"Addiction au shopping”, vraiment ? Comment cette tendance à tout pathologiser risque de faire plus de mal que de bien<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
"Addiction au shopping”, vraiment ? Comment cette tendance à tout pathologiser risque de faire plus de mal que de bien
©Reuters

321

La dépendance au shopping pourrait bientôt devenir une addiction à part entière. Cela relève-t-il d'une tendance à tout pathologiser ou est-ce une véritable addiction au même titre que l'alcool ou la drogue ?

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

Voir la bio »

Atlantico : Désormais, la dépendance au shopping serait en passe d'être qualifiée d'addiction à part entière. Les personnes qui s'en disent victimes décrivent souvent une envie ou une anxiété croissante qui ne peut être atténuée que lorsqu'un achat est effectué. En somme, un désir incontrôlable de faire des achats et de dépenser de l'argent. Pensez-vous que la dépendance au shopping mérite d'être qualifiée d'addiction au même titre que la dépendance à l'alcool, aux drogues etc… ?

Pascal Neveu : L'étude menée par des universitaires allemands, pourtant réputés pour leur plus grand sérieux scientifique, veut faire reconnaître le « shopaholism » comme une maladie, créant  le « compulsive buying disorder » (CBD), sorte de syndrome d’achat compulsif.

Ils ont ainsi pu « chiffrer » les addicts au shopping: 6% de la population en souffrirait, avec une prédominance de 60% de femmes... ce que de nombreuses personnes vont qualifier de cliché ou d'induction... car il existe une sorte d'orientation à l'addiction « structurelle », pour ne pas dire « culturelle » et surtout liée à l'accessibilité à l'objet d'addiction.  Plus précisément en fonction de notre éducation et de l’environnement au sein duquel nous évoluons, nous allons privilégier un type d’addiction.

Pour autant, que nous dit l’histoire et les recherches ? L'oniomanie est un trouble lié à l'achat compulsif découvert en Allemagne à la fin du xixe siècle par Emil Kraepelin. Il s’agit une relation pathologique entre argent et achats. Ce trouble toucherait non pas 6% mais environ 1% de la population mondiale.

Les achats ont lieu juste après un sentiment d'excitation ou d'impatience et sont suivis d’un ressenti de satisfaction. Ce qui compte, c'est l'acte d'acheter mais pas la marchandise acquise ! La reconnaissance du trouble d'achat compulsif a été défendu auprès de tribunaux français, via des expertises, suite à des problèmes financiers.

Il existerait donc un « tropisme addictif », qui provoquerait les mêmes effets psychiques et physiologiques, de prime abord…  car l'achat d'un sac à main d'une grande marque n'a pas les mêmes effets que l'addiction à l'alcool et à la drogue qui, eux, interagissent directement avec notre corps et notre métabolisme, provoquant un manque physiologique irrépressible, mesurable scientifiquement.

Ce dont il faut « traiter » c'est bien de la souffrance psychique du manque, du vide qui contraint à ne pas penser à l'argent dépensé, qui nous fait nous fixer sur un objet, qui nous mène à des comportements dangereux, culpabilisants, voire suicidaires. Car il n'est plus question de contrôle, de raison ou autre. Il est question de survie face à une « angoisse de mort » impossible à décrire.

En quoi l’achat calme-t-il notre être ? L'oniomanie trouve ses origines dans la petite enfance, avec une relation parent-enfant dysfonctionnelle. Des enfants qui se sont sentis négligés par leurs parents, grandissant souvent avec une mauvaise estime de soi, car se sentant peu importants en tant que personnes. La recherche d’une consolation via des objets viendrait combler ce manque et le sentiment de solitude et de manque d’amour insoutenable, expliquant les addictions. C’est un vide affectif et identitaire qu’il faut alors combler. C'est Freud qui évoquait le premier l’addiction comme étant un « besoin primitif » pour la survie du patient.

N'a-t-on pas tendance tout pas pour mieux fuir ses responsabilités individuelles ? D’où vient cette tendance et quel peut être le risque de cette attitude ?

Effectivement nous observons depuis plusieurs années à une dérive de reconnaissance de « maladies ». À tout niveau et pas que « psy »... du syndrome de Tourette à la maladie de Lyme en passant par l'alcoolisme, nombre d'études se combattent, nombre d'associations naissent, nombre de cliniques proposent des traitements à des fins mercantiles usant sur la croyance et non la connaissance scientifique et médicale, eux incontestables. Nous avons affaire actuellement à un abus de maladies dont un certain nombre relèvent de la création psychique. Bien évidemment celles incontestables sont validées par tous les collèges scientifiques et médicaux.

C'est une des raisons pour lesquelles le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique psychiatrique édité par l'Organisation Mondiale de la Santé) a été rejeté par le monde psy européen et notamment français, pourtant le principal pays consommateur d'antidépresseurs et de psychotropes parce que trop sous influence de lobbyings.

Malgré ce qui circule comme idées, la France se préserve au maximum, malgré quelques scandales qui, heureusement, ont été fermement condamnés. Mais il faut toujours vigilance garder. Car la maladie est un marché pour certains !

Brandir une carte en disant « je suis malade » relève du déni d’une souffrance psychique et du refus de l’introspection pour certains. Tant de fois nous entendons des addicts nous dire « Ce n’est pas de ma faute, je suis malade ! ».  Mais c’est un autre débat.

La personne souffrant d'oniomanie passe par des ressentis divers : angoisse, culpabilité, dépression, souvent aggravés par les problèmes financiers suite à des dépenses incontrôlées. Les achats compulsifs, qui peuvent durer plusieurs années, peuvent avoir des conséquences graves et dévastatrices: l'endettement. Certains en arrivent alors au vol et autres actes délinquants.

Les conséquences sont donc multiples et sortant du champ de la prise en charge psychothérapeutique, compliquant les résultats.

Mais un psy n’est pas un « flic » et l’addict nous ment très souvent, mettant en échec son suivi. Nous mettons en place depuis quelques années de nouveaux protocoles qui, s’ils sont suivis, même s’il y a parfois rechute (à analyser, ce qui peut être très éclairant pour le patient qui est alors confronté à ses angoisses « nues »), permettent d’atteindre un facteur de « guérison » meilleur. Pour cela, le patient doit être participatif de sa thérapie et dans sa réflexion individuelle.

Quels sont les signes permettant vraiment d'identifier une addiction ?

Les addictions sont définies comme étant « des pathologies cérébrales liées une dépendance à une substance ou une activité, avec des conséquences délétères ». Les chercheurs tentent de mieux décrire les mécanismes impliqués dans l’apparition, le maintien et les rechutes des addictions. Ils essaient aussi d’identifier les facteurs de vulnérabilité individuels, sociétaux et environnementaux, pour une meilleure prévention et prise en charge.

Les addictions les plus répandues concernent le tabac et l’alcool. Viennent ensuite le cannabis et, loin derrière, les opiacés (héroïne, morphine), la cocaïne, les amphétamines et dérivés de synthèse. Il existe également des addictions liées à des activités (et non à des substances), comme les jeux d’argent, les jeux vidéo, le sexe ou encore les achats compulsifs.

Ces addictions (ou dépendances) peuvent survenir à tout moment de l’existence, mais la période de 15 à 25 ans est la plus propice à leur émergence. Le comportement à risque des adolescents et des jeunes adultes facilite en effet les premières expériences, et l’usage précoce de drogues expose à un risque accru d’apparition d’une addiction par la suite. Dans l’ensemble, les hommes sont plus souvent concernés par les addictions que les femmes.

L’installation d’une addiction implique au moins trois mécaniques :

. recherche de plaisir,

. recherche d’un soulagement,

. perte de contrôle de la consommation.

L’addiction démarre essentiellement avec le plaisir généré par la substance addictive. Cette sensation est due à des modifications électrochimiques s’opérant dans le cerveau en réponse à la consommation de la substance. On observe en particulier la libération de dopamine, la molécule « du plaisir »  et de la récompense, mais aussi de sérotonine ainsi que l’activation des récepteurs aux endorphines, des molécules impliquées dans la sensation de bien-être.

Les problèmes engendrés par une addiction peuvent être d'ordre physique, psychologique, relationnel, familial et social. La dégradation progressive et continue à tous ces niveaux rend souvent le retour à une vie libre de plus en plus problématique, créant une rupture professionnelle, sociale, affective…

Le psychiatre Aviel Goodman a défini, en 1990, l'addiction comme « un processus par lequel un comportement, qui peut fonctionner à la fois pour produire du plaisir et pour soulager un malaise intérieur, est utilisé sous un mode caractérisé par l’échec répété dans le contrôle de ce comportement (impuissance) et la persistance de ce comportement en dépit de conséquences négatives significatives (défaut de gestion) ».

Autrement dit les personnes qui comptaient sur des choses matérielles pour trouver un réconfort émotionnel lorsqu'ils étaient enfants sont plus susceptibles de devenir accros au shopping, car leur sentiment de vide intérieur et de carence affective persiste à l'âge adulte. L'achat d'un jouet ou d'aliments vient remplacer l'affection. L'acheteur/l'acheteuse compulsif semble donc être une personne dont l'identité est mal définie, qui est à la recherche d'elle-même et qui pense que ses achats vont lui donner une consistance et une existence sociale valorisante.

Le problème étant que des troubles associés, tels que la culpabilité, l'anxiété, la dépression et une mauvaise estime de soi compliquent la prise en charge. Pour certains, le statut social joue également un rôle important dans l'oniomanie, la société de consommation alimentant l'idée que les achats compulsifs sont une forme d'addiction post-moderne. La meilleure chose que puisse faire un oniomane serait de ne pas posséder de carte de crédit.

Alors que le shopping peut offrir une source constructive d'expression de soi, il peut hélas représenter un véritable danger dans sa forme excessive. La clinique de l’addiction est énorme, avec des incidences sociales et financières très importantes. La Ministre de la santé souhaite mettre en place tout un axe de prévention sur ce sujet. La France est très en retard face à ces sujets.

Mais reconnaître le « shopaholism » comme une maladie relève davantage de la supercherie judiciaire que médicale. Nul besoin de donner des chiffres pour affirmer que les addicts aux drogues et à l’alcool remplissent davantage les hôpitaux et les cimetières que les addicts aux grands magasins !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !