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Pierre Rabhi ou l’idéologie aveugle à tout raisonnement scientifique sur l’environnement
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Prophète de l'obscurantisme écologiste ?

Alors que les discussions sont en cours sur la loi agriculture et alimentation, Pierre Rabhi défend souvent dans les médias un modèle "d'agroécologie", alternatif aux techniques agricoles intensives.

Ferghane Azihari

Ferghane Azihari

Ferghane Azihari est journaliste et analyste indépendant spécialisé dans les politiques publiques. Il est membre du réseau European students for Liberty et Young Voices, et collabore régulièrement avec divers médias et think tanks libéraux français et américains.

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Laurent  Pahpy

Laurent Pahpy

Laurent Pahpy est ingénieur (Centrale Lyon) et analyste en politiques publiques. Il collabore également avec l’IREF, notamment sur les questions agricoles.

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Atlantico :  En pleine discussion autour de la loi agriculture et alimentation, on entend souvent dans les médias Pierre Rabhi défendre un modèle "d'agroécologie", alternatif aux techniques agricoles intensives. Vous n'êtes pas convaincus…

Ferghane Azihari et Laurent Pahpy : Ni l’“agroécologie” ni l’agriculture dite “biologique” ou “biodynamique” n’ont scientifiquement démontré leurs vertus agronomiques, sanitaires, nutritionnelles, organoleptiques, écotoxicologiques et encore moins économiques par rapport à l’agriculture conventionnelle. Pour les impacts environnementaux (émission de gaz à effet de serre, utilisation de terres arables, eutrophisation et acidification des sols, consommation d’énergie), aucune tendance nette ne permet d’affirmer la supériorité globale de l’agriculture dite “biologique”.
L’“agroécologie” est un concept difficile à définir. Cette sous-branche de l’agriculture dite “biologique” tente d’intégrer des pratiques agronomiques et écologiques avec des considérations idéologiques, voire spirituelles. Nous n’avons pas de retour scientifique sur la réussite agronomique de la ferme expérimentale fondée par l’association “Terre et humanisme” de Pierre Rabhi, mais des observations de terrain ont montré que ces pratiques ne suffisent pas toujours à résister aux parasites et aux maladies couramment maîtrisées en agriculture conventionnelle.
La ferme du Mas de Beaulieu fonctionne en grande partie grâce à une main-d’oeuvre gratuite de stagiaires bénévoles venus se former. Ceci rend difficilement envisageable le développement économique de l’“agroécologie” à plus grande échelle.  Le fait qu’elle ne se soit pas généralisée massivement depuis la sortie des premiers livres à succès populaire de Pierre Rabhi et que l’agriculture conventionnelle continue de produire 96 % de la nourriture révèle plutôt ce qui nous paraît être une vitrine de communication particulièrement rentable, mais pas scientifiquement convaincante.

Selon vous, Pierre Rabhi incarne une frange radicale des mouvements écologistes, qui décrédibilisent leurs positions faute de rigueur scientifique ?

Ferghane Azihari et Laurent Pahpy : Pierre Rabhi était récemment l’invité de France Culture où il expliquait aux auditeurs que la nourriture que nous mangeons est toxique, car l’agriculture conventionnelle fait usage de “produits chimiques”. Ce que l’on devrait plus rigoureusement nommer produits synthétiques serait par définition du poison. L’accusation est grave. Les agriculteurs et l’agrochimie seraient-ils des criminels inconscients ?
Lorsque le conférencier à succès omet délibérément de dire que la dose fait le poison, à l’instar de la saga consternante sur le glyphosate, il entretient délibérément la confusion classique entre le danger et le risque. Ce dernier prend en compte le danger associé à la probabilité d’exposition à la substance incriminée. Oui, les pesticides sont dangereux et toxiques, ils sont faits pour cela. Non, la consommation de nourriture ne présente pas de risque pour notre santé, car les pesticides y sont présents en traces infimes. À ce stade, ce n’est pas du manque de rigueur scientifique. C’est un discours qui verse dans l’obscurantisme le plus primaire. De la même manière que les humains ne peuvent se passer de médicaments, l’agriculture ne peut se passer de pesticides, même “naturels”, et parfois bien plus toxiques que ceux utilisés en agriculture conventionnelle.
En réalité, ce discours prétexte la défense de la santé et de l’environnement pour vilipender tout ce qui représente de près ou de loin la civilisation industrielle. D’où la haine du progrès technique et des produits chimiques synthétiques. Pour leurs détracteurs, ces pratiques illustrent la tentative de la société moderne de s’affranchir des contraintes primitives imposées par la “nature”, qu’on érige en divinité infaillible. L’action humaine se rend coupable en contrariant ses desseins bienveillants. Il n’y a pourtant rien de plus fallacieux que cette mythologie moderne qui voue un culte au naturel tout en jetant l'opprobre sur les produits synthétiques. Rappelons qu’il n’y avait rien de plus naturel que la maladie de la pomme de terre qui a affamé plus d’un million d’Irlandais et qui a poussé un autre million à l’exil à partir des années 1845. Et il n’y a rien de plus synthétique que les produits phytopharmaceutiques qui sauvent les récoltes des organismes nuisibles et qui expliquent en partie pourquoi nous n’avons jamais été aussi bien nourris.
En réalité, il faut bien comprendre que la haine des produits industriels et synthétiques n’a rien de rationnel et qu’elle puise surtout son origine dans des pulsions anti-capitalistes à visées décroissantes. Il est vrai que les pratiques industrielles qui guident l’agriculture conventionnelle se fondent sur la recherche perpétuelle du profit personnel. Ce qui est impardonnable pour les prêcheurs de bonne vertu habités par une haine envieuse envers les intérêts égoïstes bien compris. Le progrès technique est donc entaché de vice, car il est stimulé par des rapports marchands guidés par l’appât du gain. C’est d’ailleurs pourquoi de nombreux militants de l’agriculture dite “biologique” redoutent la présence de plus en plus forte des grandes firmes institutionnelles sur ces segments de marché. Or cette haine du profit est tout bonnement stupide. Nous avons intérêt à ce que les entreprises trouvent leur compte en nous fournissant des solutions toujours plus efficientes pour améliorer notre condition. Historiquement, les régimes politiques qui ont cru pouvoir se débarrasser de cette incitation n’ont rien laissé d’autre que les catastrophes humanitaires, la misère et la famine.

En quoi cette pensée est-elle selon vous dangereuse ? Ne peut-on pas apporter une critique intelligente au système agricole capitaliste ?

Ferghane Azihari et Laurent Pahpy : Cette pensée illustre un véritable paradoxe que nous vivons aujourd’hui. L’alimentation n’a jamais été aussi abondante et accessible à tel point qu’on reproche aujourd’hui au consommateur de ne pas débourser assez pour sa nourriture. La part des dépenses de consommation des ménages français accordée à l’alimentation s’élevait à 35% en 1960. Elle avoisine aujourd’hui les 20%. La moitié de la population mondiale était victime de sous-alimentation en 1945. Cette part s’élevait à 10% en 2015. Pourtant, face à ces résultats spectaculaires, nous nous comportons comme des enfants gâtés et irresponsables. Notre fronde contre le système qui nous a sorti de l'indigence nous fait oublier que l’insécurité alimentaire a longtemps été la norme dans l’histoire de l’humanité.
Or ce ne sont pas les principes incantatoires de la sobriété heureuse qui ont sorti un milliard d’êtres humains de la misère en Asie et qui ont renforcé l’accessibilité de l’alimentation dans les autres régions du monde. La “terre nourricière” n’est pas généreuse par nature. Ces résultats sont le fruit du génie industriel de l’être humain : une productivité toujours plus forte et des rendements plus élevés. Nous devons pour cela remercier les fertilisants artificiels, la mécanisation agricole ou encore une sélection génétique plus avisée, c’est-à-dire un ensemble de pratiques industrielles innovantes qui ont constitué ce qu’on a fini par appeler la “Révolution verte”. Le danger du discours écologiste est donc de propager dans l’opinion des idées qui remettent en cause cette sécurité alimentaire durement acquise en rendant l’alimentation plus coûteuse pour les individus et la collectivité. L’instauration d’un quota de nourriture dite “bio” dans la restauration collective prévue par la loi agriculture et alimentation est une illustration des conséquences de cette idéologie pernicieuse.
Bien entendu, l’agriculture conventionnelle n’est pas sans défauts. Conscients des problématiques environnementales et de certaines dérives, les agriculteurs ont déjà fait des efforts considérables pour minimiser les pollutions et l’utilisation d’intrants toxiques. Ils sont aussi bien plus conscients de la fragilité des écosystèmes et de la nécessité d’apprendre et d’apprivoiser les mécanismes biologiques. Les biotechnologies végétales offrent en outre des opportunités considérables de gains sanitaires, nutritionnels et de productivité.
Le capitalisme est le droit de jouir des fruits de son travail. Ce profit tant décrié est pourtant ce qui incite les agriculteurs à ne pas se lever le matin pour saccager leurs champs et dilapider leur capital le plus précieux qu’est leur sol. Le maintien d’une activité rentable dans la durée est un arbitrage subtil entre le respect de leur fragile écosystème et l’exploitation des ressources naturelles que des siècles de savoir-faire et d’innovation technologiques ont permis d’optimiser. En déifiant l’écosystème et méprisant le profit, le dogme de la sobriété malheureuse prêché par Pierre Rabhi fait déjà des dégâts en France. Accablés par des normes obscurantistes, les agriculteurs français perdent en productivité et en compétitivité.
Les ayatollahs de la nature bienfaisante ont tout à fait le droit, comme n’importe qui, de s’adonner à des hobbies particuliers et de pratiquer le culte de leur choix pour peu qu’ils en assument les coûts. Il en va de la liberté de conscience. Ils n’ont simplement aucune légitimité à imposer leurs pratiques à tous en sabotant notre modèle de civilisation au mépris de toute considération économique et scientifique. 

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