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France des villes contre France des campagnes : l’erreur politique majeure dans laquelle s’enferment le nouveau monde ET son opposition
©Benjamin CREMEL / AFP

Irréconciliables ?

Selon une analyse réalisée par la Fondation Jean Jaurès, la sociologie du macronisme reposerait sur un groupe constitué des "optimistes" de la société française. Un clivage sociologique qui n'est pas sans danger.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Selon une analyse réalisée par la Fondation Jean Jaurès, la sociologie du macronisme, tout comme l'indiquait le politologue Luc Rouban dans son dernier ouvrage "le paradoxe du macronisme" reposerait sur un groupe sociologique constitué des "optimistes" de la société française. Dans quelle mesure le nouveau monde est-il finalement un monde plus dominé par des fractures sociologiques que politiques ? 

Laurent Chalard : S’il apparaît difficile de déterminer exactement les caractéristiques d’un groupe sociologique partisan d’Emmanuel Macron, étant donné la diversité de profil de son électorat centriste, une chose n’en est pas moins sûre, le traditionnel clivage idéologique gauche/droite, qui a largement dominé la vie politique française depuis la Révolution, semble, au moins temporairement comme à l’époque du général de Gaulle, avoir été mis à mal. Les français ne se positionnent plus politiquement en fonction d’opinions traditionnellement héritées de l’entourage familial et très tranchées (pour l’observateur étranger, il y a souvent l’impression qu’il existe deux « France » aux valeurs totalement opposées), mais beaucoup plus en fonction de leur positionnement sociologique au sein de la société, conséquence assez logique du triomphe de l’hyper-individualisme. Les individus ont désormais tendance à beaucoup plus se positionner en fonction de leur intérêt personnel que d’un intérêt collectif, qui n’est plus perçu, la société nationale n’existant plus comme le démontre le géographe Christophe Guilluy dans son nouvel ouvrage, No Society. Dans ce cadre, Emmanuel Macron, par son discours mettant en avant ceux qui réussissent, séduit assez logiquement les personnes qui se perçoivent comme des « gagnants » de la mondialisation, aussi bien des cadres financiers de La Défense que des viticulteurs de Champagne, des cadres moyens de l’Ouest de la France ou des immigrés des grandes métropoles en phase d’ascension sociale, que l’on peut effectivement catégoriser comme des « optimistes »,alors que les français qui se perçoivent comme les « perdants », dont les ouvriers et anciens ouvriers du nord-est, les petits éleveurs laitiersou encore les descendants d’immigrés pauvres des banlieues populaires des grandes métropoles, ne s’y retrouvent guère, leur « pessimisme » apparaissant compréhensible…

Bruno Cautrès : L’étude de la Fondation Jean Jaurès, qui repose sur le panel électoral du CEVIPOF et ne concerne que les sympathisants (les personnes qui se déclarent proches de LaREM lorsqu’on leur demande de quel parti politique ils se sentent proches), confirme ce que les chercheurs du CEVIPOF avaient montré pendant la campagne de 2017 puis ensuite. Le socle sociologique des électeurs ou des sympathisants de LaREM est à la fois assez peu différent de l’ensemble du pays, mais quand même caractérisé par une plus forte proportion de diplômés, de hauts ou assez hauts revenus et de personnes d’âge mûr, voire bien mûr. C’est effectivement une France qui va plutôt bien du point de vue de de son rapport aux conditions de vie. Il n’est pas surprenant, pour le spécialiste de sociologie électorale, que le vote ou la sympathise pour un parti politique soit sociologiquement marqué : les préférences politiques expriment encore avec beaucoup de force les appartenances sociales. A cet égard, la proximité pour LaREM n’est pas très différente de beaucoup d’autres formations politiques : être sympathisant de LR ou du RN, c’est aussi très marqué sociologiquement ; du côté du PS c’est sans doute moins marqué qu’auparavant compte-tenu de l’affaiblissement du poids de cette proximité partisane, mais on constate toujours que la sympathie pour le PS ne se retrouve pas dans toutes les couches de la population. Donc, le « nouveau monde » n’est effectivement pas un monde politique sans sociologie !

Dans quelle mesure le qualificatif de "progressisme" (finalement mal défini) employé par Emmanuel Macron pour caractériser son orientation politique pourrait masquer la réalité de ce clivage sociologique ? 

Laurent Chalard : L’emploi du terme « progressiste » par Emmanuel Macron relève uniquement d’une stratégie électorale bien huilée. Pour se maintenir au pouvoir, le Président a bien compris tout l’intérêt qu’il avait de diaboliser son opposition qualifiée de « populiste », se présentant comme le garant de la préservation de l’ordre démocratique. Sa stratégie est assez simple, soit vous votez pour moi et j’assure la pérennité du système tel qu’il fonctionne, soit vous votez pour les autres, mais vous prenez des risques inconsidérés, aussi bien sur le plan politique (risque de dérives autoritaires) qu’économique (sortie de l’euro). D’un certain côté, Marine Le Pen, incompétente notoire, est la meilleure alliée d’Emmanuel Macron car elle empêche l’émergence de toute opposition souverainiste démocratique crédible. D’ailleurs, cette stratégie a plutôt bien fonctionné dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, surtout vis-à-vis des personnes âgées. Même si ce n’est pas un spécialiste des élections, la lecture du philosophe Michel Onfray est assez proche de la réalité, hors Macron, point de salut ! En tout cas, c’est effectivement un bon moyen pour le Président de masquer la réalité du clivage sociologique de l’électorat français, puisqu’au lieudeprésenter le combat politique comme un conflit entre les pauvres et les riches, les perdants et les gagnants de la mondialisation, la « France Périphérique » et les « grandes métropoles », se présenter comme le défenseur du camp « progressiste » lui permet d’orienter le débat d’une manière lui étant plus favorable, sur le registre d’une lutte des « gens raisonnables », dont il est le représentant, contre les « personnalités malades », les populistes.

Bruno Cautrès : Ce n’est pas exactement le fait que cela « masque » le clivage sociologique : c’est plutôt que ça l’accompagne. Les catégories sociales qui se portent bien socio-économiquement sont souvent celles qui sont les plus tournées vers l’avenir, qui n’ont pas de mal à se projeter vers l’avant. Elles disposent du capital économique mais aussi du capital culturel, du capital social également, qui permet de voir l’avenir avec optimisme. La corrélation entre éducation et progressisme est forte dans de très nombreux pays et la France n’échappe pas à la règle. Le progressisme, c’est-à-dire le soutien au changement social et culturel, l’acceptation du monde ouvert et le refus du repli (identitaire notamment), est fortement présent parmi les électorats les plus diplômés, y compris lorsqu’ils ne sont pas sympathisants de LaREM. Un écart toujours important sur ce point existe par exemple entre les sympathisants LR et les sympathisants RN. Mais c’est vrai que dans le cas des sympathisants LaREM, c’est un fort niveau de tolérance culturelle que l’on rencontre. L’étude de la FJJ montre néanmoins des nuances et un rapport plus compliqué que cela sur la question de l’immigration. 

Quels sont les risques découlant d'une telle situation ou la sociologie domine le politique ? En quoi le débat démocratique peut-il être menacée par cette domination de telles fractures sociologiques sur la polarisation politique ? 

Laurent Chalard : Si, à court terme, la stratégie d’Emmanuel Macron s’avère gagnante, à long terme, pour l’avenir de la France, elle apparaît très risquée. En effet, en empêchant l’émergence de toute opposition crédible proposant un autre modèle de société, il existe une dérive certaine de « pensée unique », voire de « parti unique ». Dans un contexte d’élimination du jeu politique des deux anciens partis dominant, le parti socialiste et Les Républicains, l’opposition est désormais constituée principalement de partis populistes, à l’extrême-gauche et à l’extrême-droite. Or, aucun ne pouvant envisager d’être majoritaire, leur arrivée au pouvoir par les urnes deviendrait impossible, puisqu’il y aurait toujours au second tour une coalition de tous les autres partis contre, ce qui pourrait conduire certains à des tentations de contourner les résultats des urnes dans la rue. En outre, le clivage riche/pauvre ne peut aller qu’en s’accentuant, conduisant de plus en plus ces derniers au désespoir. Rappelons qu’une démocratie ne peut bien fonctionner que s’il existe des débats, avec des courants de pensée divers et variés, et que s’il existe un changement régulier des dirigeants politiques. Dans le cas contraire, s’il n’existe plus qu’un courant de pensée détenant la vérité, notre système démocratique,déjà bien mal en point, serait menacé car le régime au pouvoir serait perçu comme tout aussi autoritaire que les régimes que souhaiteraient mettre en place ses opposants. La France a besoin de diversité d’opinion et les français besoin d’avoir l’espoir de pouvoir s’inventer un autre futur.

Bruno Cautrès : Le débat démocratique ne me semble pas « menacé ». On pourrait néanmoins souligner que la persistance de forts clivages sociologiques dans l’espace politique français, et pas seulement à LaREM, pose la question suivante : de quelle manière ces clivages sont-ils pensés par les forces politiques ? On voit par exemple que LR et Laurent Wauquiez veulent occuper le terrain des « classes moyennes déclassées », que les forces politiques de gauche veulent parler aux catégories populaires et aux classes moyennes, que le RN veut faire un peu tout cela à la fois. Mais il est vrai que par rapport à il y a trente ans, les forces politiques parlent moins des « fractures sociales » et tendent à accentuer dans leurs programmes et communications les enjeux socio-culturels : il faut dire que les marges de manœuvre économiques ne permettent peut-être plus de proposer de grands changements économiques, favorisant tel ou tel groupe social. Emmanuel Macron tente un pari compliqué et compliqué à expliquer aux Français : repenser qui doit bénéficier de quoi du point de vue des ressources publiques et des systèmes de redistribution. Mais il n’est pas simple (et on voit qu’il est risqué du point de vue de l’opinion publique), d’expliquer aux retraités qu’ils font partie de ceux qui auraient déjà bien bénéficié (d’après cette politique) et qu’il faudrait redistribuer en faveur des actifs. Non seulement cela n’est pas simple à faire et expliquer, mais cela peut aussi créer de nouvelles injustices. 

En quoi ces clivages sociologies sont-ils finalement plus complexes que l'opposition qui peut parfois en être faite entre une France des campagnes que chercherait à incarner Laurent Wauquiez et cette France des villes qui serait incarnée par Emmanuel Macron ? 

Laurent Chalard : Ces clivages sociologiques recouvrent largement la fracture entre une « France Périphérique », hétérogène, comprenant des campagnes mais aussi de nombreuses petites et moyennes villes, et les métropoles, donc on ne peut parler d’une réelle plus grande complexité. La principale différence est qu’à l’heure actuelle, c’est Marine Le Pen qui incarne le mieux la « France Périphérique » et non Laurent Wauquiez, qui conserve des soutiens importants dans la bourgeoisie catholique des grandes métropoles, alors qu’Emmanuel Macron demeure effectivement avant tout le candidat des grandes métropoles, comme en a témoigné ses scores dignes des dictateurs africains réalisés au second tour de l’élection présidentielle, même s’il réalise de bons scores dans l’ouest de tradition centriste.

Bruno Cautrès : Le vote de 2017 déjà ne recoupait pas exactement une coupure villes / campagnes. Il est vrai que les villes et les centre-villes sont souvent beaucoup voté pour Emmanuel Macon, mais cela est plus complexe : ces espaces géographiques ont aussi voté Mélenchon ou Hamon. Il faut donc un peu se méfier des catégories trop globales comme « le vote des villes » ou « le vote des campagnes ». Les travaux réalisés par les spécialistes de géographie électorale ont montré un kaléidoscope plus fin et plus complexe pour le vote de 2017. C’est davantage la coupure entre « optimistes » et « pessimistes », parfois réduite à une coupure entre « gagnants » et « perdants » (de la globalisation en particulier) qui a été importante en 2017. Mais on voit aujourd’hui que cette coupure s’accompagne de clivages sociologiques importants. Le second tour de la présidentielle est très sociologiquement marqué. Là où la stratégie de Laurent Wauquiez se comprend c’est davantage au plan politique : il veut parler à une France qui ne se retrouve pas dans le macronisme, pas seulement une France rurale mais aussi une France des petites villes. La logique est politique parce qu’il s’agit sans doute pour lui d’essayer de capitaliser sur l’idée d’un Emmanuel Macron qui ne serait pas à l’écoute du local, des collectivités locales, des élus locaux. Les élections municipales de 2020 nous diront si cette stratégie a été payante ou pas.

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