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Pourquoi les dirigeants occidentaux feraient bien de regarder le puissant antidote au populisme qu'ils ont sous les yeux : Shinzo Abe
©KAZUHIRO NOGI / AFP

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Shinzo Abe vient d’être réélu à la tête du PLD (parti de la droite libérale japonaise), une position qui pourrait lui garantir son poste de Premier ministre jusqu'en 2021, un record au Japon.

Peter Tasker

Peter Tasker

Peter Tasker est installé au Japon depuis 1977. Il est associé fondateur de Arcus Investments, un hedge fund spécialisé dans les actions japonaises.

Classé meilleur analyste du marché des actions japonaises durant cinq années consécutives, il a également été éditorialiste de Newsweek Japan pendant 10 ans et est régulièrement publié par le Financial Times

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Atlantico : Shinzo Abe vient d’être réélu à la tête du PLD (parti de la droite libérale japonaise), une position qui pourrait lui garantir son poste de Premier ministre jusqu'en 2021, un record au Japon. Après la déflation japonaise du 90-00, Abe a été élu sur la base d'un discours qui a pu parfois être considéré comme "populiste" en 2012. Pouvons-nous voir le Japon et l'élection de Shinzo Abe comme un précédent à la vague de populisme, ou pourrions-nous le considérer plutôt comme une forme d'antidote?

Peter Tasker :À mon avis, il s’agit bien d’un antidote. Shinzo Abe est un homme politique accompli. J’ai pu le rencontrer brièvement avant même qu’il ne devienne politicien, mais il était déjà «en formation», lors d’un mariage auquel il assistait à la place de son père, qui était alors ministre des affaires étrangères.

Le grand-père maternel d’Abe, Nobusuke Kishi, était Premier ministre. Le frère de Kishi, Eisaku Sato, était aussi un Premier ministre qui a remporté le prix Nobel de la paix en 1974. Le grand-père paternel d’Abe était un parlementaire de tendance pacifiste. Il est donc un «sang bleu» de la politique japonaise.

Shinzo Abe a gagné en popularité au début de sa carrière en soutenant la cause des personnes kidnappées, des citoyens japonais enlevés sur le sol japonais et en Europe par des agents nord-coréens, et parfois par des agents dormeurs nord-coréens au Japon et des gauchistes japonais. C'était une question que personne ne voulait aborder, dans la mesure où elle était considérée comme une théorie du complot farfelue.

Abe était le seul politicien traditionnel disposé à s'impliquer sur ce thème. Lorsque Kim Jong Il a admis la réalité de ces enlèvements, la popularité de l'action politique d’Abe a grimpé en flèche et il est devenu le successeur désigné du Premier ministre Koizumi.

Mais son premier mandat au pouvoir, en 2006-2007, s'est soldé par un échec car il n'avait rien à dire sur l'économie. À cette époque, il était un conservateur classique rétrograde qui était porteur des valeurs familiales traditionnelles, du patriotisme, etc. Alors que pendant ce temps, le Japon était bloqué par une stagnation déflationniste.

Le succès politique de son deuxième mandat découle de l’échec du premier. Lors de son retour en 2012, la « reflation » de l’économie japonaise était l’élément clé de sa plate-forme programmatique. Il a également dénoncé le conservatisme, poussant la « womenomics » (politique en faveur de la féminisation du travail au Japon), la réforme de la gouvernance d'entreprise et les mesures d'ouverture du marché associées au PTP - qui étaient impopulaires auprès des principaux partisans du PLD tels que les agriculteurs. Il a également assoupli les conditions d'entrée pour les touristes chinois malgré les relations parfois difficiles entre les deux pays.

Il avait également sa propre équipe de politique économique, ce qui était absolument sans précédent et peut-être le plus grand changement que Shinzo Abe a permis. Normalement, la politique économique est élaborée par le ministère des Finances et la Banque du Japon, qui étaient contrôlés par des fonctionnaires de carrière. Mais à plusieurs reprises, ces derniers n’ont pas réussi à relever les défis posés par les soi-disant décennies perdues du Japon (la déflation). Il était donc temps de changer.

Mais je n’appellerais pas cela « populisme » - parce que le conseiller le plus influent de cette politique était un professeur émérite de l’Université de Yale -, mais il s’agissait d’une politique opposée à la domination (et la pensée de corps) de la bureaucratie japonaise. La volonté d'essayer des idées hétérodoxes était, dans les circonstances, l’expression d’une forme de pragmatisme.

Comment at-il construit son succès électoral au cours de ces années? Quel a été le déclencheur du renouveau du Japon?

Abe a remporté cinq élections nationales par une majorité confortable et vient d'être réélu à la tête de son parti avec deux fois plus de voix que son rival. Ses conseillers sont très intelligents. Abe lui-même n'est pas particulièrement charismatique ni éloquent, mais ce sont des qualités qui ne sont pas très appréciées au Japon. Il travaille extrêmement dur - il a visité 80 pays différents au cours des six dernières années - malgré des problèmes de santé.

Les opposants à Abe disent qu'il n'est pas très populaire, mais en fait, ses taux de soutien sont élevés en comparaison de presque tous ses prédécesseurs. À mon avis, ce succès repose au moins aux trois quarts sur les conditions économiques qui se sont nettement améliorées depuis son arrivée et l’application de sa politique de reflation. Les créations d’emplois ont été extraordinaires et la déflation des prix des actifs a pris fin. Même le ratio dette / PIB a commencé à baisser, tout cela parce que le PIB augmente.

Quelles leçons les leaders occidentaux pourraient-ils tirer de Shinzo Abe? Quelles sont les leçons pour l'Europe?

Les pays de la zone euro ont des contraintes politiques que le Japon n'a pas. Mais le message économique de base est le suivant :

A) Vous devez sortir de la crise

B) Il n'y a pas de solution sûre, mais pragmatique, l'essai et l'erreur sont la meilleure approche.

C) Il n'y aura pas de «crise de la dette» pour les pays ou zones qui sont des créanciers nets / qui ont des excédents courants.

D) Plus la croissance est importante, plus les recettes fiscales sont importantes, moins il y aura d'émission de dette publique

En matière de politique et de populisme, je dirais - empruntant cette formulation au professeur Cas Mudde de l’Université de Géorgie - que le Japon est moins libéral, mais plus démocratique que la majorité des pays occidentaux et de l’UE elle-même. Par plus démocratique, je veux dire que l'élite est plus proche des valeurs, des intérêts et de culture de la population. Cela est en soi un puissant remède contre le populisme.

Historiquement, le populisme ne se produit que lorsque le libéralisme a échoué. Cela signifie qu’il s’agit principalement du résultat d’un échec économique, mais il faut également tenir compte des problèmes culturels et sociaux.

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