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Macron sauveur de l’Europe progressiste ? Le doute s’installe chez ses alliés à l’étranger
©LUDOVIC MARIN / AFP

Leader charismatique ?

L'image du chef de l'Etat est écornée dans la presse étrangère, principalement chez nos voisins européens. Emmanuel Macron est passé du sauveur de l'Europe en 2017 à une pluie de critiques aujourd'hui.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : "Le président qui brûle avec son propre feu d'artifice " pour Die Welt, "le roi soleil devient normal (...) le président français est déjà presque comme Merkel : faible et insipide" pour le Tageszeitung , "Salvini est un policitien extraordinaire, Macron ne l'est pas, du moins, pas encore" pour le Spectator. Emmanuel Macron perd peu à peu son aura auprès de la presse étrangère, essuyant les critiques logiques d'opposants, mais fait nouveau, c'est désormais la presse, comme Die Welt, qui fustige aujourd’hui le président français. Comment expliquer un tel virage, passant d'un Emmanuel Macron "sauveur de l'Europe" en 2017 aux critiques d'aujourd'hui ? 

Christophe Bouillaud : Premièrement, ne négligeons pas la mécanique de la presse de masse elle-même pour faire nouvelle, pour attirer l’attention des lecteurs : tout d’abord, elle surestime un personnage public  – première occasion de faire nouvelle-, ensuite, elle retourne entièrement le discours en abaissant plus bas que terre le même personnage – seconde occasion de faire nouvelle. Et ainsi de suite. En devenant Président de la République, il était inévitable de ce point de vue qu’il y ait un ressac de  l’image d’Emmanuel Macron dans les médias, qu’ils soient français ou étrangers. 
Deuxièmement, il y a la difficulté constatable par tous à faire aboutir les projets de plus grande intégration proposé par Emmanuel Macron. Cela correspond tout d’abord au fait que ces projets ne correspondent pas exactement à ce que veulent la majorité des dirigeants européens actuels. Il est de plus en plus évident au fil des mois que la « relance européenne » que souhaiterait E. Macron», sur le modèle de ce qui s’est fait dans les années 1950 avec le Marché commun ou dans les années 1980-90 avec le Marché Unique et l’Union économique et monétaire, n’a aucun soutien structuré et dynamique derrière lui. Même la gauche socialiste et social-démocrate du PSE se révèle ambigüe et désunie sur ce projet – d’autant plus qu’elle se trouve amputée du Labour britannique et qu’elle est reléguée dans l’opposition dans de nombreux pays. Ne parlons pas des libéraux de l’ALDE plus divisés que ne le laisserait croire les déclarations de leur chef parlementaire, Guy Verhofstadt, ou des conservateurs du PPE, totalement divisés sur le fédéralisme.
A cela s’ajoute troisièmement la montée en puissance d’oppositions de plus en plus visible à ces projets que ce soit au niveau de certains Etats ou dans les électorats. De ce point de vue, tout ne dépend évidemment pas d’Emmanuel Macron : par exemple, en Allemagne, l’ouverture migratoire de l’automne 2015 a d’évidence eu toute une série de conséquences politiques dont les récentes manifestations de Chemnitz sont les derniers avatars. Dans l’Union européenne de 2018, il faut bien constater que prêcher plus d’intégration européenne devant les électeurs n’est pas vraiment la clé du succès électoral. 
Enfin, quatrièmement,  il y a le fait que sur l’immigration, qui occupe actuellement le devant de la scène européenne, la position d’Emmanuel Macron est perçue comme parfaitement hypocrite. En politique intérieure, il soutient un Ministre de l’Intérieur, G. Collomb, qui fait le job pour limiter l’immigration, légale ou illégale d’ailleurs – Salvini, l’actuel Ministre de l’Intérieur italien en disait même du bien dans sa propre campagne électorale -, et il demande en même temps à d’autres pays de prendre leur lot d’immigrants. Cette incohérence d’une France qui se veut elle-même désormais fermée à l’immigration et veut que d’autres pays prennent des immigrés sur leur sol,   est bien connue des autres Européens, en particulier des Italiens. La politiste Sofia Ventura le faisait remarquer dans une récente tribune publiée dans le Monde. En plus, la France comme pays, bien au-delà de la seule personnalité d’Emmanuel Macron, ne bénéficie nullement de l’image d’un pays qui aurait réussi l’intégration de ses immigrés. Notre modèle «républicain » ne fait rêver personne. Pour une part de la droite et l’extrême droite européennes, la France est même devenue l’image même de ce qu’il ne faut pas faire. Autrement dit, sur ce point précis, les gouvernants français donnent aux autres l’impression d’alcooliques fort malades de cirrhose en cure de désintoxication qui proposeraient aux autres dirigeants de boire une bonne rasade d’alcool fort pour rétablir un juste équilibre de la maladie du foie en Europe.  Cette hypocrisie n’est pas jouable longtemps. 

Au-delà de la presse, ce sentiment de défiance des pro-européens en Europe à l'égard d'Emmanuel Macron est-il perceptible ? Dans quelle mesure cette fracture pourrait-elle s'avérer dangereuse pour le président français ? 

Pour l’instant, Emmanuel Macron reste pris en compte dans le jeu européen. Par contre, il est très dépendant de ce qui peut se passer au sein du PPE. Normalement, le PPE va désigner son candidat à la Présidence de la Commission, et, comme le PPE arrivera en tête du nombre d’élus européens selon toute probabilité, c’est ce candidat qui sera nommé président de la nouvelle Commission européenne. Et, de fait, il faudra bien reconduire une grande coalition au sein du Parlement européen où le PSE et l’ALDE joueront les utilités. E. Macron, en essayant de perturber ce mécanisme, risque de faire basculer vraiment le PPE dans une alliance avec les partis situés à sa droite. Autrement dit, en voulant politiser le débat entre lui-même et un axe Salvini-Orban, E. Macron prend le risque de précipiter une crise au moment de la formation de la future Commission. Or, à mon avis, personne parmi les dirigeants européens – en dehors des deux boutefeux déjà cités – n’envisage une Commission qui ne ferait pas place à toutes les sensibilités politiques. Comme chaque pays nomme son propre Commissaire, un pays dirigé par les gauches comme le Portugal par exemple aurait quelque difficulté à proposer un nom pour une Commission soutenue au Parlement européen seulement par la droite et une partie des extrêmes-droites. Les institutions européennes marchent au consensus, et la tentative d’E. Macron de cliver ne peut que compliquer encore les choses dans le cadre ces institutions-là. Evidemment, cette absence de réalisme peut finir par énerver A. Merkel et la CDU, qui tiennent les deux bouts du consensus à créer obligatoirement pour avoir une Commission fonctionnelle.

Quels sont les risques de voir ce phénomène se propager à la France, et conduire à un reflux des soutiens "européistes" à Emmanuel Macron ?

Pour ce qui est de la France, cela m’étonnerait que les électeurs européistes se détachent d’Emmanuel Macron. En effet, il y a fort à parier que la campagne de LREM les appellera à constituer un rempart contre la montée des extrémismes de droite et de gauche. Le but affiché sera d’arriver en tête en termes de suffrages – même si d’ores et déjà, selon les sondages disponibles, on peut deviner que la somme des résultats des partis qualifiés d’extrémistes dépassera le score de LREM. Les conséquences négatives qu’on fera présager à ces électeurs européistes s’ils ne votent pas LREM seront telles que cela devrait les dissuader d’exprimer leur insatisfaction. De plus, il est probable que les velléités d’indépendance du centre-droit rallié à E. Macron rentrent rapidement dans le rang, et que le PS soit toujours dans l’état de choc post-traumatique qui le marque depuis plus d’un an. 
On peut même considérer que  l’acceptation publique par E. Macron de la querelle publique que lui cherchent Salvini et Orban fait partie d’une stratégie de stabilisation de l’électorat macroniste et de conquête d’un électorat modéré de gauche ou de droite effrayé par la fameuse montée des populismes. Le populisme semble en effet avoir désormais à peu près tenir la même place que le communisme autrefois – ce qu’il faut craindre à tout prix – dans la rhétorique des partisans du statu quo.  Il ne reste plus à LREM que mettre un bouclier ou un mur dans son logo. 

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