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De l’Arabie Saoudite au Venezuela : les pays de l’organisation des exportateurs de pétrole sont-ils cuits ?
©Capture d'écran France Télévisions

Marée noire

La baisse drastique des revenus du pétrole entraîne de vraies remises en question au sein de pays de l'OPEP.

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

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Francis Perrin

Francis Perrin

Francis Perrin est directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, Paris) et chercheur associé au Policy Center for the New South (PCNS, Rabat).

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Atlantico : Ce mardi 21 août, l'OPEP publiait son rapport des revenus générés par les exportations de pétrole de ces membres, indiquant une progression de 26%, pour un total de 567 milliards de dollars. Cependant, cette hausse masque une quasi stabilité de ses revenus sur les 15 dernières années, ainsi qu'une progression démographique dans les pays membres, entraînant une baisse importante des revenus par habitants. Ainsi le revenu pétrolier par habitant a chuté de plus de 50% en Arabie Saoudite au cours des 5 dernières années. Les pays membres de l'OPEP ont-ils définitivement "mangé leur pain blanc" ? 

Stéphan Silvestre : Cette étude, très intéressante, montre une chute du revenu moyen des exportations de pétrole par habitant, descendu de près de 3 000 $/an au début des années 2010 à environ 1 200 $/an aujourd’hui. Cet indicateur est très instructif, mais attention à ne pas l’interpréter comme un revenu direct pour les habitants. Tout d’abord, les revenus du pétrole restent avant tout dans les compagnies pétrolières (exploitation, investissements) ; ensuite, la part qui revient à l’état est bien souvent captée par une minorité de bénéficiaires. En second lieu, ces moyennes cachent de fortes disparités entre les pays, ces revenus pouvant s’échelonner entre 180 et 12 000 $/an selon les pays. 

Ces chiffrent nous rappellent aussi combien sont volatiles les revenus des matières premières. Leurs effets sur les économies des pays exportateurs sont donc avant tout conjoncturels et doivent être considérés comme un complément de revenus et en aucun cas comme une activité économique de base. Tous les pays devraient développer leurs économies sur la base des produits manufacturés (ou des services), mais jamais sur les matières premières, au risque de s’en mordre les doigts tôt ou tard. À cela s’ajoute un autre effet : les consommateurs sont maintenant majoritairement des pays émergeants, voire à faible niveau de vie. Or, ces pays, contrairement à ceux de l’OCDE, sont peu enclins à payer très cher leur pétrole. Cela signifie que le temps des vaches grasses, pendant lequel les producteurs profitaient des pétrodollars occidentaux est maintenant révolu et ils devront maintenant se contenter de pétroyuans ou pétroroupies bien moins abondants. 

Francis Perrin : L'étude à laquelle se réfère l'agence Bloomberg émane de l'US Energy Information Administration (EIA), qui fait partie du département de l'Energie des Etats-Unis (US DOE). Cela dit, même si les méthodologies sont un peu différentes, les résultats de l'EIA sont proches de ceux de l'OPEP puisque la première source fait état de revenus provenant des exportations pétrolières de $567 milliards en 2017 alors que l'OPEP elle-même avance un chiffre de $578 milliards pour l'an dernier. 

Dans les deux cas, ces revenus sont en forte augmentation sur 2016 en raison de la hausse des prix du pétrole brut. Et, au vu du niveau des prix depuis le début de cette année - entre $70 et $75 par baril dans la période récente - 2018 sera encore un meilleur millésime. Il pourrait en être de même en 2019 compte tenu des tensions politiques autour de l'Iran, du Venezuela et de la Libye mais il est évidemment difficile de prévoir ce qui se passera l'an prochain tant le prix du pétrole a un contenu géopolitique élevé.

Lorsque l'on fait des comparaisons dans le temps, beaucoup de choses dépendent de l'année de base que l'on choisit, surtout avec des prix du pétrole qui ressemblent à des montagnes russes depuis le début de ce siècle. Ainsi, selon l'OPEP, les revenus pétroliers de ses Etats membres (revenus provenant des exportations pétrolières comme indiqué ci-dessus) étaient estimés à $257 milliards en 2000. Il y a donc eu une forte augmentation entre 2000 et 2017. Par contre, en 2012, ces revenus totalisaient $1 196 milliards et il y a donc eu une très forte baisse entre 2012 et 2017. L'élément clé, comme d'habitude, est la variabilité des prix du brut. On ne peut donc jamais dire que l'OPEP est sortie définitivement des difficultés car personne ne peut prétendre que les prix du pétrole ne connaîtront plus jamais une forte baisse à l'avenir. La morale de la fable est donc claire pour les pays membres de l'OPEP: il est impératif de diversifier leurs économies pour devenir moins dépendants des fluctuations des prix du pétrole qu'ils ne peuvent complètement contrôler. 

De la progression démographique à la nouvelle concurrence due à l'explosion de la production américaine, quelles sont ces causes structurelles qui sont à l'origine de cette "nouvelle donne" ? 

Stéphan Silvestre : Ces deux facteurs ont pesé dans le même sens, mais le premier est conjoncturel alors que le second est structurel. Si les revenus pétroliers par habitant ont été divisés par deux depuis cinq ans, ce qui est en effet imputable au développement du pétrole non conventionnel aux États-Unis, ils restent légèrement au-dessus de leur niveau d’il y a vingt ans. Cela pourrait paraître encourageant, mais si on considère les revenus bruts de l’OPEP sur la même période, on constate qu’ils ont triplé. Cet écart entre revenus bruts et revenus par habitant est clairement dû à l’effet de la démographie, qui a augmenté de 50% en vingt ans. Il s’agit là d’un effet structurel qui va se poursuivre durant les prochaines décennies : une nouvelle hausse de 50% attendue d’ici vingt ans se traduira cette fois non plus par une atténuation de la hausse de la rente pétrolière, mais bien par sa baisse. À cela s’ajoutera un autre effet structurel défavorable : le développement des véhicules non pétroliers va s’amplifier dans les pays émergeants (notamment la Chine et l’Inde) et une baisse de la demande est prévisible. Cela entraînera non seulement une baisse des volumes, mais aussi des prix. La rente pétrolière par habitant n’aura alors plus rien à voir avec ce qu’elle a été au début des années 2010. 

Francis Perrin : La croissance démographique dans les pays de l'OPEP est une explication importante car la population de ces pays augmente année après année alors que les prix du pétrole fluctuent et, souvent, de façon très brutale. La croissance de la production de pétrole non conventionnel aux Etats-Unis est aussi à l'origine de cette nouvelle donne. Rappelons que  cette production est en hausse constante depuis 2008 à la seule exception de l'année 2016 et que cette tendance haussière se poursuit en 2018 et qu'il en sera de même en 2019. Heureusement pour l'OPEP, la consommation pétrolière mondiale continue à croître et ce n'est pas fini. Mais le pétrole non conventionnel américain reste une épée de Damoclès pour l'OPEP et l'organisation a beaucoup de mal à gérer cette nouvelle dimension sur le marché pétrolier mondial. Les Etats-Unis sont aujourd’hui le premier producteur mondial de liquides (pétrole brut plus liquides associés au gaz naturel) et ils deviendront prochainement le premier producteur de brut devant la Russie et l’Arabie Saoudite.

Cela dit, il ne faut pas non plus sous-estimer la capacité de réaction de l’organisation lorsque celle-ci réussit à rester unie. La forte remontée des prix du pétrole depuis le début 2016 est une illustration de cette influence de l’OPEP. Le prix du Brent de la mer du Nord était tombé à moins de $30 par baril en janvier 2016 et il a atteint $80/b cette année avant de s’établir dans une fourchette de $70-75/b récemment. Certes, cette remontée des cours n’est pas seulement due à l’action de l’OPEP mais celle-ci a indubitablement été très importante dans cette évolution spectaculaire. 

Des pays membres les plus en difficulté, Vénézuela Venezuela et Nigéria, à ceux qui bénéficient encore de revenus confortables, -Qatar et Arabie Saoudite, comment imaginer les conséquences internes mais également géopolitiques de cette situation ? 

Stéphan Silvestre : Les situations sont très diverses dans tous ces pays. Le régime vénézuélien doit faire face à un problème majeur : la rente pétrolière était utilisée pour amadouer le peuple via de généreuses prestations sociales qui servaient la rhétorique bolivarienne. Privé de cette ressource, le gouvernement est contraint de durcir sa politique économique, mais aussi sa répression politique. Tôt ou tard, il s’effondrera. En Afrique, notamment au Nigéria, les rentes pétrolières sont captées par de faibles minorités. Ce sont elles qui vont souffrir. Paradoxalement, l’effet sera moindre sur les populations. Dans les pétromonarchies du Golfe persique, l’enjeu est important. En Arabie Saoudite, comme au Qatar et au Koweït, les monarques et émirs jouent leur maintien au pouvoir. Ces pays vont devoir revoir à la baisse leur train de vie. Ce processus est d’ailleurs déjà engagé. Cela provoquera quelques frustrations et des remous sont à prévoir dans les palais. Les Émirats Arabes Unis feront face plus facilement car ils ont déjà réorienté leurs capitaux sur de nouveaux secteurs économiques. Pour l’Iran, il va s’agir de trouver un autre moyen pour financer sa politique de rayonnement régional (course à l’armement, soutien aux mouvements de lutte armée). Téhéran aura du mal à se positionner comme garant du monde musulman face au Sunnisme, surtout s’il doit affronter une contestation interne de plus en plus visible. En résumé, l’effet géopolitique majeur de l’affaiblissement de la rente pétrolière sera un assèchement du financement de la lutte armée entre les puissances chiites et sunnites. Mais cela ne signifie pas un apaisement de cette région pour autant.

Francis Perrin : La très grande hétérogénéité des Etats membres de l’OPEP est effectivement une réalité qu’il ne faut jamais oublier. L’organisation compte 15 pays membres très différents entre eux en termes de réserves et de production pétrolières, de population, de niveau de vie, d’alliances géopolitiques, de stabilité interne, etc. En matière de revenus pétroliers par habitant, le Qatar et le Koweit sont largement en tête avec $11 000 à $12 000 en 2017 devant les Emirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite ($5 000-6 000 par habitant). L’Equateur ($283) et le Nigeria ($179) ferment la marche, selon l’étude de l’EIA. Pour l’ensemble de l’organisation, la moyenne pour l’an dernier était de $1 147 par habitant. Les disparités internes sont donc considérables.

La force de l’OPEP a été au fil du temps (cette organisation a été créée en 1960) de réussir à transcender ces différences, ce qui n’est pas un mince exploit. En effet, au-delà de toutes ces différences et divergences, il y a un socle commun qui est la forte dépendance de ces Etats vis-à-vis des revenus pétroliers et, donc, des prix du pétrole, ce qui les conduit à considérer qu’il est nécessaire de s’unir pour tenter de peser sur ces prix dans le sens de leurs intérêts. L’OPEP a ainsi pu s’entendre pour réduire sa production à compter du 1er janvier 2017 en vue de faire remonter les prix puis a décidé d’augmenter cette production à partir du 1er juillet 2018 et ces décisions ont exigé un accord unanime des Etats membres qui incluent, rappelons-le, l’Arabie Saoudite et l’Iran… L’OPEP est aujourd’hui le seul forum dans lequel ces deux pays, que tout oppose, peuvent encore s’entendre, de temps en temps au moins. Mais rien ne garantit que ce sera toujours le cas, notamment au vu des tensions croissantes entre ces deux Etats.

Une organisation intergouvernementale est forcément affectée par la politique puisqu’elle est composée d’Etats, qui sont par définition des animaux politiques. L’OPEP ne peut faire exception à cette règle mais sa survie dépend de sa capacité à laisser en partie la politique au vestiaire pour se concentrer sur les questions pétrolières qui sont vitales pour tous les membres de l’organisation. 

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