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Les bactéries résistent-elles vraiment de plus en plus aux désinfectants dans les hôpitaux ?
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Risques bactériologiques

Une nouvelle étude suggère que certaines bactéries disséminées dans les hôpitaux commencent à lutter contre les désinfectants à base d’alcool.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Une nouvelle étude publiée mercredi dans Science Translational Medicine suggère que certaines bactéries disséminées dans les hôpitaux commencent à lutter contre les désinfectants à base d’alcool. En clair, les désinfectants pour les mains deviennent moins efficaces contre certaines superbactéries hospitalières. Comment expliquez-vous cette perte d'efficacité ? Est-ce uniquement dû aux produits utilisés ou un certain manque de rigueur hygiénique de la part du personnel hospitalier peut-il être mis en cause ?

Stéphane Gayet : Les agents infectieux responsables des infections liées aux soins (ILS) dans les hôpitaux et les cliniques (infections dites nosocomiales : nosocomium est un mot latin qui signifie l'hôpital) sont pour plus de 85 % des cas des bactéries. Les bactéries sont les êtres vivants les plus nombreux (en individus) et les plus abondants (en masse) dans le monde. Le nombre estimé d'espèces bactériennes différentes est au minimum de plusieurs milliers et très probablement au moins dix fois plus.

Mais les bactéries qui peuvent infecter l'homme sont relativement très rares parmi l'immense biodiversité bactérienne. Un peu plus d'une centaine d'espèces différentes de bactéries sont connues pour être des pathogènes pour le corps humain. Ces bactéries dites pathogènes ou plutôt potentiellement pathogènes pour l'homme sont ainsi des exceptions au sein du monde bactérien. Il s'agit d'espèces qui sont déjà adaptées au corps humain (température centrale de 37 °C, température périphérique moyenne proche de 30°C, tissus vivants de type animal, système complexe de défense immunitaire). Il ne s'agit pas de bactéries de l'environnement (sol, eau, végétaux, animaux, surfaces, objets), mais des bactéries qui se trouvent déjà sur le corps humain. Leur réservoir est humain, aussi paradoxal que cela puisse paraître. C'est une règle générale, qui a toutefois quelques exceptions (légionelles, bacilles pyocyaniques, tétanos, leptospires…).

Cette règle du réservoir humain est encore plus vraie en milieu hospitalier. La seule semi-exception est le cas du bacille pyocyanique (Pseudomonas aeruginosa). Cette bactérie vit dans l'eau du réseau de distribution et colonise toute eau stagnante, mais elle est de plus présente de façon inconstante dans le microbiote colique de l'homme. Il faut donc retenir que les réservoirs de bactéries pathogènes pour les patients en milieu hospitalier sont les patients eux-mêmes, tous les membres du personnel médical, paramédical et hôtelier, et sans oublier les intervenants extérieurs aux services de soins (visiteurs, aidants, membres du personnel médico-technique…). C'est principalement par leurs mains que les individus contaminent les patients ou les objets que ceux-ci touchent à longueur de journée.

Le professeur Franz Daschner, médecin germanique et spécialiste d'hygiène hospitalière à Fribourg-en-Brisgau, a été l'un des premiers à affirmer qu'il était inutile de désinfecter le sol, les murs et toutes les surfaces non en contact fréquent et étroit avec le patient. Sans parler de la soi-disant désinfection de l'air qui est une chimère sans intérêt. On sait aujourd'hui que, non seulement toutes ces désinfections sont inutiles, mais qu'elles sont de surcroît toxiques. Pourtant, on continue à désinfecter largement les surfaces dans les hôpitaux et les cliniques, car cette pratique rassure tout le monde. C'est insensé, mais c'est ainsi.

En réalité, l'essentiel du danger bactérien se trouve sur les mains, les poignets et un peu les avant-bras de tout le personnel, des patients et des intervenants extérieurs. Ainsi, c'est donc sur l'hygiène des mains et des poignets qu'il faut faire porter la plus grande partie des efforts en hygiène hospitalière. L'hygiène des mains est un concept qui comprend d'autres mesures que le seul lavage ou la seule désinfection des mains : ongles coupés à raz, interdiction du vernis et des faux ongles, manches courtes ou trois-quarts et absence de bijoux.

Pendant longtemps, l'élimination des bactéries et virus des mains a reposé sur le lavage des mains et poignets à l'eau, avec une solution lavante à rincer. Il faut d'abord se mouiller les mains et poignets, prendre une ou deux doses de solution lavante, se les masser de façon aussi exhaustive que possible et pendant au moins 20 à 30 secondes, se les rincer à l'eau du réseau abondamment (5 à 10 secondes) et enfin se les sécher avec des feuilles d'essuie-main à usage unique, avec lesquelles on referme le robinet s'il est non automatique. Il s'agit là de la technique dite de lavage simple des mains. Elle utilise une solution lavante douce (non antiseptique) et demande en tout au minimum une minute. Cette technique ne détruit pas les bactéries ni les virus, mais elle les élimine avec l'eau de rinçage. La technique dite de lavage antiseptique des mains utilise quant à elle une solution lavante antiseptique (c'est-à-dire désinfectante). Le massage des mains et des poignets est cette fois plus long, car il doit attendre le délai d'action antiseptique (au moins 30 à 45 secondes). Le rinçage est plus exigeant, car le produit est irritant (risque de dermite). Cette deuxième technique détruit une bonne partie des bactéries et virus et demande en tout au minimum une minute et demie.

Ces deux techniques ont été longtemps les seules utilisables, mais elles sont tout de même assez surréalistes : jusqu'à une minute et demie et de surcroît avec un risque réel d'irritation. Elles nécessitent de plus un lavabo et que l'on se tienne devant lui. Quand on réalise qu'une infirmière dans un service de médecine et a fortiori de réanimation doit (devrait) effectuer – étant donné sa charge de travail – au grand minimum 40 à 60 lavages de mains dans une période de travail de 7 heures et demie, cela fait environ une heure passée uniquement à cet acte qui ne soigne pas. Inutile de dire que c'est de la pure utopie.

Heureusement, à la fin des années 1980, le premier produit hydro-alcoolique (PHA) pour la désinfection des mains est apparu (STERILLIUM, produit issu du laboratoire BODE qui est allemand) : plus de mouillage des mains ni des poignets, plus de rinçage, plus de séchage et de surcroît une meilleure tolérance. Ce premier PHA était une solution (SHA) et il a reçu un accueil très mitigé au sein de la communauté des hygiénistes hospitaliers. Mais il s'est néanmoins imposé en quelques années et a même fait florès, à tel point que de nombreux produits concurrents ont vu le jour et se sont répandus rapidement. Car les PHA permettent de se désinfecter les mains en à peine 30 secondes, sans lavabo et tout en marchant. De plus, leur efficacité est très bonne sur les bactéries et les virus. Il faut reconnaître qu'ils ont produit une vraie révolution dans la prévention des infections liées aux soins. Comme leur nom (produits hydro-alcooliques) l'indique, la formulation chimique des PHA comporte avant tout de l'alcool.

Il existe à l'heure actuelle deux types de PHA : les solutions (plus liquides) ou SHA et les gels (plus visqueux) ou GHA. Leur efficacité est analogue. Les GHA sont plus faciles à appliquer, mais laissent souvent une sensation de main poisseuse. La teneur moyenne en alcool de ces produits varie de 65 % à 85 %. Les deux alcools les plus utilisés dans les formulations chimiques sont l'éthanol (alcool éthylique ou alcool ordinaire) et l'isopropanol. Un même PHA contient un ou deux alcools.

L'alcool est un désinfectant ancien et polyvalent. C'est un solvant organique et il désagrège la paroi des bactéries (polymère : le peptidoglycane) et l'enveloppe des virus enveloppés (la plupart de virus sont enveloppés, excepté ceux des gastroentérites aiguës). Aucune bactérie sous forme végétative (forme courante) ne résiste à l'alcool ; certaines lui sont simplement moins sensibles, comme les bacilles tuberculeux et de la lèpre, du fait de leur paroi cireuse. Les seules formes résistantes à l'alcool sont les spores bactériennes qui sont tout sauf des formes courantes. Mais encore faut-il s'entendre sur la concentration en alcool. En tant que désinfectant, la concentration minimale en alcool est de 60 %. Il arrive que, pour les enfants qui ont une peau plus vulnérable et perméable, on utilise des solutions à 30 % d'alcool, mais l'alcool est associé à d'autres antiseptiques (désinfectants) pour le potentialiser.

Dans l'étude citée en référence, d'une part, on a utilisé un produit contenant moins de 25 % d'alcool, d'autre part, on l'a testé sur les bactéries qui ont la plus forte résistance physique et chimique connue, à savoir les entérocoques. Ces derniers sont des bactéries physiologiques du microbiote intestinal (d'où leur nom). Elles sont très peu pathogènes et sont douées d'une très grande résistance physico-chimique en rapport avec leur paroi épaisse et dense. Mais ces entérocoques sont sur la sellette depuis plus de 15 ans parce que certaines souches ont acquis une très forte résistance aux antibiotiques (bactéries dites hautement résistantes aux antibiotiques et émergentes ou BHRe). Toutefois, cette haute résistance n'est pas vraiment gênante, car ces entérocoques ne donnent que rarement des infections, surtout urinaires. Néanmoins, on craint qu'ils ne transfèrent cette haute résistance à des staphylocoques.

Ainsi, en fait de résistance des bactéries à l'alcool, on a simplement mis en évidence le fait que certaines souches d'entérocoques (Enterococcus faecium) avaient une sensibilité un peu diminuée à l'alcool, mais pour des concentrations d'alcool très inférieures à celles qui sont utilisées dans les PHA. C'est en vérité une information qui n'en est pas une. La réalité est que les PHA sont des produits très efficaces sur les bactéries et les virus enveloppés. Grâce à la généralisation de leur usage en milieu hospitalier, les PHA ont permis une très importante amélioration de la désinfection des mains des soignants et donc de la sécurité des soins, tant à l'hôpital que dans les soins dits extra institutionnels.

L'usage quotidien des PHA dans les soins et en dehors des soins n'a rien en commun avec l'usage des antibiotiques. Il s'agit d'antiseptiques (désinfectants) qui sont des produits sans rapport avec les seconds. Leur usage régulier ne fait pas apparaître de résistances, en tout cas dans l'état actuel de nos connaissances.

Quels sont les risques de voir certaines bactéries résister à ces désinfectants ?

Actuellement, on considère qu'il n'y a pas grand-chose à craindre. Il faut dire et répéter que les produits hydro-alcooliques (PHA) pour la désinfection des mains lors des soins de santé n'ont pas de point commun avec les antibiotiques. Les antibiotiques sont des médicaments dits systémiques (sauf exception) – c'est-à-dire qui diffusent dans l'ensemble du corps par voie sanguine – et ils sont donnés à des doses relativement faibles en raison de leur toxicité potentielle et de leur coût. Les antiseptiques (désinfectants) sont des produits topiques – c'est-à-dire qui n'agissent que localement – et ils sont appliqués à doses fortes de façon à agir avec une très grande rapidité. Un antibiotique nécessite plusieurs heures pour produire son effet et bien souvent au moins huit à douze heures. Un antiseptique (désinfectant) au contraire produit son effet en l'espace de 30 secondes à une minute. Un antibiotique a un certain spectre d'activité : son action est forcément sélective et il n'existe pas heureusement d'antibiotique ayant un spectre total ; c'est pourquoi, quand on en a la possibilité, on effectue un antibiogramme (il faut faire un prélèvement pour cela afin d'étudier la souche bactérienne au laboratoire). Un antiseptique (désinfectant) a un spectre d'activité pratiquement total : son action n'est pas sélective et l'on n'effectue pratiquement jamais – car cela n'a pas d'intérêt – d'antiseptogramme. Enfin, un antibiotique a une action prolongée dans le temps, alors qu'un antiseptique (désinfectant) n'a qu'une action momentanée. Il faut préciser que le terme de rémanence est parfois mis en avant de façon commerciale pour promouvoir tel ou tel produit antiseptique : il n'en est rien et c'est André Chantefort qui a été le tout premier à dénoncer ce fréquent abus de langage, dans un éditorial de la revue "Le pharmacien hospitalier".

En somme, les antiseptiques (désinfectants) n'ont pratiquement pas de point commun avec les antibiotiques et il ne faut pas les considérer de la même façon. Alors que la résistance aux antibiotiques de certaines souches de bactéries est un grave problème de santé mondial fort préoccupant, on ne peut pas honnêtement parler aujourd'hui de résistance des bactéries ni des virus aux antiseptiques (désinfectants). Ainsi, l'information véhiculée par cette revue en ligne n'a pas véritablement de conséquence pratique.

Q'en est-il dans les hôpitaux français ?

Dans les hôpitaux et cliniques de France, les recommandations n'ont pas changé : l'usage très large et même systématique des PHA reste le mot d'ordre général pour tous les actes de soins, qu'ils soient invasifs (chirurgie, interventions vasculaires, sondes urinaires…) ou non invasifs (soins de surface, cutanés ou muqueux). Les laboratoires d'analyses médicales ne pratiquent pas d'antiseptogramme, car ce n'est pas leur rôle et du reste ils ne sont pas du tout formés à cela ni ne possèdent le matériel ou les consommables nécessaires.

L'efficacité des PHA est en revanche régulièrement évaluée dans les laboratoires d'essais et de recherche, ainsi que par les fabricants de produits antiseptiques (désinfectants). Ce que l'on peut affirmer, c'est qu'il n'existe à ce jour aucune alerte en France concernant une très hypothétique diminution de l'efficacité des PHA sur les bactéries ou les virus. Et il est plus que nécessaire de préciser une chose qui ne va pas de soi pour tout un chacun : les PHA ne sont pas "de l'alcool" purement et simplement, mais ce sont des produits composites, c'est-à-dire qui conjuguent un ou deux alcools à d'autres produits ayant une action désinfectante. Les autres produits que l'alcool sont divers et varient selon les fabricants : chlorhexidine, peroxydes, ammoniums quaternaires… L'alcool n'est donc pas le seul principe actif et les différents constituants se potentialisent, souvent de surcroît avec synergie.

L'explication tient principalement dans le fait que les bactéries soient devenues plus résistantes à l'alcool (qui compose à 70% de nos désinfectants). Pour autant, si certaines bactéries résistent, cela annule-t-il pour autant la valeur de nos désinfectants ?

La vérité est que nos désinfectants ne connaissent pas réellement de baisse d'efficacité. Le problème qu'ils posent en réalité n'est pas du tout de cet ordre. Les PHA ont vraiment été à l'origine d'une révolution sur le plan de l'hygiène des mains, comme nous l'avons dit. Ils ne sont nullement à remettre en question aujourd'hui, et l'article risque de déclencher une alerte ou au moins une inquiétude, ce qui n&#39;est pas honnêtement justifié.

En revanche, l'utilisation toujours intense des désinfectants sur le sol, sur de nombreuses surfaces hautes (au-dessus du sol) et de non moins nombreux matériels, est une importante source de pollution chimique à court, moyen et long terme. À court terme : sur le lieu de leur utilisation (pollution pour les malades et le personnel). À moyen et long terme : on retrouve bien sûr ces désinfectants dans les effluents (eaux usées) des établissements de santé. Ils sont une cause considérable de pollution environnementale, que les Allemands ont, depuis des années, dénoncée et commencé efficacement à enrayer par une limitation bien ciblée de leurs utilisations. En somme, il ne faut pas se tromper de cible : ce sont les mains et les poignets qu'il faut désinfecter, pas l'environnement. Les bactéries (et les virus) pathogènes pour l'homme sont essentiellement sur l'homme : c'est un paradoxe qu'il faut comprendre, accepter et intégrer afin de gagner en efficacité dans la prévention des infections.

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