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Les mentalistes capables de lire dans les pensées et émotions des autres existent-ils ? Une nouvelle étude scientifique fournit la réponse
©DIARMID COURREGES / AFP

Réalité ou fiction ?

Une récente étude de chercheurs de l’Université du Tennessee à Chattanooga et de l’Université de Colombie-Britannique a tenté de percer le mystère des "bons juges", ces gens qui instinctivement, arrivent à se faire une idée correcte du caractère d'autres personnes.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Depuis presque un siècle, les psychologues ont réalisé plusieurs études pour tenter de savoir si les "bons juges" de la personnalité existent vraiment, à savoir, des personnes très douées pour déterminer les caractères des uns et des autres. Tout d'abord, existe-t-il vraiment une compétence exceptionnelle pour juger les personnalités des autres ? Comment celle-ci se traduit-elle ? 

Pascal Neveu : Nous avons tous besoin de « juger » très rapidement une personne, pour des raisons professionnelles (relations avec les collègues, recrutement, contact commercial, prise de poste…), personnelles (voisinage, amitié, rencontre amoureuse…)…

Il s’agit d’un réflexe lié à notre cerveau reptilien qui nous fait ressentir immédiatement si nous sommes en sécurité ou non, si nous nous sentons en confiance ou non…

C’est ce que nous appelons notre premier jugement, très souvent indéfinissable.

Passé ce premier ressenti, strictement « émotionnel », notre cerveau, dans sa totalité, va réfléchir en intégrant d’autres données qui feront que nous allons nous tromper ou non, que l’autre va nous duper ou non, de part une apparence physique, vestimentaire, une locution, une communication verbale, une gestuelle non verbale… qui peuvent totalement dire à qui nous avons affaire, ou au contraire, car travaillée pour travestir la réalité, risquent de nous duper.

Il s’agit donc, après ce tout premier ressenti, de traiter d’un ensemble de données à partir desquelles nous serons capables ou non de nous tromper.

Tout dépend de notre « entraînement », mais aussi de notre vécu, et donc d’une sensibilité ou insensibilité.

Car il faut également interroger la question du transfert : ce ressenti face à une personne qui m’en rappelle inconsciemment une autre.

Nous ne sommes donc pas tous « armés » des mêmes outils afin d’être de bons juges impartiaux, c’est-à-dire sans projeter une partie de nous-même et de notre passé sur la personne que nous rencontrons.

Pour autant, effectivement, l'une des premières tentatives d'identification de bons juges a été publiée par le psychologue américain Henry F. Adams en 1927.

A l’époque, il a demandé à huit équipes de dix jeunes femmes qui se connaissaient bien de se noter les unes les autres. Il leur a également demandé qu'elles évaluent leur capacité à obtenir la « vraie » personnalité. Il a recoupé ces résultats pour voir si certaines personnes avaient une capacité inhabituelle à percevoir le caractère avec exactitude, les autres ou les leurs.

Ce qu’il a trouvé, c’est que le fait d’être un bon juge des autres personnes ne vous rend pas forcément une personne amusante. Bien que mentalement rapide et agile, il a déclaré qu’un bon juge avait tendance à être « sensible, rapide, morose et de mauvaise humeur ».

La théorie d'Adams repose donc sur un paradoxe : les bons juges des autres seraient des êtres égocentriques qui ne verraient les autres que comme des objets à leurs propres fins.

Ce qui est intéressant est que parmi ce groupe de femmes testées, celles qui étaient de bons juges d’elles-mêmes considéraient qu’elles étaient « tactiques, polies et populaires » et plus intéressées par la façon dont elles pourraient être utiles aux autres.

Quel paradoxe !

Qu'est-ce qui caractérisent ces "bons juges" selon ces études ? Comment les reconnaître ? 

Katherine Rogers et Jeremy Biesanz chercheurs de l’Université du Tennessee à Chattanooga et de l’Université de Colombie-Britannique ont mené une nouvelle étude dont les résultats semblent incohérents dans la définition d’un bon juge.

Il s’agit d’un côté de posséder la capacité de lire la personnalité, mais d’un autre côté de pouvoir lire des émotions ou repérer des mensonges.

Or ces deux types de compétences sont distincts.

Dans les années 50 la grande Juliette Favez-Boutonnier, qui dirigeait la chaire de psychologie générale à la Sorbonne, avant de créer le tout premier laboratoire de psychologie clinique, emmenait ses étudiants à la Gare de Lyon et leur demandait de décrire le profil psychologique de personnes choisies au hasard. Elle croisait ces données par la suite, après avoir prix contact avec ces « cibles ».

A la même époque le psychanalyste René Spitz, qui étudiait les relations mère-nourrisson, met en évidence la caractéristique « spongiforme » de l’enfant durant sa première année.

En effet, le nourrisson ne se sentant pas différencié de sa mère avant le stade du miroir (vers 7-9 mois), il se vit en interaction avec son environnement. Plus précisément il ressent tout, il ressent les autres de manière très profonde, porté par une angoisse de séparation.

Autrement dit, il est capable de ressentir le bon du mauvais, le positif du négatif, le sécure de l’insécure, la vie de la mort, via des fondamentaux qui constituent l’être humain. Spitz décrit ainsi la capacité de tout un chacun à pouvoir pratiquer la télépathie, à lire dans les pensées passées et présentes d’autrui, d’être capable de cerner de manière très précise une personne.

Cette capacité est d’autant plus élevée chez des personnes qui, durant cette première année, auraient été en proie à une angoisse de mort, à des épreuves de séparation…

Pour d’autres psychanalystes, la reconnaissance d’une capacité à ressentir autrui, à le « juger », repose sur le simple fait que l’inconscient et le conscient sont tel un iceberg, l’inconscient étant la partie immergée. Quand deux personnes se rencontrent, ce sont les deux parties immergées qui entrent en contact premier.

Nous ne sommes donc pas tous prédisposés à être de « bons juges »… mais nous possédons tous ce potentiel.

Combien de fois nous sommes-nous dits « j’aurais du me fier à mon ressenti, à mon intuition ! », « dès que je l’ai rencontré(e) … »… ?

D’ailleurs, les DRH avec lesquels j’ai pu travailler dans le cadre de recrutements, même si des tests sont pratiqués, m’ont toujours confié que leur « premier instinct » (dixit) ne les avait jamais trompé.

Ces études ont par la suite montré qu'il existait effectivement des "bons juges". Mais elles ont également montré que cela n'était vrai que dans le contexte de l'évaluation de "bonnes cibles". Qu'entendent-ils par là ? Certaines personnes sont-elles plus faciles à lire que d'autres ?

Ceci renforce justement cette idée qu’il faut une zone de contact, d’interaction entre le « juge » et la « cible » afin d’obtenir un résultat probant.

Il n’y a que Sherlock Holmes ou le Mentalist capables de discerner une personnalité sous toutes ses facettes !

En effet, deux chercheurs (Rogers et Biesanz) ont recruté des milliers d'étudiants pour discuter avec une personne inconnue pendant trois minutes ou regarder une vidéo de quelqu'un qu'ils ne connaissaient pas pendant trois minutes, puis évaluer la personnalité de cette personne. Les estimations de la personnalité des élèves ont ensuite été comparées à la « vraie personnalité » des personnes ciblées en fonction de leur propre description et des notes données par un ami ou un parent qui les connaissait bien.

Mais, ils ont en même temps classé les personnes examinées comme étant de bonnes ou de mauvaises cibles, en fonction de leur potentialité à « laisser voir » des indices sur qui ils sont.

Le résultat est sans appel : nous obtenons autant de « bons juges » qu’il y aura de « bonnes cibles » qui donnent des indices pertinents et utiles à leur personnalité.

Les compétences des bons juges reposeraient donc uniquement sur la détection d'indices révélateurs ou sur l'influence de la cible pour révéler ces indices.

Les performances sont légèrement plus élevées lors d’interactions en direct, suggérant également une partie de la capacité à extraire ces indices. Au moins, pour les courtes interactions, l’outil principal des bons juges est la capacité à détecter et à utiliser de manière appropriée les informations fournies par la bonne cible.

Cependant l’étude fait ressortir une minorité de participants qui sont nettement mieux capables que la moyenne à juger avec précision de la personnalité des autres.

Les chercheurs souhaitent donc continuer à travailler avec ces personnalités afin d’identifier scientifiquement quel genre de personnes elles sont et si leurs compétences peuvent être enseignées.

Autrement dit, rien n’a changé depuis un siècle, depuis les expériences menées à la Gare de Lyon, dans le fantasme de pouvoir scanner un étranger, de lire dans ses pensées…

Mais plusieurs questions se posent quant aux buts, louables comme parvenir à repérer des personnalités nocives et épargner des victimes « aveugles » ou anesthésiées pour différentes raisons ? Ou moins éthiques comme la capacité à pouvoir mieux manipuler ?

Connaître et juger autrui nous renvoie à nous même et à la nécessité de ne pas projeter sur autrui de fausses impressions, acte compliqué car nous existons à travers le lien à l’autre et son regard.

Ce désir reste un fantasme, mais c’est un fantasme que désirent posséder combien de personnes ?

Car il s’agit avant tout d’une réflexion quant à la recherche de la vraie personnalité… la nôtre.

Tant d’études qui précisent que dès les 20 premières secondes, si ce ne sont les 3 premières minutes... nous connaissons l’autre. Des « bons juges » exceptionnels qui nous fascinent… tel Hannibal Lecter ?

Apprenons peut-être déjà à mieux nous connaître et pénétrer au plus profond de nous-même…

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