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Se faire des amis, mode d’emploi (si, si, ça existe)
©ERIC FEFERBERG / AFP

L'amitié

Plusieurs équipes de scientifiques se sont penchées sur notre habilités à nouer des relations sociales. Si l’on en croit la science, on devrait lâcher nos écrans et accorder plus de temps aux échanges du quotidien.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : D’après les scientifiques peu importe la taille de notre réseau, nous aurions, en moyenne, un cercle d’amis comprenant environ 10 ou 20 personnes. Un nombre moyen de relations proches qui baisserait depuis la fin du 20ème siècle. Pourquoi avons-nous de moins en moins d’amis ? Quelles peuvent être les conséquences d’une vie sociale restreinte ?

Jean-Paul Mialet : De quels amis parle-t-on ? L’enquête qui signale cette réduction n’étudie que le nombre des amis proches, c’est-à-dire ceux auxquels on se confie. Or, leur nombre a toujours été restreint. Mais, de fait, ils seraient de moins en moins nombreux : il semblerait qu’entre 1985 et 2004 on soit passé de trois confidents à deux. Certes, cette diminution n’est pas négligeable - cela représente ⅓ d’amis perdus. Cependant, que sait-on de ce qui se passe au niveau de cercle des amitiés moins intimes ?
A quoi cette réduction de l’amitié profonde pourrait-elle être due ? Dans une autre étude, on indique aussi que pour se faire des amis il faut prendre son temps (le nombre d’heures varient de 50h à 290h selon que l’on désire se faire une simple connaissance ou un ami intime) or notre époque n’est sans doute pas propice à ce temps consacré à l’amitié. Nous sommes tous très occupé par nos activités, distraits par de nombreuses choses comme la télévision ou encore les réseaux sociaux qui consomment beaucoup de notre temps et ne nous permettent finalement pas de nous faire de vrais amis, ni de cultiver la véritable amitié.
Car il ne faut pas se leurrer : ce que l’on gagne en « connaissances » avec les réseaux sociaux, on le perd en qualité d’amitié et en nombre d’amis réels, Sur un réseau social, il y a un grand nombre “d’amis” qui vous « like » mais peu à qui l’on peut vraiment se confier, que l’on peut considérer comme amis très proches ou même comme amis occasionnels.
Quelles conséquences ? Qu’on me permette d’exprimer un point de vue personnel : je pense que les conséquences d’une vie sociale restreinte se situent au niveau de l’humanité de la relation. A deux niveaux : celle que l’on développe avec les autres mais aussi celle que l’on entretient avec soi-même. Car les amis ne nous permettent seulement d'approfondir la connaissance que l’on a des autres, ils contribuent aussi à la connaissance de nous-même. On se définit par rapport aux autres, on construit son identité, sa perception de soi à travers la connaissance des autres. Pour prendre une image caricaturale, une femme ne peut comprendre qu’elle est blonde que parce qu’elle croise des femmes brunes autour d’elles. Cette image peut être transposée à l’intégralité de la connaissance de soi, dans les dimensions plus subtiles de la pensée et de la représentation que l’on se fait du monde. Sur les réseaux sociaux il y a une forme de rapprochement avec les autres, mais il n’implique pas la même profondeur. Cela reste de l’ordre d’un frottement d’idées abstraites dans un monde d’échange virtuel, or ces interactions n’ont qu’un impact superficiel : il leur manque la dimension affective et émotionnelle de la rencontre réelle. 

D’après les chercheurs notre nombre d’amis influerait directement sur notre durée de vie. Quel lien existe-t-il entre durée de vie et amitié ? 

C’est un fait qui a été noté depuis très longtemps : avoir un bon réseau social est en corrélation directe avec la durée de vie. L’interprétation que l’on peut en faire est variable. On peut l’interpréter, en disant que les individus qui ont de bonnes relations sociales sont des individus qui se nourrissent de ces relations avec les autres et qui, par conséquent, ont un univers intérieur plus riche, une vie plus riche. Cette curiosité pour la vie des autres est un témoignage du goût de vivre qui les porte à vivre.
A contrario, ceux qui ont réseaux moins important s'appauvrissent, s’amenuisent et se replient dans une vie personnelle qui - étant plus pauvre, plus vide - les fait vieillir plus vite. Ils en viennent à se détacher de la vie, ce qui les rend plus vulnérables. La vie aime qu’on l’aime…
Un autre point de vue consiste à considérer que tout ça n’est pas une cause de la mortalité, mais que c’est plutôt notre propre personnalité qui nous mènerait davantage vers une vie moins longue. Certaines personnes sont un peu plus détachées de tout et des autres, elles ont moins d'interactions sociales et sont ainsi plus vulnérables. In fine, le risque de mortalité chez elles est plus grand.

Ces mêmes groupes de chercheurs ont également réfléchi à la manière dont un individu pouvait consolider son cercle. Que conseillent ces scientifiques pour se faire des amis plus facilement ? 

Les scientifiques signalent un point remarquable, c’est que toutes les interactions humaines comptent, qu’il s’agisse de la conversation la plus banale avec son boucher à l’amitié profonde. A leurs yeux, tous ces échanges ont un impact sur le bien-être. Et cette prise de conscience est très importante pour pousser chacun vers autrui. Cette volonté est essentielle, car c’est lorsque l’on comprend qu'il faut aller vers autrui que l’on s’ouvre davantage et que l’amitié vient plus facilement.
Excepté certaines natures particulièrement sociables, on a tendance à s’isoler par facilité. L’autre, c’est l’inconnu, et l’inconnu dérange. On peut être tenté de ne pas sortir de soi-même parce que l’on néglige l’importance du côtoiement des autres ou encore dans la crainte de s’imposer et d’être mal accueilli. C’est une erreur, ces études montrent que nous sommes tous dans la même situation : celle d’un grand besoin les uns des autres. Il faudrait donc partir d’un a priori favorable de l’autre et non pas défavorable : n’ayons pas peur, allons vers cette personne, provoquons la rencontre. Même pour une simple rencontre, ce sera déjà positif et qui sait si cette rencontre ne pourra pas mener à une amitié occasionnelle ou même, avec le temps, à une amitié profonde ? Mais, oublions nos craintes, sortons de notre réserve et ne méprisons pas les rencontres les plus modestes.
Se faire des amis c’est donc déjà ne pas négliger la moindre rencontre, c’est également avoir envie de se faire des amis et oser aller vers autrui sans peur d’être rejeté puisque chacun à ce même besoin. Les recherches montrent également un point rassurant : si l’on commence à se dévoiler aux autres, les autres se dévoilent à nous et y trouvent du plaisir. L’amitié est ainsi à notre porte : il suffit de pousser la porte, en confiance et sans préjugés. Quitte à faire le tri par la suite : les affinités électives de l’amitié profonde sont aussi mystérieuse que celle de l’amour, et chacune de nos rencontres ne saurait mener à la grande amitié. Mais n’y a-t-il d’enviable que les amitiés profondes, et certains croisements sans suite, vécus dans l’imprévu d’une rencontre, ne comptent-ils eux aussi beaucoup pour la poésie de l’existence ?

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