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Ces factures inattendues que nous continuons de payer 10 ans après la crise
©MARIO TAMA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Lourdes conséquences

Une décennie après la terrible crise financière internationale liée à la faillite de Lehman Brothers, des effets persistent en France.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Démographie, liens de confiance, habitudes, revenus et richesses etc...l'évolution de la société française semble s'être accélérée au cours de ces dernières années. 10 années après la faillite de Lehman Brothers et la crise de 2008, quelles sont ces effets -parfois inattendus- qui pèsent encore sur le pays et la population ? 

Alexandre Delaigue : Les crises économiques ont de multiples effets qui ne se font sentir que sur le long terme, mais qui sont très durables. On sait ainsi que l'état du marché du travail lorsque vous entrez dans la vie active conditionne par la suite toute votre carrière : si vous débutez en récession, avec un salaire peu attractif,  cela affectera toute votre évolution salariale future pendant l'ensemble de votre carrière. On a constaté aussi que cela conditionne les attitudes, le goût pour le risque, le comportement coopératif, etc. On peut noter par exemple qu'alors que le cas 40 a considérablement augmenté depuis 2008 et le pire de la crise, la proportion de français qui détiennent des actions a été divisée par deux pendant la même période! c'est autant de gens qui n'ont pas bénéficié de la hausse boursière. Le résultat de la crise c'est aussi une augmentation des inégalités de revenu. On pourrait ajouter les effets à long terme de l'austérité budgétaire. Des mesures qui font stagner les salaires dans la fonction publique, qui sont présentées sur le moment comme du "bon sens" économique pour lutter contre la dette, dégradent régulièrement la qualité du recrutement dans celle-ci; mais les effets ne se font sentir qu'à long terme.
Et il faut le rappeler: la France n'a pas été le pays le plus affecté par la crise économique. Elle n'a pas eu d'impact majeur sur sa démographie ou sur la santé publique comme dans d'autres pays. Car de manière générale les récessions accroissent la mortalité quand elles surviennent. 

Peut-on considérer que le pays s'est empreint d'une "mentalité de crise" qui pourrait avoir des effets structurels sur le pays ? Quels sont-ils et quels sont les risques qu'ils peuvent représenter ? 

Il y a deux effets contradictoires des chocs économiques sur les mentalités. D'un côté cela réduit l'appétit pour le risque, crée une sorte de "mentalité de crise" dont le résultat est une croissance économique moins forte, et un durcissement des attitudes sociales: hostilité vis à vis de l'immigration, raidissement envers les comportements "hors normes", etc. Cela a été documenté par l'économiste Benjamin Friedman dans "the moral consequences of economic growth": il montre que lorsque la situation économique se dégrade, historiquement on a toujours assisté à la montée des extrêmes, de la violence dans la société, etc. Dans le même temps toute une littérature montre que l'expérience de catastrophes a tendance à renforcer les attitudes pro-sociales et coopératives. Mais la crise n'est pas perçue comme une expérience de catastrophe partagée, on a donc plutôt l'impression que l'effet négatif va l'emporter. 

Quels sont les moyens de sortir d'une telle situation ? Un retournement de tendance économique, du même type de qui est décrit aux Etats-Unis comme une économie "à haute pression" pourrait-il changer la donne ? Avec quels effets ? 

On ne peut pas dire qu'aux USA l'économie sous haute pression a particulièrement eu des effets politiques positifs! La situation actuelle est paradoxale parce qu'alors qu'on a connu une crise majeure elle n'a rien changé sur le plan politique, elle n'a fait qu'exacerber les tendances préexistantes. Il est remarquable de constater que le débat de politique économique et sociale en France est le même qu'avant la crise: l'obsession de la dette publique, la déréglementation du marché du travail pour lutter contre le chômage, l'hostilité à l'immigration économique, la finance comme secteur d'avenir (le gouvernement français obsédé par la volonté d'attirer la finance londonienne après le Brexit...), l'Europe comme seul horizon. Tout se passe comme si les dirigeants voulaient absolument revenir en arrière comme si rien ne s'était passé, sans volonté de faire du neuf en se nourrissant de l'expérience. Nos dirigeants semblent tétanisés par les évolutions du monde, comme les dirigeants des pays communistes au moment de Gorbatchev, comme l'a remarqué l'économiste B. Milanovic. 

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