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Pourquoi l’explosion des cas de rougeole en Europe ferait bien d'inquiéter les autorités
©SCHNEYDER MENDOZA / AFP

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L'évolution de la rougeole en Europe inquiète l'OMS qui demande aux Etats européens d'agir. Comment expliquer une telle progression des cas ?

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Avec 41 000 cas déclarés et 37 décès dans les 6 premiers mois de 2018, soit une très forte augmentation par rapport aux 23 927 cas de 2017 et les 5273 cas de 2016, l'évolution de la rougeole en Europe inquiète l'organisation mondiale de la santé qui demande aux Etats européens d'agir. Comment expliquer une telle progression des cas ? La vaccination est-elle seule en cause ?

L'agent infectieux de la rougeole est un "simple" virus humain à ARN

Stéphane GAYET : Le virus de la rougeole est infiniment petit. Avec son diamètre d'environ 0,25 millième de millimètre (0,25 micron), il est bien plus petit que les bactéries couramment impliquées dans les infections humaines. Dire que c'est un virus revient à dire que c'est une particule biologique inerte et sans métabolisme, sans vie sensu stricto, et incapable de faire autre chose que d'infecter de façon passive des cellules chez lesquelles son acide nucléique viral (ARN ou ADN) joue le rôle d'un poison biologique. Car un virus n'est en fait rien d'autre qu'un acide nucléique et quelques enzymes. Les cellules infectées par un virion (le nom de la particule virale) se font piéger par cette entité étrangère qu'elles répliquent en très grand nombre comme si le génome viral (l'acide nucléique du virus) contenait un ordre pour elles. Les virus informatiques s'en sont inspirés : ils sont des petits programmes que le système d'exploitation de l'ordinateur exécute en se faisant piéger.
Le virus de la rougeole appartient à la famille des Para-myxoviridés, pas très éloignée de la famille des Ortho-myxoviridés à laquelle appartient le virus grippal. Son acide nucléique ou génome est à ARN simple brin (de polarité négative). Le virus de la rougeole encore appelé virus morbilleux est désigné en anglais par l'expression Measles virus (Me V en abrégé). Il comporte 20 génotypes ou variants différents qui sont répartis en huit groupes de A à H.

Le visage rassurant de la rougeole : une maladie bénigne de la petite enfance

Dans l'esprit commun, la rougeole a bonne réputation. Elle est perçue comme une maladie "obligatoire" du petit enfant qui guérit sans séquelle et immunise à vie. De fait, c'est la forme typique de l'enfant non vacciné. Dans sa forme habituelle, après une incubation de 10 à 12 jours, la rougeole débute par un malaise général avec de la fièvre, une anorexie (perte de l'appétit), une conjonctivite (yeux rouges et larmoyants), un coryza (rhume ou rhinite) et une toux. La fièvre monte en quelques jours jusqu'à 39 ou 40°C et le pédiatre connaissant bien la rougeole examine la face interne des joues à la recherche de petits points grisâtres situés près des secondes molaires (signe dit de Koplik) ; ils disparaissent en deux jours alors que survient l'éruption rougeoleuse ("boutons") : ce sont de petites taches rouges (érythème) en relief qui commencent sur la tête et le visage, puis descendent progressivement sur tout le corps tout en prédominant sur le visage et la partie supérieure du corps. L'érythème persiste en moyenne quatre à cinq jours puis disparaît dans son ordre d'apparition. La rougeole dure en tout sept à dix jours chez les sujets en bonne santé. C'est la toux qui se prolonge le plus.

Le visage caché de la rougeole : une maladie qui peut handicaper et même tuer

La rougeole peut être grave. La mortalité est très élevée dans les pays pauvres, cela pour plusieurs raisons : le jeune âge des enfants atteints, la malnutrition (notamment la carence en vitamine A), les déficiences immunitaires, la surpopulation et le manque d’accès aux soins. Elle est beaucoup plus faible dans les pays développés. Aux États-Unis, elle est en moyenne de trois cas pour 1 000, mais varie selon l'âge : 0,1 % de cinq à 19 ans, 0,3 % en-dessous de cinq ans et de 20 à 29 ans, et 0,7 % après 30 ans. Les complications sont plus fréquentes chez les enfants de moins de cinq ans et les adultes. Elles touchent surtout les voies respiratoires et le système nerveux central (cerveau et moelle épinière).
La pneumonie est la complication de la rougeole la plus fréquente. Une atteinte pulmonaire visible à la radiographie existe dans 77 % des formes sévères et 41 % des formes d'intensité moyenne. La pneumonie survient surtout chez les jeunes enfants et les adultes : aux États-Unis, chez 9,3 % des enfants de moins de cinq ans et 49 à 57 % des adultes. Ce sont 60 % des décès qui sont dus à des complications respiratoires. La pneumonie virale se complique d’infection bactérienne dans 25 % à 35 % des cas. Les autres complications respiratoires sont l'otite (chez 14 % des enfants de moins de cinq ans) et la laryngo-trachéobronchite (9 à 32 % des cas, surtout chez le nourrisson). Une infection bactérienne y est souvent associée. Il existe d’autres complications possibles : diarrhée et hépatite discrète.
Les atteintes neurologiques comprennent les convulsions fébriles (chez 0,1 à 2,3 % des enfants ; pas de séquelle) et trois types d’encéphalite : l'encéphalomyélite aiguë dite post-infectieuse (PIE) ; la panencéphalite (elle touche tout l'encéphale ou cerveau) sclérosante subaiguë (SSPE) ; et l’encéphalite des sujets immunodéprimés ou encéphalite à inclusions (MIBE : measles inclusion body encephalitis). La PIE touche de 0,1 à 0,3 % des sujets. Elle est plus fréquente chez l'adulte. Une reprise de la fièvre, accompagnée de céphalées (mal de tête), convulsions et troubles de la conscience, doit alerter. L’atteinte neurologique peut être modérée ou sévère. Un décès survient dans 25 % des cas et 33 % des survivants ont des séquelles. La SSPE est une forme rare et mortelle qui serait liée à une persistance de l'infection virale dans le système nerveux. Sa fréquence estimée se situerait entre un cas pour 100 000 et un pour 8 500 000 rougeoles. La MIBE est une complication très rare qui survient chez des enfants ou adultes immunodéprimés par un traitement ou une maladie. Elle apparaît dans les six mois qui suivent la rougeole et 80 % des sujets en décèdent.

La vaccination : seule arme actuelle capable de faire régresser la rougeole

La rougeole est une maladie très contagieuse. Sa prévention par des mesures d'asepsie (ou d'hygiène) est illusoire, parce que les sujets atteints sont principalement de jeunes enfants et que les individus malades sont très contagieux avant l'apparition de l'érythème ("boutons"), cela par leur toux et leur rhinite : la rougeole en phase pré-éruptive est confondue avec une rhinopharyngite banale. Lorsqu'apparaît l'éruption, le mal est déjà fait, car le virus a pu être transmis à de nombreux autres sujets. C'est pourquoi la seule prévention vraiment efficace consiste en la vaccination par le vaccin atténué en deux doses séparées dans le temps. Dire que le vaccin est atténué revient à dire que c'est une souche virale qui est infectieuse, mais non pathogène : après inoculation du vaccin, une infection bénigne (inapparente) se produit, source d'une immunisation efficace et durable.

Le discours anti-vaccinal et ses ravages : les accidents de l'anti-vaccination

Les principaux éléments du discours anti-vaccinal sont les suivants : "L'être humain n'a pas besoin de vaccins, parce qu'il est capable de lutter contre les infections ; il est préférable de mener une vie saine qui permet d'avoir de bonnes défenses immunitaires ; il vaut mieux que le corps humain s'immunise naturellement, plutôt qu'artificiellement ; les vaccins contribuent à affaiblir les capacités immunitaires ; ils sont surtout destinés à enrichir les laboratoires et les pharmacies, plus qu'à protéger les personnes ; ce sont des produits dangereux pour la santé en raison des adjuvants, des impuretés et de la nature des antigènes microbiens ou des microorganismes atténués qui constituent leur principe actif…"
Ce discours séducteur d'inspiration philosophique, anthropologique et écologique, n'est pas réaliste et donc pas recevable. Il fait totalement abstraction des connaissances virologiques, infectiologiques, immunologiques et épidémiologiques actuelles. Le vaccin antirougeoleux a réellement permis une régression spectaculaire de la maladie et l'évitement d'un très grand nombre de vies humaines et de séquelles neurologiques handicapantes.
Alors que le mouvement anti-vaccinal est à l'origine de cas graves de rougeole et tétanos, pour ne citer que ces deux maladies facilement prévenues par un vaccin.

Les raisons de l'importante et inquiétante progression des cas de rougeole

Jusqu’en 1988, on comptait en France 15 à 30 décès par an dus à la rougeole. Le nombre de SSPE enregistrées est passé de 25 en 1988 à trois en 1996 ; 20 à 30 cas de PIE étaient notifiés au début des années 1980 et moins de cinq en 1995 et 1996. Mais cette situation rassurante était en réalité le reflet d'une faible circulation virale, qui résultait de la vaccination de masse. Or, pendant ces années, une accumulation progressive de sujets non immunisés s'est produite. Et lorsque le virus a été réintroduit dans la population – donc insuffisamment vaccinée -, ce sont trois vagues épidémiques qui ont frappé, entre 2008 et 2011, totalisant, jusqu’en 2018 : 25 000 cas notifiés, plus de 1500 pneumonies graves et 38 complications neurologiques. Avec pour conséquence 20 décès dont 8 chez des immunodéprimés. Une nouvelle vague épidémique sévit depuis la fin 2017 (519 cas en 2017) : plus de 2466 cas depuis le 6 novembre 2017 avec un nouveau décès. Et au 12 juin 2018, 84 départements avaient notifié au moins un cas ; l’incidence (le nombre de nouveaux cas par semaine, par mois ou par an) la plus élevée concerne les enfants âgés de moins d'un an ; 22 % des cas déclarés ont été hospitalisés et 88 % sont survenus chez des sujets non ou mal vaccinés. Or, la seule cause de ces vagues épidémiques est l’insuffisance de couverture vaccinale, car le virus ne s'est pas modifié et l'efficacité du vaccin reste toujours la même. En France, la couverture vaccinale en 2015 était de 83,2 % pour les deux doses à l'âge de six ans (en 2012 et en 2013) et de 83,9 % pour les deux doses à l'âge de 15 ans. En 2016, elle était de 90,3 % à l'âge de deux ans pour la première dose et de 80,1 % pour la seconde dose. Ces taux de couverture vaccinale sont nettement insuffisants pour pouvoir stopper l'épidémie, étant donné que dans 5 à 10 % des cas de vaccination, les anticorps qui sont le reflet de l'immunité n'apparaissent qu'après la deuxième dose.

Atlantico : Que peuvent faire les Etats européens pour réagir rapidement et efficacement à cette situation ?

La Finlande, dont la couverture vaccinale (donc à deux doses) dépasse 95 % depuis 1997, a éliminé la rougeole et n’a plus que des cas importés.
Mais en 2016, la couverture vaccinale (à deux doses) était inférieure à 95 % dans 22 des 29 pays de l’Union européenne.
La France a eu le courage de rendre la vaccination du nourrisson obligatoire depuis le 1er janvier 2018, pour les enfants nés à partir de cette date : une première dose à 12 mois, quel que soit le mode de garde de l'enfant (avant cet âge, le vaccin est moins immunogène et de ce fait moins protecteur) ; une seconde dose entre 16 et 18 mois. L’intervalle minimal entre deux doses est d'un mois. Chez les nourrissons âgés de moins d'un an et devant voyager dans un pays à circulation virale intense, la vaccination peut être pratiquée dès l’âge de six mois. Dans ce cas, l’enfant recevra par la suite encore deux autres doses, selon le schéma général (à 12 mois et vers 16 à 18 mois).
Mais pour protéger les nourrissons âgés de moins d'un an, il faut aussi vacciner les plus grands. On recommande donc de vérifier que toute personne née depuis 1980, c’est-à-dire ayant jusqu’à 38 ans en 2018, ait bien reçu deux doses. Pour celles nées avant 1980, une enquête effectuée en 2009 et 2010 montre que seuls 2,3 % des 30 à 39 ans et 0,5 % des 40 à 49 ans sont non immunisées. Le rattrapage des personnes nées avant 1980 ne paraît dès lors pas justifié, mais on peut toutefois les vacciner dans des situations spécifiques à risque.
Quant aux professionnels de santé et aux personnes en charge de la petite enfance, nés en 1980 ou après, ils doivent mettre à jour leur calendrier vaccinal. Et pour ceux qui sont nés avant 1980 - non vaccinés et sans antécédent connu de rougeole - on recommande de faire une dose de vaccin.
Il paraît donc indispensable, si l'on veut réellement faire régresser la rougeole dans l'Union européenne, que tous les Etats membres s'inspirent de ce qui a été fait en Finlande et des mesures récentes adoptées par la France.

Atlantico : Comment reconnaître les symptômes pour traiter rapidement la maladie et quels sont les moyens de préventions les plus efficaces ?

Nous avons vu que l'un des problèmes de la rougeole était qu'elle ressemble à une banale rhinopharyngite à son début alors qu'elle est déjà très contagieuse. Or, il est bien difficile de la reconnaître à ce stade. La prévention par l'asepsie (l'hygiène) est donc vraiment illusoire. Certes, on peut faire passer le message selon lequel, en période d'épidémie de rougeole, toute rhinopharyngite peut être une rougeole avant l'érythème ou éruption ("boutons") et qu'il faut pour cette raison prendre des précautions d'asepsie, mais ce message risque fort de ne pas être très efficace.
Par ailleurs, il n'existe pas de médicament antiviral efficace contre ce virus qui, rappelons-le, est très contagieux.

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