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La France à l'heure des célébrations du 15 août
©PASCAL PAVANI / AFP

Rites religieux et traditions

En ce jour de l'Assomption, le pèlerinage national de Lourdes va rassembler un nombre important de fidèles. D'autres villes et régions françaises célèbrent également cette fête religieuse inscrite dans la mémoire populaire.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Note de la rédaction : Cet article a déjà été publié en août 2016. 

Atlantico : Le 15 août est aujourd’hui un jour férié. Il s’avère que ce jour coïncide avec la fête de l’Assomption de la Vierge dans le calendrier catholique. Est-ce parce que la figure mariale, souvent méconnue, a une importance telle que la France laïque l’a maintenue dans le calendrier des jours chômés ?

Bertrand Vergely : Trois éléments expliquent le maintien de cette fête du 15 août.

Il y a en premier lieu le poids de la logique sociale. En France, on ne supprime pas un avantage acquis. Ce qui vaut pour telle ou telle prime vaut pour les fêtes. On a eu l’occasion de s’en apercevoir à l’occasion du projet de supprimer la Pentecôte. Si la France laïque, républicaine, est contre la religion en tant que doctrine, elle n’est pas contre quand il s’agit de fêtes. La Pentecôte et la descente de l’Esprit Saint, l’Assomption et la montée au Ciel de la Vierge, Noël et la naissance du Christ : pour la France laïque, républicaine et volontiers anticatholique et anticléricale, pas question de s’y intéresser. En revanche Noël pour la dinde, Pentecôte pour son week-end, et le 15 août pour son pont, là oui. Pas question de manquer ces jours de repos ou de bombance familiale.

Par ailleurs, il y a l’inertie historique et, derrière elle, la force des habitudes. On ne peut pas nier deux mille ans de christianisme. Pendant des siècles, le temps collectif a été rythmé par les grandes fêtes de l’hiver (Noël), du printemps (la Pentecôte), de l’été (le 15 août) et de l’automne (la Toussaint). Si l’on supprimait ces fêtes, il manquerait un repère dans le temps. On sentirait comme un vide. Aussi les maintient-on. Pour habiller le temps et permettre ainsi de le scander. Ce qui n’est pas rien. J’ai appris dernièrement qu’un maire communiste d’une petite ville a tenu à sauver une église promise à la démolition. Ce maire a compris que si cette église venait à disparaître, l’espace de sa ville serait déshabillé. Aussi, l’a-t-il conservée. Geste révélateur. Nous avons besoin de nous centrer dans le temps comme dans l’espace. Une fête, une église, permettent de le faire.

Enfin, il y a la mémoire populaire. Marie a joué un grand rôle pour le peuple qui souffre. Elle joue encore ce rôle. "La Toute Sainte"  dit-on dans le Sud. En Grèce aujourd’hui, la Panaghia, la Toute Sainte , est omniprésente. Quand les hommes ignorent le chagrin et la douleur, il reste un recours. Elle, à qui il est possible de tout confier parce que, ayant porté la douleur et le chagrin de son Fils crucifié, elle sait ce que veut dire le chagrin et la douleur du monde. Je pense que Marie comme recours universel, mère de la tendresse et de l’accueil inconditionnel, dépasse tout, engobe tout et touche tous les êtres humains d’où qu’ils viennent. Qui ne recherche pas une mère infinie ? Au-delà de l’intérêt matériel du 15 août, ainsi que de sa portée anthropologique, qui sait si dans le fond des coeurs, ce n’est pas cela aussi qui motive le maintien du 15 août ?

Cette fête est inscrite dans le territoire français, à travers notamment le pèlerinage national de Lourdes. Dans quelles autres espace du territoire national célèvre-t-on encore cette fête et pourquoi ?

Je suis frappé de voir le lien qu’il peut y avoir entre la Marie, Vierge et Mère à la fois, et les régions à identité forte comme la Bretagne, la Corse ou le Pays basque, sans compter les autres. Je crois qu’on y fête le 15 août par respect pour la Femme et, derrière elle, pour toutes les femmes. Les peuples à identité forte sont des peuples qui ont dû lutter pour survivre. D’où leur respect pour la femme. Quand on est une femme, on porte la vie dans ses entrailles. Quand on lutte pour survivre, on porte également la vie dans ses entrailles. C’est le sens de la Vie enracinée dans la Femme et de la Femme enracinée dans la Vie qui fait que les régions fêtent le 15 août avec une attention particulière. L’Homme et Dieu se rejoignent dans la profondeur, disait le philosophe russe Nicolas Berdiaef. L’homme et la femme aussi.

Si on pense à son histoire et à son inscription dans le monde chrétien et européen, quelle importance revêt cette fête ?

Pou comprendre cette fête, il importe de comprendre sa signification théologique. Marie marque un tournant dans l’histoire du monde, et pas simplement dans le monde chrétien et en Europe. Et ce, pour trois raisons.

En premier lieu, avec elle, à travers elle, en elle et par elle, Dieu en personne, sous la forme de son Fils, vient dans l’Histoire. Ce qui est inouï. On se demande si Dieu existe. Avec le Christ, ce n’est pas une preuve qui est apportée : c’est Dieu en personne qui se donne à voir. Point capital dans cette manifestation inouïe de Dieu : c’est par une femme que cela est possible. De ce fait, finie l’idée que le péché est rentré dans le monde par une femme. Désormais, une nouvelle ère s’ouvre, celle de la Nouvelle Ève avec cette idée ô combien libératrice : c’est par la femme que le salut rentre dans le monde.

Par ailleurs, Marie n’est pas simplement la médiatrice de l’incarnation, elle est aussi la médiatrice d’un nouveau rapport entre Dieu et l’Homme, l’Homme et Dieu. Avant Marie, l’Homme vient de Dieu. à partir de Marie, l’Homme continue de venir de Dieu, mais en plus Dieu vient de l’Homme. Dieu naît à travers l’Homme. Nouvelle révolution. Celle de l’intériorité. L’Homme est celui qui peut faire naître Dieu. Comme Marie. Quelle liberté donnée à l’Homme. Quelle confiance !

Enfin, dernier élément. Les orthodoxes parlent de Marie en disant la mère de Dieu, en grec théotokos. Formule surprenante. Scandaleuse. Comment Marie pourrait-elle être la mère de Dieu puisque c’est Dieu qui l’a créée ? Formule juste cependant, Marie étant la mère non pas d’un homme, Jésus, mais d’un mystère inouï, la venue de Dieu en personne dans le monde. Autre révolution. Avec Marie il est rappelé que nous n’avons pas simplement affaire à l’humain mais au plus qu’humain. 

Nous sommes reliés à un plan d’existence proprement inouï qui est le plan divin. Tout le sens du christianisme est d’en témoigner en expliquant au monde qu’il ne s’agit pas là d’un rêve mais d’une réalité. Tout le génie de l’Europe réside là. S’il y a l’Homme et l’humanisme, c’est parce qu’il y a l’inouï de l’Homme. Séparons l’Homme de l’inouï de l’Homme. L’Homme et l’humanisme disparaissent. On s’en aperçoit actuellement. Comme on perd le sens de l’inouï de la vie, l’Homme est en train de disparaître. Il peut toutefois réapparaître. Une fête comme le 15 août le fait réapparaître. Dans toute sa splendeur. Grâce à Marie. 

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