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Ce que la brutale désaffection des électeurs du MODEM révèle de la nature du macronisme
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Sondages en berne

Selon un récent sondage, les électeurs du Modem ont exprimé leur défiance envers le président de la République.

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : Avec 83% d'opinion défavorable, les électeurs du Modem, parti pourtant intégré à la majorité, montre une défiance encore plus large à l'égard d'Emmanuel Macron que les électeurs LR (75%) et PS (75%). Comment expliquer un tel paradoxe ? Quelles pourraient-être les "coins" idéologiques séparant les électeurs Modem d'Emmanuel Macron, notamment sur la question de l'exercice du pouvoir ou sur la décentralisation, thèmes chers aux électeurs centristes ?

Macron et le Modem : un espace d’esprit critique a pu s’installer

Jean-Philippe Moinet : Défiance à l’égard d’Emmanuel Macron est un mot fort, pour un sondage qui ne mesure que le caractère « favorable » ou « défavorable » de l’opinion concernant «  l’action d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République ». Le sous-échantillon de Français se disant sympathisants du Modem est aussi quantitativement faible dans cette étude, mais une tendance apparaît sans doute et elle a un sens : allié clair d’une majorité présidentielle largement dominée par LREM, les sympathisants du centre Modem ont pu être heurtés ces derniers mois par trois éléments convergents, dont l’un n’est peut-être que de conjoncture cet été, nous verrons.
1/ L’affaire Benalla, d’abord. Elle a réveillé les oppositions diverses et elle a mis le doigt, non pas sur l’exercice du pouvoir par le chef de l’Etat lui-même – cette affaire ne concerne que le cas d’un conseiller qui a dérivé dans ses agissements, ce qui peut être constitutif, la justice le dira ou non, d’un excès de pouvoir – mais elle a reflété une position défensive qui s’est traduite par un quasi-silence et un flottement de l’exécutif sur ce sujet, attitude qui a peut-être amplifié durant l’été la place prise par cette « affaire » . Avec également cette phrase, qui a pu être interprétée comme une rodomontade d’un chef d’Etat arc-bouté sur sa certitude et son pouvoir suprême: s’ils veulent un responsable, « qu’ils « viennent me chercher ».
Cette posture rejoint plus globalement une conception gaullo-jupitérienne de la fonction présidentielle, le chef de l’Etat étant juridiquement irresponsable devant les assemblées parlementaires (qui ne peuvent donc pas « venir le chercher »). Or, cette conception et cette pratique ne correspondent pas, au fond, à la culture girondine et démocratique des centristes et libéraux politiques en général, et de ceux du Modem en particulier. Dans les épisodes de tensions, Emmanuel Macron est plus républicain que démocrate, ce qui d’ailleurs peut faire sa force et sa solidité dans les épreuves politiques face aux contestations ou événements. Mais ça le met en porte-à-faux avec la culture centriste, où le culte du chef est limité.
2/ Le girondisme du Modem a aussi été mis à mal par la relation du chef de l’Etat vis-à-vis des « territoires », et notamment ceux de tradition rurale et catholique qui font une partie des terres historiques d’élection du centre, notamment dans l’Ouest et le Sud-Ouest de la France. Quand Emmanuel Macron et Edouard Philippe, sur les questions budgétaires, entament un bras de fer avec les mairies, départements et régions, une partie de la culture Modem se sent donc heurtée.
3/ En outre, dans les débats qui ont entouré la réforme des institutions, les volontés du Modem et de son Président, François Bayrou, notamment sur la dose de proportionnelle à prévoir dans le mode de scrutin pour les futures élections législatives,  cette volonté n’a pas eu totalement gain de cause. Là encore, la sensibilité centriste a pu se sentir mal servie par les arbitrages du pouvoir exécutif. Cet ensemble de considérations fait que le pacte Macron-Bayrou, loin d’être rompu (ce pacte, sauf accident, les deux hommes l’ont établi pour la durée du quinquennat) est quand même affaibli dans son inconditionnalité.
François Bayrou reste sans doute, en coulisses, à la fois consulté et écouté par Emmanuel Macron. Il se disait même, en cette rentrée de septembre, que le cercle des proches que le Président consulterait plus régulièrement comprendrait François Bayrou. Mais chez les sympathisants du Modem, couve un sentiment de frustration, d’autant que deux importants dirigeants de ce mouvement, François Bayrou et Marielle de Sarnez ont du, il y a un an, quitter le gouvernement.  Cet éloignement a, mécaniquement, créé un espace dans lequel un esprit critique a pu s’installer.  

Du côté des figures du Modem, en dehors d'un François Bayrou resté plus silencieux pour le moment en cette rentrée, Jean-Louis Bourlanges, par exemple, a pu prendre ses distances notamment sur la question de la présidence de l'Assemblée nationale. Comment mesurer l'état de tension existante entre les cadres du Modem et LREM ?

Ce qu’a clairement voulu souligner Jean-Louis Bourlanges

Oui, Jean-Louis Bourlanges, avec la finesse et l’ironie qu’on lui connaît, a relevé pendant la courte « campagne » des parlementaires pour le Perchoir de l’Assemblée Nationale, qu’il aurait pu être logique que la majorité parlementaire dans son ensemble - à savoir LREM + le Modem – discutent tous ensemble de la succession de François de Rugy, sans distinction des appartenances de groupes. C’était ainsi souligner que la logique de majorité était supplantée par une logique de parti, en l’occurrence par celle du parti ultra-dominant, LREM. Et que l’allié Modem se sentait floué dans ce jeu des chaises musicales.
Une autre règle, plus ouverte, aurait sans doute abouti au même résultat : l’accession à la présidence de l’Assemblée de Richard Ferrand. Mais le fait de ne pas l’avoir choisie a pu amplifier le sentiment, qui peut devenir ressentiment, que le Modem n’est finalement que la 5ème ou la 8ème roue du carrosse présidentiel. Arithmétiquement, depuis juin 2017, LREM détient à lui seul la majorité absolue des sièges à l’Assemblée Nationale. Mais politiquement et psychologiquement, il aurait certainement été plus judicieux, et efficace pour le long terme, que LREM fasse au moins semblant de laisser davantage de places au Modem. L’approche des élections européennes offrira probablement au Président de la République cette occasion de manifester une « ouverture » aux alliés de LREM, et au Modem en particulier. L’Europe est l’un des points forts de la jonction entre Emmanuel Macron et François Bayrou, et plus largement une grande partie de ceux qui soutenaient Alain Juppé aux primaires de la droite et du centre. Dans le sondage IPSOS que vous évoquez, on voit d’ailleurs qu’une nette majorité de sympathisants du Modem gardent toujours une opinion positive à l’égard d’Alain Juppé.  

Qu'est ce que cette situation, concernant aussi bien les électeurs et les cadres du Modem, nous apprend du macronisme ? Quelles sont les leçons à tirer de cette situation ? 

Le macronisme est politiquement meuble, comme on le dit d’une terre meuble : et pour François Bayrou, qui s’y connaît en culture agro-rurale, cela lui apparaît sans doute une terre plutôt facile à travailler. Alors, il y a un écart entre les sympathisants du Modem et le socle des soutiens LREM d’Emmanuel Macron ou entre les cadres LREM et ceux du mouvement centriste ? Je ne pense pas que cela gêne profondément le chef de l’Etat qui, à la fois, assume ses positions politiques et se met à l’écoute de ses alliés (comme de ses adversaires d’ailleurs). L’enjeu n’est pas là. Tout est et sera question de dosage et de centre de gravité. Or, dans l’opinion, le centre de gravité est passé, sous le quinquennat de François Hollande et du fait du surgissement de certains événements, du centre gauche social-démocrate plutôt mou à un centre droit libéral-républicain plus affirmé. Le macronisme a surfé sur ce mouvement d’opinion, profitant aussi de la décomposition avancée des partis politiques traditionnels et d’une volonté, devenue forte en France, de dépasser le clivage gauche-droite pour traiter de grandes questions : l’Europe, l’Environnement, dans une certaine mesure l’économie et le social.

Deux gisements que la Macronie n’a pas épuisé

Dans ce mélange macronien, qui combine sans cesse certitudes jupitériennes et ouvertures à la discussion (et aux acteurs de la société civile aussi), le Président de la République devra à la fois conforter ses alliés actuels (dont le Modem) et, en même temps, en trouver d’autres pour faire mouvement face aux oppositions. La perspective des élections européennes est déjà déterminante. Au moment où lui et son Premier ministre subissent les effets d’un trou d’air, en terme de popularité, il leur faut amorcer une séquence offensive : à la fois faite de réformes actives (elles ne manqueront pas) mais aussi de nouvelles alliances (elles ne dessinent pas clairement).
Le centre droit et la société civile restent deux gisements qui sont loin d’avoir été épuisés par la Macronie au pouvoir. Cette année 2018-2019 dira si Emmanuel Macron, et Edouard Philippe s’il reste Premier ministre (ce qui, à ce jour, reste plus que probable) trouveront ou non les voies et moyens de compléter en toute cohérence le dispositif majoritaire, s’ils amplifieront ainsi la recomposition du paysage politique (ce qui est chose possible, sur la question européenne notamment). Ou si, l’audace manquant et un second souffle n’arrivant pas, ils resteront dans l’étiage actuel en terme d’opinion, autour d’un quart d’opinions favorables.
Dans ce dernier cas, bien sûr ils pourront se satisfaire de voir les oppositions diverses toujours éclatées et restées assez impuissantes politiquement, dans le court terme en tout cas. Mais l’adhésion pourra aussi manquer au pouvoir exécutif, à la fois pour passer les caps de réformes structurelles annoncées et pour franchir le cap des élections dites « intermédiaires » (européennes et municipales qui suivront de 2020). Ce serait alors le retour à une sorte de présidence « normale », telle que les ont vécu François Hollande et, avant lui, Nicolas Sarkozy, qui ont, in fine, perdu (ou renoncé à) l’élection pour un second mandat. On n’en est pas là, il reste 3 ans et demi et beaucoup d’épisodes que l’histoire écrira d’ici 2022. Mais il est certain que cette normalité n’est pas le rêve d’Emmanuel Macron. Ni d’ailleurs de ceux qui, comme François Bayrou, l’ont activement soutenu.  

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