organisation de la République est décentralisée.

Soixante ans après sa promulgation, la Constitution de la Ve République demeure un pilier porteur de notre cohésion nationale. Le génie du Général de Gaulle, de Michel Debré et des autres rédacteurs de la règle suprême aura été de donner à la France un texte cohérent, équilibré et efficace, y compris dans sa « plasticité », pour faire face aux défis de son temps tout en assurant à dans la une assise constitutionnelle solide aux présidents de la République. Si certaines menaces pèsent aujourd’hui sur nos libertés ou sur l’autorité légitime de l’État, elles ne procèdent ni de l’esprit ni de la lettre de la Constitution mais de pratiques qu’il nous faut dénoncer pour ne pas renoncer aux valeurs fondamentales qui fondent notre République. Vive la Ve République ! »

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