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Maltraitance en établissement de santé et médico-social : de l’étudiant au résidant, personne n’est épargné
©Reuters

Maltraitance

La maltraitance des personnes âgées en établissement d'hébergement ou des personnes en situation de handicap en maison d'accueil spécialisée est fréquente. Cependant, on le dit peu, mais elle touche aussi tout le monde, du résidant à l'étudiant en stage.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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La maltraitance est fréquente en général et se passe pratiquement de définition

Le verbe maltraiter est d'un emploi courant. La maltraitance des enfants, la maltraitance conjugale, la maltraitance des personnes handicapées, mais aussi celle des animaux sont des sujets qui reviennent très régulièrement à l'actualité. Maltraiter, c'est avoir un comportement qui fait souffrir, soit physiquement, soit psychiquement, soit les deux à la fois. La maltraitance semble exister depuis le début de l'humanité. Celles des esclaves, des prisonniers, des employées de maison, des clochards, des débiles mentaux, des animaux de cirque ou des bêtes de somme, ont été largement décrites, parfois avec compassion et souvent avec cynisme, dans une foule de romans et de films. Homo homini lupus est, dit la célèbre expression latine signifiant "L'homme est un loup pour l'homme" (l'homme est le pire ennemi de ses semblables) et attribuée au poète romain Plaute.

Pourquoi l'homme est-il maltraitant pour ses semblables ?

La maltraitance connaît des motivations variées. On trouve souvent une volonté d'affirmer sa supériorité et sa puissance. Elle conduit à chercher à rabaisser l'autre, de façon à se prouver à soi-même que l'on est plus fort et plus capable que lui. Lorsqu'elle aboutit, l'infériorisation de l'autre procure au maltraitant un sentiment de satisfaction, car elle flatte son ego. Il paraît clair que ce type de comportement est sous-tendu par une tendance à douter de ses propres capacités. C'est comme si le maltraitant avait besoin de se rassurer en se prouvant qu'il était supérieur à l'autre en le rabaissant. Ce comportement exprime donc une forme de vanité.

Parfois, la personne maltraitée ne fait que reproduire ce qu'elle a déjà subi dans un passé plus ou moins lointain. Dans ce cas, la maltraitance est pratiquée pour servir d'exutoire à une plaie douloureuse qui n'a jamais cicatrisé. C'est le signe d'une personnalité pauvre et surtout immature, mais ce cas de figure n'est malheureusement pas si rare que cela.

Dans d'autres cas, l'origine de la maltraitance est plus terre à terre : elle procède d'une sorte d'esclavagisme. C'est celle qui est pratiquée avec les employées de maison et les animaux de cirque ou les bêtes de somme. Dans l'esprit du maltraitant, le sujet maltraité est réduit à une unité de production chosifiée qui doit fournir une performance optimale, et cela sans la moindre considération éthique. Parfois, mais sans aller jusqu'à l'extrémité de l'esclavagisme, la maltraitance est pratiquée soi-disant par nécessité : c'est l'exemple typique d'un étudiant ou de toute autre personne en cours d'apprentissage. Si on lui confie une tâche alors qu'elle ne la maîtrise pas, cette personne sera nécessairement lente et interrompra plus ou moins souvent sa tutrice ou son tuteur. Certaines personnes apprennent plus vite que d'autres et cela indépendamment de leur aptitude professionnelle ; certaines se montrent plus rapides que d'autres. Face à une personne qui apprend plus lentement ou qui se montre plus lente, une tutrice ou un tuteur peut perdre patience, s'énerver et maltraiter l'apprenant ; ce risque est d'autant plus élevé que la charge de travail est intense. Ce type de maltraitance est lui aussi fréquent, il traduit une tension dans l'équipe de travail et une ambiance de travail qui n'est pas saine. Car il est normal qu'une personne en apprentissage soit lente et pose des questions, il est normal qu'elle ne comprenne ou n'enregistre pas tout du premier coup.

Comment évolue une relation maltraitant-maltraité ?

Il faut déjà préciser que le maltraitant choisit une personne à maltraiter sur certains critères : typiquement, il s'agit d'un sujet appliqué, consciencieux, qui cherche à bien faire et qui a un sens aigu des responsabilités (c'est souvent le contraire du maltraitant). Le maltraité est de ce fait souvent une personne qui doute, qui manque de confiance en elle et qui est un peu lente. Il n'en faut pas plus au maltraitant pour s'acharner sur elle. La personne maltraitée se met encore plus à douter d'elle et peut finir par avoir honte d'elle-même (cas du harcèlement moral). Au contraire, le maltraitant, voyant cela, est renforcé dans son ego dominateur qui le pousse souvent à humilier l'autre.

Attention : il n'est pas du tout rare qu'une personne maltraitante n'ait pas réellement conscience du fait qu'elle maltraite autrui, car ce comportement offensif finit par imprégner son schéma mental à un point tel qu'elle n'y pense plus. Il ne faut jamais considérer qu'une personne qui est maltraitante a forcément conscience de cela : il faut donc savoir le lui dire, c'est capital.

La maltraitance des personnes dépendantes

La maltraitance des personnes âgées en établissement d'hébergement ou des personnes en situation de handicap en maison d'accueil spécialisée est fréquente. C'est principalement la maltraitance en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) qui est connue, médiatisée et dénoncée. Régulièrement, des documentaires sous forme de reportage sont diffusés sur des grandes chaînes télévisées, alimentés par des captations en caméra cachée et par des témoignages de personnels et de familles. Il y a aussi de temps à autre des articles dans la grande presse écrite. Tous ces documents sont très démonstratifs et on ne peut qu'être choqué quand on en prend connaissance. On peut en arriver à penser qu'il vaut mieux mourir indigemment chez soi que dans de telles conditions d'inhumanité.

On rencontre deux motifs de maltraitance plus spécifiques à l'EHPAD. Le premier est lié aux charges de travail lourdes pour des équipes d'aides-soignants en effectif restreint et devant faire face à des résidants de plus en plus dépendants et malades, donc nécessitant souvent plus que de simples soins de nursing. S'il existe une importante charge en soins techniques infirmiers à réaliser, l'infirmière peut être tentée de déléguer certains soins à quelques aides-soignantes de confiance, ce qui constitue un glissement de tâche et la porte ouverte à des défauts de qualité et de sécurité des soins, thématique de base de la Rencontre des métiers de la santé à Strasbourg qui se déroule chaque année sur deux journées. Entendons-nous bien : une charge de travail excessive n'excuse pas la maltraitance, elle ne fait qu'en pointer l'une des causes. Le deuxième motif de maltraitance plus spécifique à l'EHPAD est lié à une insuffisance ou une inadaptation des matériels et consommables de travail. C'est ce que nous exposera Linda CHRETIEN de Saint-Etienne lors de la dixième Rencontre des métiers de la santé les 13 et 14 septembre, dans sa conférence intitulée : " La politique d'économie démesurée des outils de travail ouvre la porte à la maltraitance : en EHPAD".

En pratique, cette maltraitance conduit à brusquer et malmener les résidants, les tutoyer et leur parler sans politesse ni correction, à leur faire des reproches et même à les injurier. Il y a aussi des négligences lourdes de conséquences : on les laisse dans leur change complet souillé pendant des heures, on ne leur laisse pas le temps de manger, etc.

La maltraitance des étudiants en santé, mais aussi de professionnels

Ce type de maltraitance commence lui aussi à être médiatisé, depuis la publication du livre "Omerta à l'hôpital. Le livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé" par Valérie Auslender en 2017, s'appuyant sur une grande enquête réalisée auprès d'un peu moins de 1500 étudiants en santé et indiquant que plus de 40 % d'entre eux disent avoir été maltraités pendant leur formation sur le terrain, plus particulièrement à son début. Cette maltraitance concerne tous les étudiants en santé, qu'ils soient médicaux ou paramédicaux. Elle est plus particulièrement odieuse que d'autres formes de maltraitance, étant donné qu'elle comporte un acteur supplémentaire : le patient ou la personne soignée. Lorsqu'un étudiant en santé se fait insulter et humilier devant un patient, c'est doublement dégradant. Comment cet étudiant déconsidéré pourra-t-il ensuite oser s'adresser à ce patient auquel on a fait comprendre qu'il était incapable ? Cette maltraitance est déjà exécrable quand elle concerne les étudiants ou les internes en médecine lors de leurs premiers stages. Elle est encore plus vile et odieuse quand elle s'adresse à des étudiantes en soins infirmiers, car les personnes qui se forment à ce métier sont généralement plus sensibles, plus empathiques et plus généreuses que les autres, d'où une forme de fragilité.

Cette maltraitance est tellement fréquente et dure qu'elle est à l'origine d'abandons et parfois de dépressions réactionnelles graves. Solange BAUDO de Paris fait partie des étudiantes en soins infirmiers qui ont tellement souffert qu'elles ont décidé d'abandonner leurs études pour se préserver. Elle a illustré la deuxième édition de "Omerta à l'hôpital" et viendra nous parler de son expérience dramatique lors de la dixième Rencontre des métiers de la santé les 13 et 14 septembre, dans sa conférence : "La maltraitance des étudiants en soins infirmiers lors des stages : la verbaliser, la dessiner, en parler."

Mais cette maltraitance concerne aussi de nouvelles infirmières diplômées qui viennent de prendre leur fonction dans un service de soins : il s'agit alors d'un harcèlement moral.

Le harcèlement moral, forme odieuse de maltraitance

Le harcèlement moral n'a pas lui non plus vraiment besoin d'une définition. Il ressemble à la façon dont un moustique nous harcèle sans arrêt jusqu'à réussir à nous piquer. Mais quand il est moral, le harcèlement utilise le vocabulaire, le regard, les gestes, les comportements et les attitudes de façon à heurter, agresser, peiner, inférioriser, déconsidérer, faire douter et finalement exclure la personne harcelée. Le harcèlement moral obéit à une stratégie qui est machiavélique : faire souffrir une personne de façon à la rendre malade psychiquement et même physiquement (amaigrissement, douleurs musculaires, céphalées ou maux de tête), avec le but de l'écarter durablement. La personne harcelée est une personne qui dérange au motif qu'elle est différente, dissonante en quelque sorte. Les raisons possibles sont variées. Quand un harcèlement fonctionne, la personne harcelée doute d'elle-même, a honte de ce qu'elle est et de ce qu'elle fait, perd confiance en elle et finit par ne plus être efficace dans son travail, ce que cherchait à prouver depuis le début son harceleur, mais tandis que ce n'était pas le cas. Le harcèlement atteint son objectif quand il pousse la personne harcelée à commettre une faute grave qui devient un motif de licenciement. Mais un harcèlement peut aussi conduire à une démission, un arrêt de travail qui se prolonge ou encore à un suicide.

Le summum du harcèlement moral vient d'une personne perverse et narcissique

Cette personne a une personnalité toxique. Il s'agit de quelqu'un qui ne s'aime pas et qui de surcroît est incapable d'aimer. Cette personne a un vide affectif. Incapable d'aimer et même d'avoir des sentiments généreux, elle se réfugie dans le mal qui est son exutoire. Le pervers cultive le mal et s'en nourrit, il est heureux quand il fait le mal. Il en tire même une forme de jouissance. Cela se traduit chez le harceleur par un plaisir à faire souffrir l'autre et c'est la constatation de cette souffrance qui entraîne sa satisfaction. Le côté narcissique correspond à un sentiment de supériorité, c'est une vanité exacerbée. Le pervers narcissique choisit par conséquent ses proies parmi les personnes consciencieuses, discrètes et manquant parfois d'assurance. Il les harcèle jusqu'à les humilier, les écraser et si possible les détruire. Car ce comportement que l'on peut qualifier de diabolique vise à détruire les autres pour se donner le sentiment d'être le maître et donc d'exister.

Dans le milieu de la santé, il y a des pervers narcissiques comme dans bien d'autres milieux. Ils sont machiavéliques et ne changent pas : l'urgence est de les fuir.

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