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Cet étrange silence (aveuglement ?) d’Emmanuel Macron sur la tempête européenne qui vient
©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Vision dépassée ?

Emmanuel Macron a multiplié les rencontres avec ses partenaires européens à l'occasion de sa rentrée politique. L'enjeu des élections de mai 2019 mobilise le chef de l'Etat, qui apparaît de plus en plus isolé politiquement à l'échelle de l'Europe.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Après une visite au Luxembourg sur la thématique européenne ce jeudi 6 septembre, et une rencontre avec Angela Merkel ce vendredi à Marseille, Emmanuel Macron place sa rentrée politique sous le signe de son projet pour l'Union européenne. Cependant, comment évaluer cette ambition affichée par le président français dans le contexte politique actuel du continent ? Ne peut-on pas y percevoir une tentative de faire subsister une approche qui n'existe plus réellement auprès des électeurs européens ? 

Rémi Bourgeot : Le projet européen d’Emmanuel Macron est certes confronté à la montée généralisée des populismes européens, mais surtout, dans le fond, à la vision différente de la coopération européenne que soutient Berlin. Au lendemain de son élection, dominait l’idée que le couple franco-allemand allait renaître, après un quart de siècle en pointillés, pour imposer une vision commune de l’intégration européenne. On n’allait pas, pour autant, à l’époque jusqu’à évoquer l’idée d’une communauté de pensée progressiste entre « En Marche ! » et la CDU, qui serait à même d’exorciser le spectre populiste. Il semble que l’invocation de ce progressisme hybride, révélant un dynamisme sémantique certain, ait été nourri par l’éloignement de l’horizon d’un accord conséquent sur le plan plus terre à terre des constructions budgétaires.
Il s’agissait en premier lieu de la réforme de la zone euro, qui devait aller, même partiellement, vers une sorte d’union fiscale, au moyen d’un budget commun significatif, d’un ministre des Finances de l’union monétaire, et d’un véritable renforcement de l’union bancaire. Ces projets étaient en réalité considérés en Allemagne comme inacceptables voire tabous d’un point de vue électoral. Wolfgang Schäuble, alors ministre des Finances, avait opposé à ces projets une fin de non-recevoir dès le lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, pour qui il avait pourtant affiché la plus grande sympathie lorsque celui-ci était ministre de François Hollande. A condition de se tenir au courant de l’état des débats outre-Rhin, ces projets ne pouvaient qu’apparaître hors de portée… Comme, a fortiori l’idée que l’Allemagne s’apprêtât, sans même négocier, à récompenser les « transformations » structurelles françaises par un grand bond en avant dans le fédéralisme budgétaire.
L’idée d’englober la CDU et la quasi-totalité des partis traditionnels du continent au sein d’une dynamique européenne commune sous le sceau du progressisme pose dans tous les cas un problème sémantique qui handicape le débat aussi bien entre Etats, sur des enjeux complexes, que sur les scènes politiques nationales.
Si le cœur des projets d’Emmanuel Macron, à savoir la réforme de la zone euro, sont finalement incompatibles avec la ligne de la CDU en Allemagne, les populistes italiens y ont pour leur part apporté leur soutien, comme la plupart des courants politiques italiens, naturellement favorables à tout projet d’union fiscale avec le reste de l’union monétaire. Ainsi, la notion d’axe progressiste n’est pas validée par l’examen du positionnement sur les réformes qui sont pourtant au centre des propositions du Président de la République, dans un sens comme dans l’autre… Sur les sujets monétaires, la principale ligne de fracture relève toujours de l’opposition entre le nord et le sud de la zone. 
L’idée consistant à assimiler les partis traditionnels du continent à une position unique, à savoir l’opposition au populisme, pose le problème de l’organisation du débat en démocratie libérale, dont le principe même repose sur l’opposition entre diverses options acceptables en vue de décisions équilibrées à terme. L’opposition au populisme ne constitue pas un projet politique en tant que tel et ne permet pas de dépasser les visions antagonistes des divers Etats sur des sujets cruciaux. On assiste à l’affirmation d’intérêts nationaux au sein de l’Union européenne qui nécessiteraient un jeu de rééquilibrage, en reconnaissant les oppositions lorsqu’elles existent.

Quels sont les écueils politiques auxquels Emmanuel Macron doit faire face ? Comment analyser la décision d'Angela Merkel de soutenir Manfred Weber, de la CSU, pour prendre la tête de la Commission européenne au lendemain des prochaines européennes ? 

Le concept d’un axe franco-allemand progressiste défendant un projet commun face au populisme offre un certain décalage avec la réalité politique de nos deux pays. La réalité politique à laquelle est confrontée Angela Merkel, en particulier, est celle d’une crise politique historique qui se traduit non seulement par l’envolée de l’AfD, mais aussi par des tensions extrêmes au sein du bloc conservateur CDU-CSU sur la question de l’immigration. Cette situation l’amène, pour conserver la fonction qu’elle occupe depuis treize ans, à effectuer un virage vers son aile droite, tout en continuant à se différencier du style qu’affiche la CSU de Markus Söder, Ministre-Président de Bavière, pour reconquérir son propre électorat face à l’AfD. 
« L’électionomination » du bavarois Manfred Weber à la présidence de la Commission européenne permettrait de fournir un relai relativement immédiat entre les enjeux de politique allemande et la scène européenne, et de calmer au passage les vives tensions entre Berlin et Munich. L’ultimatum lancé avant l’été par le ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, lui-même à la tête de la CSU, à Angela Merkel en vue d’un durcissement de la politique migratoire européenne avait parfaitement illustré le lien entre la crise politique allemande et l’enjeu institutionnel européen. 
Par ailleurs, les cercles dirigeants berlinois ont ces dernières semaines affiché leur désintérêt pour la présidence de la BCE au profit de l’idée d’une présidence allemande de la Commission européenne. Cette évolution illustre la volonté allemande de mettre au cœur du jeu politique européen des préoccupations qui se centrent un peu moins désormais sur les questions de gestion de la politique monétaire que sur d’autres sujets, qu’il s’agisse notamment de la politique migratoire ou de la politique énergétique.

Emmanuel Macron entend "tenir le cap" de son approche au niveau européen, et ce, malgré les revers connus au cours de cette année, notamment sur le contenu et la "taille" du budget européen. Faut-il en déduire qu'Emmanuel Macron ne dispose pas de "plan B" en remplacement d'un plan A mal engagé ? Dans de telles circonstances, comment anticiper le futur européen d'Emmanuel Macron ? Faut-il s'attendre à une marginalisation du président français au sein d'une Europe qui avait pourtant salué son élection ? 

Une évolution assez générale du débat politique se produit dans la plupart des pays confrontés à une montée des mouvements populistes, les figures politiques traditionnelles tentant progressivement d’adapter leur positionnement, sans nécessairement se compromettre. Sur la scène politique polonaise par exemple, Donal Tusk, ancien premier ministre et actuel Président du Conseil européen, est l’ennemi juré de la droite populiste au pouvoir à Varsovie. Celui-ci ne défend pas pour autant une vision politique inconditionnellement favorable au fédéralisme européen mais bien plus à une coopération interétatique raisonnable.  Même aux Etats-Unis, au-delà des violents débats qui se concentrent sur la personnalité très controversée de Donald Trump, on voit par exemple des membres influents du parti démocrate mener un travail de fond quand au positionnement économique du parti, loin de l’excitation médiatique.
La France connait une dynamique politique paradoxale. On y constate souvent un déficit de connaissance des diverses cultures européennes au sein même des cercles les plus favorables à une version fédérale de l’intégration européenne. Le fédéralisme européen dans sa version française a ainsi tendance à être vu en France comme un point d’ancrage universel pour toutes les élites européennes, alors que la réalité apparait depuis longtemps bien plus contrastée, en particulier dans le Nord et l’Est du continent. Le ton virulent d’un certain nombre d’articles récents dans des journaux allemands de référence comme Die Welt, dont les auteurs se réjouissent des difficultés actuelles d’Emmanuel Macron, en témoigne.
L’évolution vers un modèle équilibré de coopération européenne nécessite avant tout le retour à un débat plus ouvert et mieux renseigné. Le discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron avait été interprété comme un appel quasi-transcendantal au parachèvement fédéral de la construction européenne, alors que celui-ci y indiquait assez clairement avoir compris l’obstacle, sur le plan des différences culturelles franco-allemandes notamment, auquel il était confronté dans ses projets.
Sur la base d’un débat plus ouvert aux réalités européennes, le plan B dès lors pourrait reposer sur l’objectif d’un rééquilibrage réel entre pays européens et vis-à-vis du reste du monde, sur le plan politique et économique naturellement, au moyen d’une coordination concrète et exigeante sur les questions d’investissements, de travail, d’évolutions technologiques.

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