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Henri Guaino :  "La démocratie est en train de se dérober sous nos pieds"
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Grand entretien

Le 28 septembre 1958, les Français se prononçaient sur la nouvelle Constitution fondatrice de la Ve République. Un régime à "l'esprit" bien particulier, mais affaibli par de nombreuses réformes, françaises ou européennes.

Henri Guaino

Henri Guaino

Henri Guaino est un haut fonctionnaire et homme politique français

Conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, président de la République française, du 16 mai 2007 au 15 mai 2012, il est l'auteur de ses principaux discours pendant tout le quinquennat. Il devient ensuite député de la 3e circonscription des Yvelines.

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Atlantico :  Voici 60 ans, le 28 septembre 1958, les Français approuvaient à 79,2% le texte de loi constitutionnelle qui lui avait été présenté par le général de Gaulle. Que reste-t-il encore de ce qui est si souvent appelé "l'esprit de la Ve" ? 

Henri Guaino : Il faut d'abord s'entendre sur ce que l'on appelle "l'esprit de la Ve". Cet esprit est le fruit du diagnostic qu'a posé le général de Gaulle sur la succession des heurts et malheurs qu'a subi la France depuis le début de la IIIe République. En particulier le traumatisme de la défaite de 40 et l’effondrement de 58, qui menait le pays au bord de la guerre civile, et plus généralement le désordre constant des institutions depuis l'avènement de la IIIe République.

Les régimes de la IIIe et de la IVe République ne permettaient pas à la France d'être gouvernée. Ils la rendaient même, aux yeux du général, ingouvernables. Il installait le régime des partis en lieu et place de la souveraineté du peuple. C'est pour remédier à cette faiblesse congénitale que de Gaulle développait depuis la libération une vision très différentes des institutions qui permettrait à la France d'être de nouveau gouvernable et gouvernée. En réalité, il avait dans l'esprit d'instaurer ce qu'on a appelé par la suite une "monarchie républicaine". C’est-à-dire un régime qui ferait la synthèse de l'Histoire de France d'avant et d'après la Révolution et qui mettrait fin au régime des partis en rendant sa souveraineté au peuple. C’est cette vision à laquelle il va tenter de donner une réalité.

Cela aboutira au parlementarisme rationalisé dans lequel on va redonner à l'exécutif des pouvoirs importants et dans lequel on borne le pouvoir législatif dans les limites qui doivent être les siennes. Ce dispositif de 1958 est complété par la réforme de 1962 qui instaure l'élection du président de la République au suffrage universel direct de telle façon qu'au sommet de l'État soit incarné une souveraineté qui ne doive rien aux combinaisons de la politique politicienne.

D'une certaine façon l'esprit de la Ve peut se résumer ainsi : l'État (l'exécutif) domine les féodalités, qui ne sont plus dans les donjons mais dans les partis, syndicats, groupes de pression etc.

Et c'est la première Constitution qui donne autant la parole au peuple par l'élection du président et par le referendum.

De la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 à l'Europe de Maastricht en passant par la mise en place du quinquennat, quelle a été la rupture la plus importante avec la Constitution de 1958 ? 

Il est difficile de faire une hiérarchie.

Plusieurs décisions ont changé assez profondément l'ordre institutionnel établi en 1958 et 1962. La première est celle du conseil constitutionnel en 1971 qui constitutionnalise le préambule de la Constitution. Il permet au juge constitutionnel, créé pour protéger le pouvoir de l’exécutif contre les empiètements du Parlement, de juger les lois au regard des principes énoncés dans le préambule des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946. C'est un changement profond dont peu d'observateurs à l'époque ont perçu l'importance car le juge allait désormais juger les lois non plus sur le respect des règles du texte constitutionnel proprement dit mais par rapport à son interprétation des grands principes philosophiques des droits de l'Homme et du citoyen. C’était instaurer par rapport au pouvoir exécutif et législatif un nouveau pouvoir qui s'apparente à celui dont dispose les Cours suprêmes dans d'autres démocraties comme les Etats-Unis ou l’Allemagne pour des raisons qui sont propres aux Etats fédéraux, ce que la France n’est pas.

Ensuite, au fur et mesure, on a élargi la saisine du Conseil constitutionnel, le Conseil des sages lui-même a élargi sa jurisprudence et cet élargissement s'achève avec la réforme de Nicolas Sarkozy qui instaure la QPC (Question prioritaire de constitutionnalité) qui permet lors d'un contentieux à chaque citoyen de contester la constitutionnalité de la loi au regard de laquelle on prétend le juger. La loi est donc jugée en France a priori mais aussi a posteriori et désormais, le juge fait autant, sinon plus, la loi que le législateur représentant de la nation.

Cela a changé profondément l'équilibre des pouvoirs et la place de la loi et de la démocratie dans les institutions.

La deuxième grande évolution c'est évidemment le quinquennat, qui va complètement dérégler le système institutionnel qui déconnectait à l'origine le pouvoir présidentiel, avec un mandat de sept ans, du pouvoir législatif élu pour cinq ans. Une déconnexion qui pouvait permettre de temps en temps un système de cohabitation (1986, 1993 pour deux ans et cinq années consécutives en 1997). Le quinquennat a verrouillé le système en faisant coïncider mandat présidentiel et mandat législatif. Il a changé la nature du mandat présidentiel en le réduisant à cinq ans pour l'inscrire dans le temps court de l’action quotidienne normalement dévolue au Premier ministre et au gouvernement, d'où une accélération du temps politique qui change à la fois la nature de la fonction présidentielle censée prendre en le long terme et l’essentiel, et le rôle du Premier ministre.

Cette implication beaucoup plus constante du président dans l'action quotidienne du gouvernement est venue perturber la logique des institutions et le partage des rôles entre le président et le Premier ministre.

Dernier sujet : l’Europe, car la primauté du droit communautaire instauré avec Maastricht affaibli le rôle du parlement et la capacité du gouvernement à gouverner en insérant les lois et les règlements dans une nouvelle hiérarchie des normes qui conduit parfois à occulter la Constitution puisque les juridictions appliquent directement les conventions internationales et les directives européennes. D’où le sentiment de plus en plus répandu que les élections ne servent plus à grand chose.

N'est-on pas aujourd'hui dans une illusion de la Ve République ? 

Non car il y a quand même de beaux restes de Ve République grâce, surtout, à l’élection du Président au suffrage universel. En Europe aujourd'hui, le seul pays où l'exécutif est encore en capacité de gouverner vraiment est la France. Tous les autres en régime parlementaire sont dans des situations de quasi ingouvernabilité. Au milieu du chaos qui règne dans la vie politique européenne, la France tire encore son épingle du jeu. Mais c’est une situation fragile parce que la démocratie est en train de se dérober sous nos pieds.

Selon un sondage BVA- France Inter l'Obs publié le 26 septembre, 53% des Français seraient favorables à une VI République. Y voyez-vous plutôt le résultat de l'usure des institutions ou de la transformation de celle-ci au cours de ces dernières décennies ? 

De quoi parle-t-on? Vous pouvez demander aux Français s'ils sont d'accord pour une nouvelle Constitution si vous leur expliquez ce qu'il y aurait dans cette nouvelle Constitution. Que serait cette VIe République ? Un retour à la IVe et à ses errements ? Une copie du système américain où rien ne permettrait de résoudre les conflits entre l’exécutif et le législatif ?

Toute réforme constitutionnelle qui consisterait à tourner le dos aux grands principes de la Vème République au lieu de les réactualiser et de les remettre en vigueur dans nos institutions en particulier en faisant beaucoup plus souvent usage du référendum serait irresponsable au regard de l'expérience historique et des circonstances actuelles.

Comment percevez-vous la pratique "Jupitérienne" du pouvoir par Emmanuel Macron à l'aune de l'esprit de la Ve république ? 

Je n’ai pas très bien compris ce que venait faire Jupiter dans notre République. L’Elysée n’est pas l’Olympe. La fonction présidentielle exige de l’autorité ou, si l’on veut, de la verticalité, elle exige surtout que son titulaire se dissolve dans la fonction et non l’inverse. Imaginez-vous De Gaulle se prendre pour Jupiter ? Monarque républicain, oui, Dieu de l’Olympe, non.

Après François Hollande, il fallait remettre de la verticalité dans nos institutions, mais s'agit plus d'un problème de personnalité que d’institutions. L’autorité que doit incarner le Président s'impose par le comportement et l'autorité naturelle de celui qui l’exerce et non par un décret du ciel. Vouloir l’imposer autrement ne peut qu’affaiblir la fonction et donner de l’eau au moulin de ceux qui veulent abolir la Vème République.

Quel est votre position concernant la révision constitutionnelle portée par Emmanuel Macron ?    

Il y a la réforme de la Constitution elle-même, une réforme des lois organiques et une réforme d'ordre législatif. Par exemple le mode de scrutin relève de la loi ordinaire. Mais il est bien évident que le mode de scrutin a un impact considérable dans la manière dont les institutions fonctionnent. Aujourd'hui introduire de la proportionnalité dans le scrutin c'est porter un coup aux institutions.

Autre sujet dont on sous-estime les conséquences: la limitation de tous les mandats dans le temps. On se plaint du court-termisme mais en même temps on limite les possibilités de bâtir quelque chose dans la durée.

Enfin il y a surtout l'indépendance du parquet et la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature. Ironie de l'histoire, on reproche aujourd'hui à Emmanuel Macron d'intervenir dans la nomination du procureur de Paris, comme la Constitution lui en confère le droit, et c'est le même qui propose de changer la Constitution pour que le parquet devienne indépendant.  Où l’on voit les limites du « en même temps »…

Cette indépendance du parquet c'est un nouveau coup porté à l'unité de l'État car la politique pénale dépend du gouvernement et quand le fonctionnement de la justice ne convient pas aux Français ils se retournent non pas vers l'institution judiciaire mais vers l'État.  La question est toujours la même: qui in fine rend des comptes, comment et devant qui sa responsabilité est-elle engagée?

Dans toutes les grandes démocraties, les magistrats sont nommés par le pouvoir politique

Le Conseil d'État publiait une étude concernant la citoyenneté en réfutant "'idée trop simpliste d'une crise de la citoyenneté" tout en proposant des mesures permettant de fédérer la société française. Selon le communiquée "L’étude fait des propositions concernant le fonctionnement de la vie démocratique, notamment au niveau local, et la participation des citoyens à la vie publique, en particulier dans l’évaluation et le contrôle des politiques publiques." N'y voyez-vous pas un déni sur la problématique actuelle de la citoyenneté ? 

Craignons qu’à force de nier les crises nous n’attisions dramatiquement la colère des peuples. Comment ne pas voir la crise profonde de la citoyenneté ? Et qui peut croire une seule seconde que les gadgets de la démocratie participative puissent constituer une réponse sérieuse à cette crise morale?

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