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Benalla, suite : et au fait, dans le grand match responsables politiques traditionnels contre populistes, quel bilan pour la stabilité de nos démocraties ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Conséquences de l'affaire

Après le Brexit et l'élection de Trump, Emmanuel Macron avait construit son projet et sa victoire sur une nouvelle forme de politique à l'opposée des mouvements populistes. L'affaire Benalla et l'intervention du Président le 24 juillet au soir ne remettent-ils pas en cause la distance entre le « nouveau monde » que promettait Macron et la classe politique populiste à laquelle il s'oppose ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : Après une année 2016 marquée par le Brexit et l'élection de Trump, Emmanuel Macron avait construit son projet et sa victoire sur l'édification d'une nouvelle forme de politique à l'opposée des mouvements populistes. L'affaire Benalla et surtout l'intervention du Président le 24 juillet au soir ne remettent-ils pas pour autant en cause la distance entre le « nouveau monde » que promettait Macron et la classe politique populiste à laquelle il s'oppose ?

Christophe Boutin : En effet, Emmanuel Macron avait promis une République exemplaire, et n’a eu de cesse de dénoncer, pendant sa campagne électorale puis de son siège de Président de la République, les démagogues qui, selon lui, menaceraient rien moins que la démocratie en attisant les pulsions malsaines des peuples d’Europe et d’ailleurs. Il est vrai que les mouvements de réaction populaire aux diktats de cette pensée mondialiste dont il est l’un des plus éminents représentants ont toujours hérissé l’ex banquier d’affaires, qui, il y a peu, évoquait le spectre de la « lèpre populiste » qui gangrènerait l’Europe.
Face à l’affaire Benalla, le Président de la République, subitement lâché par une presse jusqu’alors intégralement à sa dévotion - de manière d’ailleurs fort surprenante, et qui devrait nous interpeller - a tenté une première ligne de défense dont le ridicule n’aura échappé à personne : un Collomb durement frappé par un Alzheimer qui, au moins, n’est pas précoce ; un Castaner fidèle à son image de Rantanplan de la politique ; la conjonction dans les médias de Bernard-Henri Lévy et de Christophe Barbier ; l’improbable ajout d’Ameyric Chauprade ; des fonctionnaires auditionnés sous serment se trompant bêtement de dates… Pour ceux qui ont apprécié le magnifique film Des hommes d’influence, on mesurera la différence entre les spins doctorsélyséens et un Robert de Niro lui aussi chargé de sauver la présidence…
Il a donc bien fallu que Jupiter monte en ligne lui-même, ce qu’il a fait devant les parlementaires LaREM avec un long discours dont, hélas, la presse ne rend que partiellement compte. Car en effet, qu’a dit le Président ? Qu’il avait volontairement pris son temps pour parler, attendant que la justice fasse son travail ; qu’Alexandre Bernalla, exemplaire avant le 1ermai, recruté pour apporter du sang neuf dans les cabinets ministériels, avait eu ensuite une sanction « proportionnée » à ses actes ; qu’il était lui, Président de la République, le seul responsable, et ne répondait de cette responsabilité que devant le peuple souverain. Toutes choses connues.
Mais le Président est aussi allé beaucoup plus loin. Il a déclaré, par exemple, que la presse « ne cherchait plus la vérité », mais qu’il voyait « un pouvoir médiatique qui veut devenir pouvoir judiciaire » ; que si le pouvoir judiciaire cherchait lui à faire son travail, il y avait quand même le problème des fuites immédiates dans la presse après chaque audition ; que le pouvoir législatif, qui a eu l’audace de créer une commission d’enquête, sortait de son rôle pour « devenir un tribunal populaire » « contrôlant les décisions de l’Élysée ».
On ne peut que noter, effectivement, les points communs entre le discours macronien et un certain discours populiste : le fameux « tous pourris », la presse qui se livre à une chasse à l’homme et s’attaque à la République, les parlementaires trop politiciens, alliance hérétique de gaullistes ayant « oublié la dignité » et d’extrêmes qui attaquent l’État, et jusqu’aux services des magistrats. On avait connu Emmanuel Macron moins virulent quand François Fillon se faisait abattre par presse et magistrats lors de la campagne de 2017 !
Mais il ne faut pas aller plus loin dans la comparaison : en effet, ceux que l’on appelle pour les stigmatiser les populistes demandent en fait seulement que le pouvoir entende les légitimes expressions du peuple, lors de référendums (le Brexit) ou lors d’élections (Hongrie, Italie, USA, Pologne…), et ce alors que le pouvoir en place s’y refuse. Au contraire, Emmanuel Macron est lui au pouvoir, et semble même estimer que l’élection de 2017 vaut blanc-seing et interdit que l’on puisse s’intéresser de plus près au fonctionnement de la « macronie ».
Christophe Bouillaud : Oui, la distance ne parait dans le fond pas bien grande. Le discours d’E. Macron devant ses fidèles comporte en effet un élément classique de ce qu’on décrit comme le populisme : la critique radicale des médias quand ils exercent leur « liberté de blâmer ». Dans ce discours à ses troupes, E. Macron prend en effet des accents à la Trump, mais il rappelle aussi dans le contexte français un Mitterand s’en prenant à la presse après le suicide de Pierre Bérégovoy. Il n’a pas dit comme ce dernier que les journalistes sont des « chiens », mais la substance du propos est la même. La presse quand elle se met simplement à faire ce pour quoi on l’appelle parfois le « quatrième pouvoir » - celui de mettre sur la place publique ce que les pouvoirs voulaient garder secret - exaspère les dirigeants, et tout particulièrement les dirigeants qui, dans le fond, ne croient pas vraiment aux vertus du pluralisme. De leur point de vue, ils sont la Raison, et tous les autres l’Erreur – et donc les journalistes qui mettent en cause la Raison ne peuvent être que stupides ou manipulateurs.  De fait, il  manque encore à cette critique en règle de la presse  le complotisme pour être vraiment populiste, mais, qui sait, cela viendra peut-être dans les prochains jours si la situation s’aggrave pour le pouvoir. 
Par ailleurs, force est de souligner que, face à la bronca des oppositions parlementaires, ministres et députés de LREM – à l’exception de quelques personnalités sans importance - réagissent dans un affichage de loyauté sans faille, jusqu’à tenir des propos aussi démentis par la dernière ligne en date. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’esprit de parti, pour ne pas dire de coterie, domine les comportements des affidés de LREM, tout au moins en public. Nous sommes vraiment face à des députés-godillots, et aussi  des ministres-godillots,  comme on ne l’avait jamais vu depuis des lustres. Par contraste, tous les autres partis parlementaires apparaissent de ce fait comme des coalitions de vraies individualités et non pas comme « l’armée des clones », prêts à tout pour défendre leur créateur. C’est là une nouveauté typique des partis-entreprises, comme le fut à ses tout débuts en 1994, Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi.  Certes, les « marcheurs » n’ont pas un code vestimentaire à respecter comme l’avaient les députés et sénateurs italiens des débuts du Berlusconisme, et ils ne reçoivent donc pas une cravate spéciale à porter,  mais ils semblent avoir autant d’autonomie politique que ces promus d’alors par la grâce d’un chef d’entreprise.  En tout cas, si la nouveauté, c’est un parti fait d’ « employés du mois » pour rester poli, ou un parti qui ressemble à une caricature du PCF de 1950 dans le respect de la  « ligne » dictée par le « centralisme démocratique » - « ligne » devenue en 2018 des « éléments de langage » -, je ne suis pas certain que c’était là l’attente des électeurs en 2017.

« S'ils veulent un responsable, il est devant vous, qu'ils viennent le chercher » a déclaré le président de la République lors de son discours. La maladresse autant que l'agressivité d'une telle formule ne risque-t-elle pas d'être perçue comme une provocation ? Ne retrouve-t-on pas un même mépris que ses adversaires populistes comme contre-pouvoir ?

Christophe Boutin : « S’ils cherchent un responsable, le seul responsable, c’est moi et moi seul. C’est moi qui ai fait confiance à Alexandre Benalla. C’est moi qui ai confirmé la sanction. Ça n’est pas la république des fusibles, la république de la haine. On ne peut pas être chef par beau temps. S’ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu’ils viennent le chercher. Je réponds au peuple français. »
C’est beau, car, effectivement, nous souffrons de ces titulaires du pouvoir politique qui n’assument pas leurs responsabilités, et nous avons eu de nombreux exemples, de droite ou de gauche, en France… Mais il est d’autant plus facile de prendre cette posture quand on ne risque rien. Or le Président de la république dispose en France d’un statut qui interdit jusqu’à son audition par la commission d’enquête parlementaire. Quant à la mise en jeu constitutionnelle de sa responsabilité, on imagine mal que l’on en arrive là. Là encore, rien à voir avec les populistes, car ces derniers courent de véritables risques quand ils s’en prennent aux pouvoirs en place. 
Christophe Bouillaud : Sans doute, sera-t-elle perçue comme une provocation, mais elle a l’immense mérite de souligner une vérité : le Président de la République est responsable du choix de ses collaborateurs directs. Personne d’autre qu’E. Macron n’a en effet promu A. Benalla aux responsabilités qui ont été les siennes jusqu’à la semaine dernière. Par ailleurs, dans le régime de la Vème République, le Président de la République est « irresponsable ». Personne ne peut le démettre par le jeu ordinaire des institutions, contrairement à un chef de gouvernement d’un régime parlementaire. E. Macron n’est responsable que devant le peuple, et c’est lui seul en plus, qui décide des formes institutionnelles de l’expression de la confiance ou de la défiance du peuple : par le choix de se représenter ou non en 2022 ; par le choix de dissoudre l’Assemblée nationale (comme J. Chirac en 1997) avant son terme ; ou enfin en provoquant un référendum auquel il donnerait un sens personnel (comme C. De Gaulle en 1969). 
En dehors de l’une de ces trois possibilités institutionnelles, rien ni personne ne peut le faire quitter l’Elysée, tant qu’il a la volonté d’y demeurer à son poste et tant que des fidèles, fussent-ils en nombre restreint, acceptent de lui obéir. Ou alors, il faut imaginer une situation que la France n’a plus connue depuis 1830 ou 1848, un pouvoir légal renversé par la seule rue parisienne. C’est pour le moins peu probable. 
Donc, ce n’est pas du mépris pour les contre-pouvoirs, mais simplement le constat de la réalité de la Vème République, dans un contexte où, en plus, la majorité présidentielle est pléthorique à l’Assemblée nationale. De fait, notre Constitution semi-présidentielle  de 1958 a été une source d’inspiration pour tous les populistes qui sont arrivés au pouvoir et qui ont voulu s’y enraciner en détruisant les contre-pouvoirs. Un présidentialisme, où il n’y a pas une vraie séparation des pouvoirs comme aux Etats-Unis, constitue en effet le rêve de tout apprenti dictateur – la dérive vers le « régime », comme disent les Italiens, y est facile. De ce point de vue, il faut bien dire que la réforme constitutionnelle proposée par E. Macron n’arrange rien, et les extrêmes auraient d’ailleurs bien tort de s’y opposer si elles comptent un jour prochain arriver au pouvoir en France… Toutes les prémices d’une dictature présidentielle auront alors été posées.

L'affaire Benalla ne pourrait-elle pas, en relativisant l'opposition entre populistes et responsables politiques traditionnels, redonner une place à Laurent Wauquiez, lequel s'est fait assez discret dans cette affaire ? Issu d'un parti présidentiable tout en étant taxé de populisme par ses adversaires, le Président des Républicains ne bénéficie-t-il pas de l'affaire Benalla ?

Christophe Boutin : Laurent Wauquiez a eu sur le sujet des jugements clairs, dénonçant « l'absence de sens de l'État, le dédain des usages républicains les plus élémentaires et un amateurisme inquiétant » ou une attitude d’Emmanuel Macron où se mêle « de la morgue et du mépris ». Mais cela suffira-t-il à le faire remonter dans les sondages ? Il est peu présent dans les médias, absent du Parlement, il lui est bien difficile de rebondir véritablement  avec cette affaire Benalla.
Ce qui est intéressant c’est que la tactique politique macronienne, l’idée de ce centre devenu tout puissant parce que l’alliance des extrêmes contre lui aurait été impossible trouve ici sa limite, et que le pouvoir et place est sans doute bien heureux qu’une motion de censure ne puisse être votée… Contre la captation du pouvoir par un Système qui entend tout museler, on peut donc attendre des surprises. Reste à savoir qui pourra incarner la révolte.
Christophe Bouillaud :Oui, dans une certaine mesure. Puisque le chef de l’Etat, pro-européen, vertueux et libéral en principe, reprend des défauts qu’on prêterait plus volontiers aux extrémistes une fois arrivés au pouvoir, cela peut relativiser les créances de chacun en la matière. De même, la députée Marine Le Pen se rappelant tout d’un coup de son savoir-faire d’avocate au sein de la Commission d’enquête peut aussi faire impression. Serait-elle plus républicaine qu’on ne croyait le savoir ? 
Probablement, au final, cette affaire Benalla va normaliser le Président Macron. Il ne pourra plus jouer de sa diversité « morale », qui, pourtant, avait été symbolisé par une loi anti-corruption votée au tout début du quinquennat et qui avait justifié l’éviction des ministres du Modem. A l’avenir, il sera plus jugé sur la réalité de ses choix en matière de politiques publiques. Ce retour à des enjeux plus globaux peut avantager tous ses opposants qui sauront mieux critiquer et proposer. Une fois acté le fait que E. Macron est un politicien ordinaire- sans doute ni meilleur ni pire -, tout le monde aura de nouveau ses chances de faire valoir ses idées.

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