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Les dessous du regain de tensions entre les Etats-Unis et l'Iran
©ATTA KENARE / AFP

Ca chauffe

La tension est à nouveau montée d'un cran hier entre Hassan Rohani et Donald Trump. Le Président américain a sommé son homologue iranien de ne plus menacer les Etats-Unis, sous peine de lourdes conséquences, alors que ce dernier avait déclaré que "la paix avec l'Iran" serait la "mère de toutes les paix" et la "guerre avec l'Iran", la "mère de toutes les guerres".

Atlantico : Hier soir Hassan Rohani et Donald Trump se sont à nouveau affrontés par paroles interposées. Qu'est-ce qui est à l'origine de ce regain de tensions ? S'agit-il là uniquement de la réponse iranienne à l'interdiction donnée, par Trump aux pays européens, de continuer à commercer avec l'Iran? 

Ardavan Amir-Aslani : Donald Trump ne peut pas interdire à un pays souverain de faire ce que bon lui semble, heureusement ! En revanche, il est clair que nous avons affaire à une administration aux méthodes pour le moins agressives : elle menace l'Europe de travailler avec l'Iran, menace la Chine de sanctions supplémentaires sur les régimes douaniers, menace le Mexique et le Canada de sanctions économiques. Sa stratégie, c'est la menace permanente ! Dans le cas iranien, il n'y a rien de nouveau aujourd'hui. La phrase de Rohani n'implique guère de conséquences pour les Américains, c'est une phrase très théorique qu'aucun fait concret ne vient étayer. Le discours de Rohani est en réalité très anodin, il ne faut pas être tenté d'y voir autre chose. 
En revanche, Trump évidemment ne se prive pas de saisir l'occasion et de menacer une nouvelle fois le pays de représailles. Pourquoi une telle attitude ? Je pense que cela vient de sa politique de surenchère – il nous en a donné un aperçu avec Kim Jong-Un durant toute l'année 2017, on se souvient encore de cette escalade verbale autour de la taille du bouton nucléaire... En réalité, je pense que cela tombe fort à propos dans un moment où Trump, critiqué aussi bien par les Démocrates que par les Républicains après son scandaleux rendez-vous d'Helsinki avec Vladimir Poutine, a grand besoin de détourner l'attention de l'opinion publique américaine. 
Thierry Coville : Les dirigeants iraniens parlent depuis quelques mois d'une guerre économique que les Etats-Unis veulent mener contre eux. Les Etats-Unis veulent en effet réimposer les sanctions suspendues en 2016 suite à l'accord sur le nucléaire. L'objectif américain est très clairement de déstabiliser massivement l'économie iranienne. Dans leur esprit, aucun pays ne devrait pouvoir commercer avec l'Iran. Ils veulent notamment appliquer un embargo total sur le pétrole iranien, or les exportations pétrolières représentent 40 % des revenus de l'Etat et 80 % des exportations de biens. De plus, le Secrétaire d'Etat Mike Pompeo vient de rencontrer les opposants à la République Islamique d'Iran aux Etats-Unis. Enfin, si l'on prend les 12 points énoncés par Mike Pompéo sur lesquels l'Iran doit céder pour que ces sanctions s'arrêtent, ils reviennent à une "capitulation" de la République Islamique d'Iran. Au total, l'ensemble des dirigeants de la RII sont persuadés qu'ils font face à une stratégie de déstabilisation des Etats-Unis qui vise implicitement un changement de régime. Enfin, il faut prendre en compte la scène politique intérieure iranienne. Rohani doit montrer aux "durs" qu'il répond à ces attaques répétées.

Donald Trump et Mike Pompeo ont une un nouvelle fois réitérés leur volonté de libérer le peuple iranien d'un gouvernement qu'ils perçoivent comme une mafia. Connait-on le sentiment de la population iranienne face au conflit qui oppose leur gouvernement à Washington ? 

Ardavan Amir-Aslani : Avant toute chose, les Iraniens sont perplexes face à cette administration qui se comporte comme le shérif de la planète. En vertu de quoi ? Les Américains font peut-être une fixation sur le régime iranien, mais on n'observe guère de mouvements américains similaires à l'encontre, par exemple  de l'Arabie saoudite, dictature s'il en est, ou d'autres dictatures avec lesquelles les Etats-Unis ont d'excellentes relations... 
Aujourd'hui, le peuple iranien est très fatigué : des sanctions, de la sécheresse qui dure depuis cinq ans, de l'inertie économique, et de ce climat de menaces permanentes. La monnaie a perdu 60% de sa valeur en un an face au dollar, la plupart des grands groupes étrangers comme PSA, Total, Vinci, qui ont abandonné leurs projets d'investissement en Iran face au risque de sanctions américaines, et à partir du 4 novembre, à cause de la transposition des sanctions américaines sur l’énergie, l’Iran vendra alors 1,2 million de baril de moins par jour par rapport aux deux millions quotidiens actuels, soit 40% de recettes pétrolières en moins par an. Sans oublier l'accord de Vienne sur le nucléaire, qui a fêté ses trois ans le 14 juillet mais qui n'a pas tenu ses promesses de retombées économiques en dépit de la bonne volonté de l'Iran. 
Le peuple iranien est fatigué et ne souhaite qu'une chose : normaliser la situation. Néanmoins, les Iraniens tolèrent très mal les tentatives d'ingérence du président américain dans leur politique intérieure. Si changement il doit y avoir, il ne pourra venir que du peuple iranien lui-même. Ils refusent une solution imposée depuis l'étranger. Aujourd'hui, la politique étrangère américaine cherche à créer un nouvel ennemi, comme elle l'a fait avec l'Irak il y a quinze ans. Mais l'Iran ne sera pas un second Irak. 
Thierry Coville :Il y a un énorme mécontentement social actuellement en Iran qui a différentes causes. Il y a une énorme déception par rapport au fait que les sanctions américaines vont être réimposées. Globalement, la population pensait que cette question était réglée. De plus, il y des problèmes sociaux structurels qui travaillent la société : chômage (notamment des jeunes diplômés), perception généralisée que le système économique et politique est complètement corrompu. Il y a également des problèmes graves environnementaux, une véritable pénurie d'eau, notamment dans le Sud du pays. Il faut bien voir que la population iranienne était déjà déçue des retombées de l'accord de 2015. Beaucoup de gens attendaient que cet accord règle tous les problèmes sociaux précédemment évoqués. Avec la reprise des sanctions, il y a beaucoup de pessimisme et de déception qui s'installent. De plus, la colère populaire cherche un bouc émissaire et c'est le gouvernement qui en fait les frais.
Néanmoins, il faut également rappeler un certain nombre de choses à ceux qui espèrent un changement de régime. La population est extrêmement nationaliste et a vu à quel point les insurrections populaires ou les guerres ont détruit un certain nombre de pays dans la région (Syrie, Irak). La classe moyenne urbaine qui veut la démocratie et un Etat de droit veut un changement pacifique. C'est pour cela que les taux de participation aux élections présidentielles et législatives sont élevés (près de 70 %).
Par contre, il ne faut pas négliger, comme dans n'importe quel pays, un scénario dans lequel des populistes, portés par la colère de la rue, pourraient gagner les prochaines élections législatives et présidentielles si le taux de participation est bas. Dans ce cas, on peut s'attendre à un Iran encore plus agressif à l'extérieur et qui pourrait réprimer encore plus à l'intérieur. C'est à mon avis un des principaux dangers de la politique américaine actuelle vis-à-vis de l'Iran. 
Les autorités iraniennes se préparent à gérer cette période de crise. Deux facteurs clés vont jouer dans la réussite ou l'échec de leur politique de gestion de crise. Quelle sera la hauteur de l'embargo pétrolier ? La Chine (20 % des achats) va continuer à acheter le pétrole iranien. Mais que va faire l'Europe qui achète au moins 20 % des exportations iraniennes d'hydrocarbures et l'Inde, autre gros acheteur ? Les autorités iraniennes devront montrer à la population que cette gestion de crise ne s'accompagne d'une montée du clientélisme et ne conduit pas in fine à relativement favoriser les entités socio-politiques proches du régime (fondations, Pasdaran, etc.).

Téhéran a menacé Washington de fermer le détroit d'Ormuz, qu'il contrôle, et où passe 30% du pétrole mondiale. Cette menace est-elle véridique ? Pourrait-elle faire plier Washington ?

Ardavan Amir-Aslani : C'est vrai qu'aujourd'hui l'Amérique croit facilement aux théories du complot, et pense que l'Iran viserait à contrôler l'acheminement pétrolier du Moyen-Orient à travers le détroit d'Ormuz mais aussi à travers celui de Bab el-Mandeb, la porte vers la Mer Rouge qui appartient au Yémen, où se battent les Houthis. Mais les Iraniens ne feront jamais cela, ils n'y ont aucun intérêt. Un tel blocus non seulement entraînerait la multiplication par trois des prix du pétrole, mais constituerait un acte de guerre. Les Iraniens ne veulent pas partir dans la surenchère avec le risque de braquer la planète entière contre eux !
Thierry Coville : Si l'on se place du côté iranien, cette menace vise simplement à dire "Si nous sommes poussés à bout, voilà ce que nous pouvons faire". Les autorités iraniennes sont quand même obligées de répondre aux attaques de Washington. En outre, il y a des éléments de politique intérieure. Le général Soleymani a dit qu'il retrouvait le Rohani qu'il appréciait quand le président a fait cette menace ... Néanmoins, c'est un avertissement. Ce n'est pas une action qui est envisagée à court terme par les Iraniens. Djahangiri, le premier conseiller de Rohani vient de dire qu'il espérait que l'Iran ne se retrouve pas dans cette situation.
Je ne pense pas que cette menace va faire plier Washington. Par contre, il faut espérer que dans les deux pays, on trouve des dirigeants responsables qui évitent une montée des tensions qui pourrait pousser chacun des protagonistes à des actions de représailles qui aboutiraient à un conflit.

Dans la mesure ou Donald Trump ne semble pas prêt à changer d'avis, à quelle situation doit-on s'attendre dans les mois qui viennent ? Il-y-a-t-il réellement un risque d'affrontement ? 

Ardavan Amir-Alsani : Je crois qu'on ne peut pas écarter le risque d'un affrontement militaire. L'économie iranienne est sur la pente descendante, avec des freins qui ont lâché et un mur déjà visible au bout de la piste ! Les Iraniens n'auront d'autre choix in fine que de s'entendre avec les Américains dans le cadre de négociations directes. Mais à quel prix ? Les Iraniens devront-ils retirer leurs forces militaires d'Irak, de Syrie et du Liban ? En se soumettant ainsi aux Américains, le régime théocratique pourra t-il rester au pouvoir alors qu'il aura perdu toute légitimité ? Ou est-ce que les Américains se contenteront simplement d'un retrait iranien de la Syrie, afin de satisfaire aux exigences d'Israël ? Jusqu'où iront les demandes américaines ? Tout l'enjeu est là. 

Thierry Coville : Très clairement la situation va se dégrader économiquement en Iran. Il faut voir dans quelle mesure. Si l'Iran  tombe dans une crise économique très grave, la scène politique intérieure va changer et les durs et les populistes vont prendre plus de poids. Ces derniers pensent que l'Iran doit d'abord établir un rapport de force avant de négocier avec les Etats-Unis. C'est pour cela que l'on pourrait s'attendre, si les durs accèdent au pouvoir, que l'Iran sorte très rapidement de l'accord. Par ailleurs, si l'Iran tombe dans ce type de crise économique très grave, il leurs semblera rationnel de se défendre en menant des actions comme la fermeture du détroit d'Ormuz.

Les Etats-Unis officiellement disent qu'ils ne veulent pas faire la guerre avec l'Iran. Mais la stratégie qu'ils emploient est de mener une politique de déstabilisation politique de l'Iran (comment qualifier autrement une politique qui vise à priver un pays de 80 % de ses recettes en devises ?). Cette stratégie peut conduire à un renforcement du camp des durs en Iran. Dans ce cas, les risques d'affrontements sont évidemment plus élevés.

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