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Homéopathie : peut-on vraiment s’en remettre à la justice pour trancher des débats scientifiques ?
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Poudre de perlimpinpin

La faculté de médecine de Lille vient de suspendre son diplôme d’homéopathie. C’est le dernier épisode d’une controverse mettant en lumière la manière d’agir de beaucoup de croyants. Ils cherchent à obtenir par les tribunaux ce que la science leur refuse, afin de cautionner leur idéologie auprès du grand public. Ce qui n’est pas sans poser un sérieux problème quant à la recherche de la vérité et in fine, quant au fonctionnement normal de notre démocratie en interdisant tout débat sur le fond...

Vincent Laget

Vincent Laget

Vincent Laget est ingénieur ENSAIS, spécialiste informatique, expert en ordonnancement de travaux batch. Il enseigne la zététique depuis près de 20 ans et fait partie du mouvement Science Technologies Actions : https://sciencetechaction.tumblr.com

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Tout commence le 18 mars dernier avec la publication dans le Figaro d’une tribune incendiaire[1] de 124 médecins qui réclament publiquement auprès de leur conseil de l’Ordre la sortie de diverses pratiques plus ou moins ésotériques (dont l’homéopathie) du champ de la Médecine. Bien évidemment, cette revendication n’est pas du tout du goût des médecins homéopathes de France et leur syndicat national porte plainte auprès de l’Ordre des médecins. Et c’est ainsi que les médecins signataires de la tribune se retrouvent désormais sous le coup d’une possible sanction disciplinaire[2].

Comment en est-on arrivé là ? Cette poursuite disciplinaire est-elle nécessaire ? N’y a-t-il pas moyen de conclure le débat autrement ? Les médecins n’ont-ils pas le droit de débattre du bienfondé scientifique de telles thérapeutiques ?

Pour s’en faire une idée, comparons la démarche des signataires à celle de leur opposant, le syndicat national des médecins homéopathes français (SNMHF).

Les 124 médecins signataires lancent le débat en s’appuyant sur le respect d’une règle simple : l’efficacité d’un médicament ou d’une thérapeutique doit être démontrée objectivement pour prétendre faire partie de la Médecine. L’homéopathie doit en être exclue parce que, selon eux, elle ne respecte pas cette règle et qu’elle n’a jamais fait la preuve de son efficacité[3].

De son côté, le SNMHF répond en fondant sa plainte sur le caractère non-confraternel des auteurs de la tribune : dire publiquement qu’un collègue médecin homéopathe a une pratique thérapeutique digne d’un charlatan n’est pas convenable et chacun des 124 auteurs de la tribune doit être poursuivi et sanctionné pour l’avoir écrit.

Cette dernière démarche est représentative de cette nouvelle façon de débattre, ou plus exactement de clore le débat en gagnant sur la forme et non sur le fond. Elle doit être bien comprise : le SNMHF ne cherche pas à répondre aux arguments développés par ses collègues signataires de la tribune ; il cherche à les faire taire et à intimider tout autre confrère tenté de se poser la question de l’efficacité objective de l’homéopathie en faisant planer la menace de poursuites disciplinaires systématiques.

Le SNMHF aurait pu faire le choix du débat, et répondre aux 124 signataires en produisant des études scientifiques et des publications montrant l’efficacité thérapeutique de l’homéopathie.

Cette polémique pourrait être amusante si ce comportement n’était pas révélateur d’une dérive inquiétante dans notre pays héritier des Lumières : pour avoir raison, certains croyants n’hésitent plus à faire taire ceux qui pensent différemment d’eux. Ils ferment tout débat en « éliminant » tous ceux qui osent contester leurs préconceptions, que ce soit physiquement, comme avec la tragédie de Charlie Hebdo, ou plus vicieusement en instrumentant la voie judiciaire, principalement (mais pas uniquement) par une habile utilisation de la diffamation.

Pour appuyer notre propos, nous pouvons citer les récents tracas judiciaires dont a fait les frais le sociologue Jean-Paul Kauffman[4]. Ce spécialiste de la sociologie des couples a qualifié d’arnaque les thèses scientifiques sur lesquelles s’est appuyé un « expert » pour sélectionner des couples lors de l’émission de M6 Mariés au premier regard. Tous les couples constitués lors de cette émission se sont séparés depuis, donnant raison au sociologue. Pourtant, il risque d’être condamné à payer 12 000 € et de possibles dommages et intérêts, ainsi que des frais d’avocat. Encore une fois, « l’expert », plutôt que de justifier le bienfondé de sa démarche et de ses méthodes, a préféré poursuivre le sociologue en diffamation...

Il y a bien d’autres cas similaires, comme celui du scientifique Marc Fellous[5], poursuivi (et condamné) en diffamation par Gilles-Éric Séralini, pour avoir demandé à France 2 le droit d’exprimer son avis (en l’occurrence conforme à celui de l’ensemble de la communauté scientifique) sur les OGM. Le plaignant avait été rendu célèbre par le Nouvel Observateur, posant avec des rats déformés par les tumeurs produites dans le cadre de ses travaux sur la nocivité supposée des OGM, aujourd’hui totalement discrédités[6]...

Ou encore la documentariste Sophie Robert[7], poursuivie en diffamation pour avoir tourné un reportage critique sur la psychanalyse.

Chercher la vérité et la dire, comme le disait Jean Jaurès, devient-il aujourd’hui moins important que de gagner la partie, par tous les moyens, y compris les plus vils ? Peut-il y avoir encore une démocratie si certains citoyens arrivent à interdire tout débat ?

Car il ne faut pas s’y tromper : derrière cette controverse sur l’efficacité de l’homéopathie, c’est bien à ces questions fondamentales qu’il convient d’apporter une réponse appropriée...



[2] http://www.leparisien.fr/societe/sante/medecins-classiques-contre-homeopathes-la-guerre-est-declaree-28-07-2018-7836618.php

[3] Pour se faire rapidement une idée sur la question de fond de l’efficacité de l’homéopathie et de l’acupuncture, voir Jean-Jacques AulasDe granules en aiguilles… L’homéopathie et l’acupuncture évaluées, Éditions book-e-book : https://www.book-e-book.com/livres/16-de-granules-en-aiguilles-l-homeopathie-et-l-acupuncture-evaluees-9782915312188.html

[5] https://blogs.mediapart.fr/yann-kindo/blog/201110/seralini-contre-lafbv-un-proces-inquietant

[6] https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/a-ce-stade-personne-ne-peut-dire-que-les-ogm-sont-cancerogenes-chez-lhomme_2834247.html

[7] https://www.sciencesetavenir.fr/sante/autisme-la-realisatrice-du-film-le-mur-condamnee_12786

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