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Le courage et le mérite des démineurs au service de la France
©BORIS HORVAT / AFP

Bonnes feuilles

Démineur, au-delà des fantasmes cinématographiques, ce métier reste l'un des plus dangereux du monde. La conscience de l'imminence potentielle de l'explosion donne à ces hommes une perception unique du danger et les incite à une démarche introspective et des interrogations universelles. Extraits du livre "Démineur" de Victor Ferreira, publié chez Mareuil éditions. 1/2

Victor Ferreira

Victor Ferreira

Victor Ferreira a quitté le Portugal en 1983 pour venir en France. Il s est engagé à la Légion Étrangère en 1984. Il a servi au 4e RE (Castelnaudary), à la 13e DBLE (Djibouti), au 3e REI (Kourou) et au 2e REI (Nîmes), où il a fait la plus grande partie de sa carrière. Il a notamment participé à de nombreuses opérations extérieures.
 
Il a quitté la Légion fin 2007 en tant qu'adjudant-chef. Reporter-photographe, il se consacre dorénavant à des projets artistiques : nombreuses expositions photographiques, écriture de livres (La Légion dans la peau, LégionnaireLa traversée des Pyrénées) ou bien encore des films documentaires...
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Eddy, 47 ans, Montauban 

Je suis démineur parachutiste et j’ai 26 ans de service. Dans le Génie, dès votre arrivée, vous êtes totalement immergé dans le monde du déminage.

Mon parcours est un peu atypique. Il existait une convention entre l’académie de Nantes et le 6e RG qui permettait aux jeunes qui étaient dans les travaux publics de faire leur service national au sein de ce corps. Je l’ai fait et j’ai tout naturellement continué. En 2008, au terme d’une longue formation, je suis entré dans la filière EOD.

Être démineur parachutiste comporte une difficulté supplémentaire : le poids. Ma gaine ne doit pas dépasser 20 kilos alors que je dois prendre tout le matériel Génie nécessaire pour remplir ma mission : DHPM, sonde, pinces, etc. C’est ainsi que j’ai été largué au Mali en 2013.

En Afghanistan, lors de l’attaque suicide à Tagab, le 13 juillet 2011, qui a fait cinq morts dans nos rangs, nous avons évacué les corps de nos camarades et sécurisé la zone de l’attentat. Malgré la tragédie qui venait de se produire, je suis resté dans ma bulle, concentré sur ma mission. J’évolue parmi des blessés et des morts et, malgré tout, je dois savoir rester calme et faire mon job.

Je n’ai jamais été blessé dans ma chair. Mais je suis meurtri par la vision de tous les morts et blessés que j’ai pu voir. Nous avons un suivi psychologique et nous passons par un sas de décompression au retour de mission. Au départ, j’étais un peu sceptique mais, je l’avoue, cela permet de libérer le corps d’un poids. J’ai des nuits courtes…

Quand je pars en intervention, mon épouse me dit qu’elle m’aime. Mes enfants me donnent souvent un doudou. Avant, ils voulaient devenir militaires. Comme papa ! Mais après avoir vu le Film Démineurs, ils ont changé d’avis. Je conserve toujours avec moi le chapelet que ma grand-mère m’a donné. Je ne suis pas très pratiquant mais l’objet m’est précieux. 

Sébastien, 37 ans, Montauban 

Je suis le « régional de l’étape ». Ça s’entend à mon accent. Entre l’EOD que je suis et le jeune sapeur que j’ai été perdure le même sentiment de peur, sauf qu’aujourd’hui, j’ai appris à l’apprivoiser. Avant d’intervenir sur un IED, je souffle un bon coup pour qu’elle se transforme en moteur de mon action.

J’ai participé à des missions qui ont été particulièrement difficiles, de l’Afghanistan jusqu’au Mali. J’ai séjourné quatre mois dans un pays qui, à l’époque, était un véritable laboratoire pour la création d’IED en tous genres. Une mission aussi enrichissante professionnellement que person-nellement. J’y ai vu beaucoup d’engins, parfois plusieurs par jour. Je me devais de rester lucide en permanence. Nous sommes tous conscients des risques que nous courons et il faut savoir dire « stop » quand la fatigue se fait ressentir. Il m’est parfois arrivé de ne pas être d’accord avec mon binôme sur une intervention. Mais il n’y a pas de bonne ou de mauvaise solution. Plusieurs choix s’offrent à nous. Jusqu’à maintenant, j’ai toujours fait le bon.

Après un attentat, j’ai dû aller récupérer sur des terroristes les restes de leurs ceintures explosives pour qu’elles soient analysées. Dans ce cas, je fais abstraction de cette situation macabre et j’effectue des gestes purement techniques. Le fait de savoir que la personne a été un meurtrier m’aide à m’en détacher.

Après toute intervention, il est très important de débriefer pour continuer à bien dormir. 

Franck, 53 ans, Laudun

J’ai 34 ans de service. Je me suis engagé à la Légion à 20 ans. En 93, au cours d’une mission de déminage au Cambodge, j’ai vu pour la première fois un blessé par mine. Je me suis alors porté volontaire pour devenir EOD.

En Afghanistan, en 2009, ma mission a été vite écourtée. Le jour de l’accident, nous sortions les munitions d’un IED pour les détruire. J’avais un obus dans les bras. Au moment de le poser au sol, il a déagré. Un simple accident. À l’instant de l’explosion, j’ai vu un nuage de poussière. Ma main gauche était partie. Ma jambe droite pendait dans le vide alors que je me tenais toujours debout. Mon binôme est intervenu immédiatement et m’a demandé de m’allonger. J’ai dit : « Putain, c’est la merde ! » J’étais conscient, j’ai tout vu… Il m’a posé un garrot sur les membres. Le médecin est arrivé très vite. Évacué par hélicoptère, je me souviens, j’avais très froid ! Si l’explosif avait correctement fonctionné, il m’aurait coupé en deux.

J’ai la chance de me souvenir de tout. Même de mon réveil à l’hôpital Percy. J’ai regardé au bout du lit : deux pieds. Puis j’ai regardé mes mains : un grand pansement du côté gauche. Il me manque donc cette main. Ce n’était pas un cauchemar. Au début, j’étais déboussolé. De nombreux médecins et infirmières se succédaient autour de moi. Puis les douleurs ont commencé à faire très mal. Le général médecin m’a assuré qu’ils tentaient tout pour sauver ma jambe. Au bout de six mois d’immobilisation, 27 opérations et un an et demi d’hôpital, j’ai conservé ma jambe.

Mon épouse et mes enfants sont ma force et mon courage. J’ai voulu vite reprendre le travail. Pour un blessé, c’est important de retrouver sa place de soldat. J’ai été accueilli au régiment par une haie d’honneur. J’ai ma famille. Mais j’en ai aussi une deuxième, la Légion. J’ai réattaqué. Si ça ne va pas, je décroche. Mais c’est moi que déciderai de refermer le livre, pas la blessure. Être blessé fait partie du métier. Ce que j’ai vécu n’est pas injuste, c’est juste arrivé. Même si, après sept ans, je souffre encore dans ma chair.

Extraits du livre "Démineur" de Victor Ferreira, publié chez Mareuil éditions. 

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