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Elections en Suède : beaucoup de vainqueurs ou beaucoup de perdants ?
©JONATHAN NACKSTRAND / AFP

Pyrrhus ?

En Suède, les sociaux-démocrates ont très légèrement devancé la droite et l'extrême-droite qui affiche des scores malgré tout importants lors de l'élection de ce dimanche. Une situation qui ne fait pas forcément les affaires de la coalition gagnante.

Mikaa Mered

Mikaa Mered

Mikaa Mered est professeur de géopolitique des pôles Arctique et Antarctique à l’Institut Libre d’Étude des Relations Internationales (ILERI) à Paris. Son ouvrage Les Mondes polaires (PUF, 2019) sortira en librairie le 16 octobre.

 

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Atlantico : La coalition de gauche et le parti de l'actuel Premier ministre suédois, Stefan Löfven, arrivent en tête des élections avec 0,3% d'avance sur l'alliance de centre droit. En troisième position suivent les Démocrates de Suède qui auraient remporté 17,6% des voix. Alors que certains sondages lui prédisaient entre 20% et 30% des voix, que dire du score de l'extrême droite suédoise ?  

Mikaa Mered : En réalité, même s’il y a eu une certaine agitation médiatique hors de Suède, le score de l’extrême-droite suédoise est en fait conforme aux attentes. Entre Février et Juillet, les « Démocrates Suédois » (SD) ont réalisé une percée importante, au point d’être au coude-à-coude avec les Sociaux-Démocrates du Premier ministre sortant, autour de 23% chacun. Cependant, la dernière ligne droite de la campagne a été difficile pour SD. En effet, l’on a pu voir les deux partis classiques, les Sociaux-Démocrates (centre-gauche) et les Modérés (droite), reprendre du souffle tandis que SD perdait plus de 5 points. Dans le dernier « Poll of Polls » (agrégateur de sondages), la veille de l’élection, SD n’arrivait qu’en troisième position avec 18%. Le résultat d’hier soir est donc conforme aux attentes et n’est pas une surprise. Mis à part quelques jours au milieu du mois de juillet, l’extrême-droite n’a jamais été en situation de devenir le premier parti politique suédois. Et quand même cela aurait été le cas, il n’aurait pas été capable de bâtir une coalition de gouvernement. 

Si les Démocrates de Suède restent la troisième force politique du pays sans réussir à s'imposer comme deuxième parti politique suédois, tel qu'ils avaient pu l'espérer, ils réalisent néanmoins une poussée de plus de 5% par rapport aux dernières élections législatives de 2014. Sont-ils les vrais vainqueurs de ce scrutin ? Leur score s'explique-t-il uniquement par la hausse de l'immigration sur le territoire suédois ?  

MM : Il y a beaucoup de vainqueurs dans ce scrutin. L’extrême-droite a réalisé une véritable percée, impensable avant 2015. Toutefois, les objectifs trop élevés de Jimmie Åkesson se retournent aujourd’hui contre lui, cette troisième place étant considérée plus comme une fausse défaite que comme un vrai succès. A la gauche de la gauche, le « Parti de Gauche » (V) a lui aussi réussi un score historiquement haut. De même, le « Parti du Centre » (C) a réussi son parti. Tous deux avec 9% chacun, ils apparaissent comme la seconde force politique de leurs blocs respectifs. Enfin, les « Libéraux » (centre-droit), seul parti militant pour plus d’Europe, ont réussi sur le dernier mois de campagne à dépasser le seuil de 4% pour obtenir des sièges au parlement pour atteindre 6% et se situer au niveau des « Démocrates-Chrétiens », emmenés par la charismatique Ebba Busch Thor. Même les écologistes disaient hier soir avoir « gagné »… puisqu’ils ont échappé, à 0,3% près, à la disparition du parlement. Dans ce contexte, peut-on dire que l’extrême-droite est le vrai vainqueur du scrutin ? Oui, dans le sens où la percée de SD au niveau des partis de gouvernement provoque un big bang dans le paysage politique suédois, et dans le sens où SD a su imposer ses sujets au cœur du débat : l’immigration, les services publics en milieu rural et une autre distribution de l’économie suédoise entre métropoles et territoires. Le score de SD ne s’explique pas uniquement par la question identitaire et migratoire, il a des racines économiques profondes.

Jimmie Åkesson le leader des Démocrates de Suède a déclaré hier soir que son parti était le réel vainqueur des élections et qu"il allait désormais exercer une véritable influence sur la politique suédoise. Quel type d'influence le parti pourra-t-il exercer ? Une entrée au gouvernement -si gouvernement de coalition il y a- est-elle envisageable ?

MM : Oui, SD exerce déjà et va exercer une influence très claire sur l’ensemble du jeu politique suédois. En emportant 144 sièges, le bloc « Rouge-Vert » sauve son leadership d’un tout petit siège face à l’ « Alliance » (droite et centre). Dans ce contexte, est-ce que l’Alliance est prête à s’allier à l’extrême-droite pour renverser la majorité sortante ? Les leaders centristes ont déjà répondu non. Cependant, le leader des Modérés (droite), Ulf Kristersson, futur Premier ministre en cas de renversement de coalition, n’a fermé aucune porte avec l’extrême-droite, tout en étant extrêmement virulent envers le Premier ministre sortant, l’appelant à démissionner. Selon divers sondages, entre 30 et 40% des militants Modérés se disent prêts à l’ouverture de discussions avec l’extrême-droite. De même, plusieurs élus Modérés se sont déclarés ne pas être opposés à revoir l’idée de « cordon sanitaire » entre la droite et l’extrême-droite. Pendant ce temps, le Premier ministre sortant, leader des Sociaux-Démocrates (gauche) a déjà annoncé s’accrocher au petit siège d’avance que son bloc détient pour rester au pouvoir.

Face à eux, les sociaux démocrates et les modérés ont réalisé des scores bien plus faibles qu'en 2014 mais leurs alliances respectives de gauche et de centre droit sont au coude à coude. La droite a déjà refusé l'idée d'une coalition proposée par la gauche. A quoi pourra ressembler le gouvernement qui va se former suite à ces élections ? Entre-t-on dans une période de crise politique en Suède ?

MM : La Suède est clairement entrée hier soir dans une nouvelle période de crise politique. Et ce, d’autant plus que les votes ont été si serrés entre l’Alliance et les Rouge-Verts qu’il faudra attendre la comptabilisation, mercredi, des bulletins des suédois de l’étranger pour entamer la moindre tractation. Habituellement, le vote expatrié tend à favoriser l’Alliance. La droite ayant rejeté l’idée d’une union des démocrates, il reste deux scénarios plausibles à ce stade. Premier scénario, celui du barrage à l’extrême-droite. Ce serait le scénario du statu quo, avec le maintien du Premier ministre social-démocrate sortant Stefan Löfven au pouvoir, moyennant un rééquilibrage au sein de sa coalition au profit de la gauche de la gauche et au détriment des écologistes. La droite se contenterait de voter le budget pour ne pas paralyser le pays, mais continuerait à être un farouche opposant en vue de 2022. Dans ce scénario, le risque d’une montée encore plus importante de l’extrême-droite n’est pas à exclure si les sociaux-démocrates n’appliquent pas leurs dernières promesses en matière d’immigration, de services publics et d’emplois. Deuxième scénario, celui d’une implosion de l’Alliance à cause de l’ouverture de discussions par les Modérés, toujours deuxième force politique du pays et leaders de l’Alliance, avec l’extrême-droite. Ce scénario est toutefois dangereux tant pour la droite, qui se compromettrait durablement, que pour l’extrême-droite qui, elle aussi, prendrait le risque de compromettre son positionnement anti-système soigneusement bâti depuis plus de 20 ans. En somme, les discussions —qui ne s’ouvriront pas avant les résultats définitifs de mercredi— promettent d’être longues et pénibles. L’on ne peut pas écarter l’idée que l’extrême-droite puisse y tirer son épingle du jeu. 

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