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Congés stressés : les angoissés des vacances sont plus nombreux qu’on croit
©BORIS HORVAT / AFP

Peur panique

Si à l’approche des vacances, nous sommes généralement ravis à l’idée de changer d’air et de quitter notre quotidien, ce n’est pas le cas de tout un chacun. Alors que les hôtels se remplissent, et les plages se font noire de monde certains voient leurs angoisses monter en puissance.

Bernard Andrieu

Bernard Andrieu

Bernard Andrieu est philosophe, Pr. en Staps Université Paris Descartes, Directeur du laboratoire EA 3625 TEC, http://recherche.parisdescartes.fr/tec/auteur de Sentir son cors vivant. Emersioliogie 1, Paris, Vrin, 2016

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Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Elizabeth Rossey

Elizabeth Rossey

 
Elizabeth Rossey est psychologue clinicienne spécialisée dans les addictions. 
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Atlantico : Alors que la majorité des français attendent avec impatience l’arrivée des vacances, certaines personnes, elles, angoissent à l’idée de partir. Le manque de moyen financier est-il la cause principale de cette inquiétude ? Que faire si l’on désire partir mais que notre budget est limité ?

Pascal Neveu Il n’y a que très peu de personnes qui angoissent à l’idée de partir en vacances. Car il s’agit bien là de la rupture, de la pause dans son quotidien, et de l’autorisation à se laisser-aller.
Cette petite catégorie concerne des hommes et des femmes qui se contentent de leur maison, car très souvent ils n’ont pas été habitués, dès leur enfance, à partir. C’est l’angoisse de l’inconnu, l’angoisse de quitter sa maison/cocon, l’angoisse d’un cambriolage… Nous sommes là sur des préoccupations qui n’ont pas de lien avec l’argent.
Mais sur les quelques 35% de français qui ne partent pas en vacances, c’est la préoccupation financière qui l’emporte. Car les vacances, c’est un budget !
Raison pour laquelle beaucoup se retrouvent en famille, ou ne peuvent pas partir, n’ayant pas les moyens.
Certes, certains n’hésiteront pas à contacter leur banque afin de contracter un emprunt, d’autres utiliseront leur autorisation de découvert, quand d’autres angoisseront quant aux risques bancaires. Car notre relation à l’argent est très forte et symbolique.
Replongeons dans notre construction psychique.
C’est à partir de 2 ans que l’enfant va vivre le fameux stade anal. Durant cette période, l’apprentissage de la propreté est la préoccupation des parents et l’angoisse des enfants. L’enfant développe la maîtrise de ses sphincters, mais non sans fantasmes. Il ne peut plus se lâcher, se laisser-aller comme auparavant.
D’un côté, il prend plaisir à pouvoir se contrôler, voire même développer une  certaine jouissance, mais il découvre que ce qu’il a assimilé intact par la bouche, ressort détruit par l’anus, créant des angoisses inconscientes.
L’interaction avec les parents est telle que cela prend la forme d’un jeu, voire d’un cadeau offert aux parents, qui encouragent et félicitent leur enfant. Mais l’enfant découvre ainsi qu’il peut faire plaisir ou non aux parents et donc les contrôler et les « emm… »…
La psychanalyse y voit les prémisses du troc, du lien à l’argent.
D’ailleurs outre certaines locutions, les contes rapportent que l’on peut trouver de l’or sous un tas de fumier, que rêver d’excréments est synonyme d’argent…
De manière moins symbolique, et plus pratique, ceci peut expliquer nos comportements différents face à l’argent, aux vacances et au plaisir.
Ainsi, la pensée inconsciente de « perdre » ce qui a été retenu sur un compte bancaire, de tomber sous un montant rassurant, peut empêcher certains, alors que d’autres ne s’en préoccuperont nullement. Ces derniers sont dans le « carpe diem ».
Il s’agit là, pour chacun, de gérer un conflit inconscient avec pour seul résultat satisfaisant : éviter une trop forte angoisse. Car il faut également sécuriser son avenir face à des imprévus.
Les compromis sont donc présents, et s’offrent alors diverses possibilités de la plus fermée à la plus ouverte : 1) ne pas partir en vacances, 2) partir en ayant tout budgétisé et en ayant conscience des frustrations en se refusant certains plaisirs (glaces, verres, restaurants, activités), 3) partir en se projetant dans le dépassement du budget fixé, jusque 4) partir en se moquant du budget, pour vivre à fond ses vacances dans la pensée qu’on ne vit qu’une fois.
Quand le budget est limité, de plus en plus de personnes vont limiter leurs dépenses « soldes » par exemple, ou profiter de plus en plus des e-vacances qui fleurissent.
Autrement dit, en dehors de nombreuses de célibataires, couples ou familles qui ne peuvent pas « s’offrir » de vacances, car n’ayant pas le budget, il existe une catégorie de personnes qui vont angoisser. Non pas qu’ils soient des Harpagon, mais parce que notre rapport à l’argent est complexe.
De nouveau tout est question d’éducation.
D’un côté une personne qui a vécu dès l’enfance, ou plus tard, des difficultés financières, qui a supporté des privations, et qui va donc privilégier être une fourmi plutôt qu’une cigale.
D’un autre côté, celles et ceux qui auront reçu une leçon de vie plus insouciante, en tout cas qui considèrent qu’il faut en profiter, et que demain ne sera pas pire qu’aujourd’hui, et qui donc pratiquent ce mode de vie et de pensée.
Tout est donc question de multiples angoisses et la façon dont nous les gérons.

Une mauvaise image de notre propre corps peut également nous décourager de partir par peur d’apparaître en maillot sur la plage, par exemple. Cette angoisse est-elle fréquente (chez les jeunes femmes surtout ou chez tout le monde ?) ? C’est-elle répandue ces dernières années avec l’omniprésence des selfies, des réseaux sociaux tel instagram, etc ? Comment la combattre, ou sinon la vaincre, du moins passer outre ?

Bernard Andrieu :Les normes de beauté corporelle sont mises en avant sur les réseaux sociaux avec une dénonciation des corps qui ne seraient pas conformes. Les influenceurs/euses sont choisis par des marques pour servir d’intermédiaire et d’exemple corporel pour orienter les comportements corporels, ce que l’on croit être un libre selfie est en réalité une photocopie des normes corporelles définies par instagram. L’angoisse principale est de ne pas correspondre au stéréotype en se comparant chacun chacune en vient à se dévaloriser.
Cette peur renforce le communautarisme des corps selon la taille, le poids, le genre, l’ethnie, la culture, les hommes et les femmes subissent la même angoisse corporelle de se mélanger avec les autres corps en recherchant des corps qui se ressemblent. la différence entre bien en chair et être gros touche autant les hommes que les femmes, chacun chacune veut disparaitre dans le une pièce.
Cet attachement à la valeur de l’image du corps tient aussi à la stigmatisation machiste des jeunes femmes qui seraient non conformes au standard du moment. Le règne de l’image immédiatement en réseau oblige chaque jeune femme à changer sans cesse d’apparence jusqu’à l’épuisement médiatique.  Entre réputation et dénonciation il faudrait devenir encore plus beau plutôt que s’accepter comme on est. 
Heureusement il reste des lieux de pratique en maillot bain qui respecte cette mixité des corps, des âges et des apparences comme Aquaboulevard ou les espaces alternatifs comme Paris-Plage. Les formes de maillot se modifient cette année en mettant en valeur aussi d’autres partie du corps féminin ce qui ne focalisent pas seulement le regard sur les parties recherchées par le regard masculin mais davantage sur l’ensemble de l’harmonie corporelle. La beauté est plus en lien avec une écologie corporelle.
Le marché des corps différents est une palette économique nécessaire face à au métissage, au communautarisme et à l’obésité, le refus des normes avec Body positivity redonne confiance et estime de soi aux corps différents mais organise aussi un nouveau communautarisme si la mixité des corps n’est pas réelle dans la société.

Enfin, certains n’ont ni peur d’apparaître en bikini ni de manquer de moyens financiers mais ont tout simplement peur de décrocher, de laisser leur travail et emails de côté. Dans une société où l’on est joignable 7 jours sur 7 et 24h sur 24, cette inquiétude prend-t-elle de l’ampleur ? Comment vraiment décrocher ?

Elizabeth Rossey Cette inquiétude prend de l’ampleur mais n’est pas une addiction. Ce n’est pas une question d'addiction mais cela relève plutôt du fait d’avoir du mal à quitter, à laisser son travail de côté. Chose, que les technologies n’arrangent pas étant donné que l’on peut être appelé en permanence, informé de tout à tout moment…  Comme on peut avoir constamment des nouvelles du bureau, on a, par conséquent, plus de difficultés à prendre du recul. 
On est aussi dans une société de la performance, si quelqu’un envoie un mail à 22h ou à 23h, on se sentira obligé de répondre. Une sorte de compétition, de enjeux de performances, s’installent entre nous et les autres employés. Au lieu de dire que notre journée de travail est terminée, ou de rappeler que l’on est en vacances, on prend peur, en quelque sorte, et l’on répond. Il y a une forme de pression horizontale : la pression ne vient plus de notre supérieur mais de tout un chacun. On se dit, je me dois de répondre, sinon quelqu’un d’autre le fera à ma place et ça je ne peux me le permettre, qu’est-ce qui m’arrivera… 
Ca devient donc de plus en plus difficile de se couper du travail. On part en vacances mais on emmène notre travail avec nous. On se dit, je serai loin, mais je serai toujours connecté. Autrefois il y avait une barrière entre vie personnelle et vie active, aujourd’hui elle est devenue poreuse. Au travail, on réserve ses billets de vacances et l’on fait ses listes de courses ; en vacances on travaille. 
Selon moi, pour toutes les personnes qui en vacances travaillent quand même, cela relève d’un lien fait entre vacances et vacuité. Or, les vacances doivent rimer avec vacuité, on doit prendre le temps de se détendre, se régénérer. Cela fonctionne à l’instar du sommeil : si l’on est bien détaché on pourra presque “renaître”, être plus efficace, à notre retour. 
Pour déconnecter, il n’y a pas de solution miracle : il faut éteindre son téléphone. Étant très habitué à ces écrans, ne plus les avoir à disposition sera peut être difficile les deux premiers jours mais ensuite on y pensera nettement moins ! Il faut se fixer des horaires : ceux auxquels on s’autorise à répondre aux appels liés au travail et ceux où l’on coupe tout. 

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