Le Drian en Jordanie : les discrètes inflexions de la diplomatie française <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Le Drian en Jordanie : les discrètes inflexions de la diplomatie française
©KHALIL MAZRAAWI / AFP

Nouvelle stratégie ?

Jean-Yves Le Drian était en visite officielle de deux jours en Jordanie. Le dossier syrien et le nouveau positionnement de la France étaient notamment au cœur des discussions.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

Voir la bio »

Atlantico : Jean-Yves Le Drian était en visite officielle de deux jours en Jordanie. Une visite marquée par le dossier syrien qui avait bout but de justifier la nouvelle position française sur le conflit. Concrètement quelle est cette nouvelle position et comment la qualifier ?

Cyrille Bret : Avec ce déplacement en Jordanie, les autorités françaises entendent marquer une inflexion dans la continuité. Une inflexion assurément dans le rapprochement politiquement symbolique et humanitairement peu critiquable avec la Russie dans la perspective de faire parvenir de l'aide humanitaire aux populations civiles de la vallée de la Ghouta, durement éprouvées par le conflit. L'opération a une portée symbolique importante : la France évite de se rapprocher du régime Al-Assad qu'elle pointe constamment depuis le début de la guerre en Syrie il y a 6 ans. Récemment, en avril, pour répondre aux attaques chimiques dans la Ghouta, la France avait participé à des bombardements. Mais la France esquisse également un rapprochement, sur le terrain humanitaire, avec la Russie qui est l'allié du régime Al-Assad depuis les années 1970 et qui, depuis 2015 assure sa pérennité  et même sa victoire probable par un soutien aérien, technologique, d'intelligence, de renseignement, etc. L'inflexion est notable car la Russie et la France sont en désaccord concernant cette crise. Mais cette inflexion s'inscrit dans la continuité : la visite du ministre Le Drian permet en effet aussi de rappeler aux Jordaniens, directement concernés, la position de la France concernant la résolution du conflit israélo-palestinien : deux Etats sont nécessaires. De plus, le ministre des affaires étrangères rappellera les limites du rapprochement franco-russe : à plusieurs reprises une coopération plus poussée a été souhaitées par les présidences des deux Etats. Mais elle ne s'est jamais matérialisée car les objectifs de la Russie (maintien de ses intérêts stratégiques, développement de sa présence en Méditerranée orientale, etc.) sont bien différents des objectifs de la France (fin du régime Al-Assad, contrôle de l'expansion iranienne). 

Peut-on en déduire qu’entre l’ouverture du dialogue avec les Russes et et l’ouverture du dialogue avec Bachar el-Assad il n’y a qu’un pas ? 

Non. Il y a toute une randonnée diplomatique et stratégique que la France n'est pas prête à réaliser. Il s'agit de deux objectifs très différents : discuter avec le régime Al-Assad serait un revirement complet et radical dans les positions de la France. En revanche, nourrir le dialogue avec la Russie est une constante, même au moment de la crise en Ukraine (2013), du déclenchement de l'opération militaire en Syrie (2015) ou encore de l'affaire Skripal (2018). La France a toujours veillé à maintenir un canal de discussion franc avec la Russie. Les divergences entre les deux Etats sont en effet à résoudre non seulement en Syrie, mais aussi en Ukraine, en Baltique, en Mer Noire ou encore dans le système de sécurité collective en Europe. 

Est-ce que la mise à jour des registres de l’état civil syrien qui officialise  la mort dans les geôles syriennes  de centaines de personnes (alors que les associations dont l’OSDH parlent de plus de 13 000 disparus) ne pourrait pas conduire à une inflexion de la dynamique qui est en train d’être lancée ? 

La dimension humanitaire, le respect du droit humanitaire international et, au premier chef, la protection des populations civiles, la protection des droits de l'homme sont au coeur de l'engagement diplomatique et militaire français en Syrie depuis le début de la crise en 2012. L'opinion publique comme les organisations humanitaires, les forces armées comme les autorités politiques mettent la fin des atrocités au centre de leur préoccupations. Le sort réservé aux opposants, aux prisonniers de guerre et de droit commun, l'utilisation de la torture mais également le recours à des armes prohibées comme les armes chimiques ou l'instauration d'un terrorisme d'Etat suscitent l'indignation et commandent l'action. 
Toutefois, une solution politique doit être aujourd'hui trouvée afin de faire cesser les hostilités même si les persécutions, elles, perdurent. Les autorités publiques françaises s'estiment responsables de l'élaboration d'une solution de sortie du conflit. C'est à ce titre qu'elles entreprennent, en lien avec les alliés mais aussi avec les autorités russes, de promouvoir des initiatives de dialogue. Or, dans ces négociations de sortie du conflit, le régime Al-Assad est malheureusement incontournable en raison des succès militaires qu'il a remporté notamment grâce à l'appui de l'Iran et de la Russie. C'est une donnée que les efforts diplomatiques français sont contraints d'intégrer.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !