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Critique philosophique de l’arbitrage vidéo
©Mladen ANTONOV / AFP

Critique philosophique de l’arbitrage vidéo

La coupe du monde s’achève sans plusieurs de ses stars (Messi, Ronaldo, Neymar…) dont la sortie prématurée du tournoi fut toutefois précédée par celle de la vedette incontestée de la phase de poule, le fameux VAR (l’arbitre assistant à la vidéo), disparu des écrans depuis les huitièmes de finale. Est-ce à dire que la FIFA a tiré elle-même le bilan critique de l’expérimentation qu’elle a initiée, et dont elle s’est pourtant félicitée officiellement à coups de statistiques aussi flatteuses que douteuses ?

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Ayant passé les quinze derniers jours de juin à corriger les copies du Bac entre deux matchs du Mondial, j’ai été conduit à méditer sur deux sujets auxquels le débat relatif à l’arbitrage vidéo fournit une excellente illustration. Premier sujet :

Peut-on maîtriser le développement des techniques ?

Partisans et adversaires de l’arbitrage vidéo dans le foot s’opposent sur les raisons et la pertinence de recourir à l’assistance technique. Pour les premiers, il est évident qu’il s’agit d’un progrès, dans la mesure où celle-ci permet de pallier la défaillance humaine. Le foot entrerait ainsi, par le recours à la technique, dans l’ère d’un arbitrage scientifique - la rigueur, rendue possible par l’exactitude de l’information à disposition de l’arbitre, se substituant à l’arbitraire de décisions fondées sur des impressions visuelles lacunaires. Potentiellement et tendanciellement, l’arbitrage vidéo devrait ainsi pouvoir réaliser l’empire de l’exactitude : le VAR est à la fois une sorte de Big Brother en situation de voir tout ce qui se passe sur un terrain et un juge infaillible - serrant les mailles du filet de la justice pour ne laisser passer aucune faute, rectifiant au besoin les décisions injustes, sauvant en conséquence de l’erreur judiciaire nombre d’équipes et de supporters.

Les adversaires de l’arbitrage vidéo se heurtent non seulement à l’argument du Progrès, mais aussi à celui du fatalisme : l’introduction de la vidéo va dans le sens de l’Histoire, elle est irréversible, « on n’arrête pas le progrès ». Or, cet argument est lui réversible : si la technique est un destin, si la décision humaine n’est plus en mesure de s’opposer au développement des techniques, à la fascination qu’il suscite, à l’exploitation de toutes les possibilités qu’il génère, ne sommes-nous pas victimes d’une nouvelle forme d’aliénation ? La technologie n’est qu’un moyen dont on devrait pouvoir choisir de se passer s’il ne donne pas satisfaction. Si le choix est irréversible, si aucun retour en arrière n’est possible, on peut se demander s’il est encore permis d’évaluer le moyen en tant que moyen, et si l’on ne tend pas à oublier la fin ultime au regard de laquelle cette évaluation devrait avoir lieu. Serions-nous contraints d’admettre tous les inconvénients qui pourraient résulter de l’usage de la technologie disponible, quand bien même leur somme dépasserait celle des avantages attendus ? Le moyen ne devient-il pas une fin, ne nous fait-il pas oublier les véritables fins, n’en modifie-t-il pas la nature ? Le développement des techniques doit fournir à l’homme les moyens d’une plus grande maîtrise ; si l’accroissement des moyens devient une fin en soi, s’il s’impose à nous comme un destin, s’il n’est plus possible de maîtriser la maîtrise, celle-ci se renverse en dépossession et finit par apparaître comme une promesse frelatée.

Cette inquiétude est présente au sein des instances du foot et chez les défenseurs de l’assistance vidéo, puisqu’on s’interroge sur la délimitation de son usage. Le problème (logique) de la maîtrise de la maîtrise demeure toutefois sans solution dès lors que l’on prend pour idéal l’exactitude : n’est-on pas en effet condamné à vouloir toujours dépasser les limites posées, afin de corriger les lacunes de l’arbitrage humain qui subsisteront (du fait même de ces limites) et qui apparaîtront d’autant plus inacceptables qu’on aura posé l’exactitude en norme suprême ? La FIFA est toutefois peut-être en train de montrer qu’il est encore possible de résister à cette tentation de l’empire de l’exactitude par la technologie et de consentir avec sagesse aux errements de l’arbitrage traditionnel. L’expérimentation a été concluante sur un point : elle est parvenue à susciter le désir nostalgique du retour aux bonne vieilles erreurs humaines que l’on dénonçait naguère avec véhémence. Sans doute ne renoncera-t-on pas officiellement à l’assistance technologique, mais l’usage imposera les limites drastiques nécessaires au respect de l’harmonie du jeu.

Qu’est-ce qu’un fait footballistique ?

Pourquoi un tel recul ? Une première série de réponses peut être alimentée par la réflexion sur mon deuxième sujet : L’expérience peut-elle être trompeuse ? L’arbitrage vidéo illustre métaphoriquement la question des rapports entre l’expérience commune et la science. La connaissance scientifique, à la différence de la métaphysique, progresse grâce au recours à l’expérience. Elle ne peut se passer de l’observation et de l’évidence sensible (consistant à « croire ce que l’on voit »). Néanmoins, elle ne cesse de percer les apparences, de mettre en question la réalité telle qu’elle nous apparaît, de corriger nos erreurs de perspectives. Nous voyons bien le soleil accomplir un mouvement circulaire autour de la Terre et pourtant la science, en se plaçant du point du vue du soleil, nous apprend que la perception nous plonge dans l’illusion et que les sens ne suffisent pas à établir les faits, encore moins à les expliquer. En réalité cependant, ainsi que le précise Kant, « les sens ne sont pas trompeurs ». Simplement, ils ne jugent pas. L’erreur a toujours pour origine la mauvaise interprétation de ce que l’on voit, de l’information fournie par les sens : « l’erreur comme la vérité, ajoute Kant, n’a lieu que dans les jugements ».

Le plaidoyer en faveur de l’arbitrage vidéo, simple et efficace, repose sur la confiance dans la capacité d’établir la vérité des faits en s’appuyant sur une perception exacte de la réalité, résultant de la correction des erreurs de perspective. L’arbitre est sur le terrain comme nous sommes sur la Terre : prisonnier d’une perspective particulière, souvent « mal placé », sans le recul nécessaire pour bien juger, il commet fatalement des erreurs. Néanmoins, si l’expérience peut être trompeuse, elle ne l’est pas en tant que telle, pourvu qu’on développe les outils de la connaissance et qu’on en fasse bon usage. A commencer par la perception, indispensable pour établir les faits. « Être, c’est être perçu » écrivait le philosophe empiriste Berkeley. L’objectivité des faits est donc proportionnelle à notre puissance de perception. La technologie à cet égard, en tant qu’elle permet de multiplier les angles de vue, de voir et de revoir, de voir au ralenti, et surtout de voir avec une précision beaucoup plus grande que l’œil humain (en dépit d’une marge d’erreur, peut-être irréductible mais minime), semble garantir de manière incontestable la plus grande exactitude possible dans la perception des faits. La supériorité de l’instrument technique sur l’œil humain est indéniable. L’arbitrage vidéo doit donc sans aucun doute permettre d’éliminer les erreurs de jugement qui ont pour origine une erreur de perception. Il est à la perception faillible de l’arbitrage humain ce que la science est à l’expérience ordinaire.

Pourquoi alors ne pas céder aux sirènes de l’exactitude technologiquement garantie ? Revenons à Kant : grâce à la technique, les sens ne sont plus trompeurs : l’information sensible est fiable et garantit l’exacte correspondance de la réalité perçue et de la réalité telle qu’elle est. Reste que l’arbitrage ne consiste pas à voir, mais à juger : à interpréter la signification du fait perçu dans sa particularité en le comparant avec une loi du jeu, une règle générale donnée qui anticipe la diversité des situations et des actions particulières possibles pour déterminer si elles ressortissent au licite ou à l’illicite. Sans les règles, les données de la perception ne signifient rien ; elles ne prennent sens que par rapport à une règle, et il faut un esprit pour établir ce rapport. L’expérience, d’ailleurs, ne répond qu’aux questions qu’on lui pose. Les sens fournissent des informations à un esprit qui s’interroge. L’assistance vidéo a fournit l’information exacte permettant à l’arbitre d’Espagne-Maroc de répondre à la question : le but espagnol était-il hors-jeu ? Elle ne pouvait poser à sa place la question oubliée par celui-ci (à laquelle, pourtant, elle aurait pourtant pu répondre) : le corner conduisant au but a-t-il été tiré du bon côté ?

Il existe toutefois un type de situations simples, qui pourrait à la limite donner lieu à un arbitrage automatique au moyen d’une intelligence artificielle : lorsqu’il s’agit d’accorder ou d’annuler un but ou un point en jugeant si oui ou non la balle a franchi une ligne, non seulement la technologie est utile pour voir, mais elle pourrait aussi prendre la décision sans le recours à l’intelligence humaine. Dans une telle situation, il n’y a qu’à constater, rien à interpréter. Si la règle est simple et claire, la question posée le sera aussi, et la perception, dans le mesure où la technologie est fiable, pourra toujours apporter une réponse infaillible. La coïncidence sera telle entre perception et décision que l’arbitrage, grâce à la technique, pourra prétendre au titre de science exacte. On s’approche de cet idéal au tennis, où la vidéo permet à l’arbitre d’enregistrer comme indubitable le fait que la balle soit bonne ou faute. Si l’on voulait instaurer un usage absolument incontestable de l’assistance vidéo dans le football, il suffirait de le limiter aux situations où elle permet de prendre la mesure du positionnement d’un corps par rapport à une ligne (réelle ou virtuelle) : le ballon a-t-il ou non franchi la ligne ? Le joueur est-il ou non au-delà de la ligne du hors-jeu (à condition que la règle précise les parties du corps concernées) ? La faute a-t-elle eu dans ou en-dehors de la surface de réparation ? En dehors de ces quelques cas de figure, il n’existe pas « faits », dans un match de football, dont l’assistance vidéo puisse garantir avec certitude la réalité.

Dès lors en effet qu’une part d’interprétation s’introduit dans l’établissement du rapport entre le cas particulier observé et la règle générale, l’observation ne suffit plus. Même au tennis, de telles situations se produisent, lorsque la question que l’arbitre doit se poser devient plus complexe : quand par exemple la balle jugé faute était bonne mais qu’il faut estimer si l’adversaire était en mesure ou non de la renvoyer pour décider si le point doit être accordé ou rejoué. Or, dans le football, la part réservée à l’interprétation est colossale. Qu’est-ce, en effet, qu’un fait footballistique ? Qu’est-ce qu’une faute ? Une action, un geste, un contact, que l’arbitre doit à chaque fois apprécier dans sa confusion et sa particularité irréductibles pour le comparer avec le répertoire des catégories générales d’actions, de gestes et de contacts licites et illicites anticipés par le règlement. Les données visuelles, aussi précises soient-elles ne suffisent pas à déterminer la décision arbitrale. Il est arrivé lors de cette coupe du monde (dans les matchs Iran-Portugal et Sénégal-Colombie, par exemple), que l’arbitre change sa décision après consultation de la vidéo dans un sens qui rendait celle-ci encore plus discutable. Les joueurs ne pouvant démonter leurs bras en entrant sur le terrain, il est impossible de déterminer avec certitude si la rencontre du ballon avec un bras résulte ou non d’une intention. Le football étant un sport de contacts, la limite entre un contact régulier et un contact irrégulier demeure le plus souvent indécidable. Le jugement de perception, pour un arbitre de foot, est presque toujours une interprétation : interprétation de la dangerosité d’un tacle, du caractère volontaire ou involontaire d’un geste, du caractère délibéré et méchant d’un « mauvais geste », etc. Or, si l’arbitrage est une « herméneutique » (une science de l’interprétation), il ne peut être une science exacte. Dès lors que la matière même sur laquelle il faut juger ne permet pas d’établir les faits avec certitude, le conflit des interprétations est irréductible (comme en témoigne notamment la contradiction des décisions à propos des mains involontaires, laquelle persiste avec l’assistance vidéo).

Faut-il en conclure, à la manière de Nietzsche, que dans un match de football, « il n’y a pas de faits, seulement des interprétations » ? Un tel relativisme serait évidemment absurde. La bonne vue ne suffit pas au bon jugement mais elle en demeure une condition nécessaire. On peut en un sens distinguer le fait (la « chose vue ») et l’interprétation : la perception technologique n’est jamais (ou que rarement) trompeuse, et donc toujours utile, mais elle ne suffit à l’évidence pas à « établir un fait », si toutefois l’on entend par « fait » l’établissement du caractère licite ou illicite d’une action ou d’un geste. Ce n’est pas la perception technologique mais, la plupart du temps, l’arbitre-interprète qui en décide. Voilà un deuxième critère possible pour définir les limites de l’usage de l’assistance vidéo : la reconnaissance du rôle essentiel de l’intelligence humaine, de la responsabilité de l’arbitre. On pourrait à la fois admettre l’idée que l’assistance vidéo permet de réduire plus qu’elle n’en ajoute le nombre des erreurs d’arbitrage, et confier à l’arbitre de champ la responsabilité exclusive de la décision de recourir à la technologie. Après tout, celui-ci est choisi pour la qualité de son jugement, et il est en situation d’assumer la responsabilité des décisions qu’il prend au regard de tous, engageant sa réputation auprès des joueurs comme du public - ce qui n’est pas le cas des VAR, dont l’invisibilité et l’anonymat semble donner une incarnation à l’absurde prétention d’imposer la neutralité objective de la technique.

Justice et justesse

L’argument le plus fort en faveur de l’assistance vidéo repose sur la certitude que celle-ci, en garantissant l’exactitude de la perception, permet de réduire le nombre des erreurs de jugement. A cela, il n’y a rien à redire, si ce n’est que la quête de l’exactitude qu’apporte la technique n’est qu’un simple moyen. La justesse de la perception n’est qu’un moyen au service de la justice. Sauf à faire de l’exactitude une fin en soi, il faut donc s’interroger, pour évaluer l’assistance vidéo, sur les fins que l’on recherche. Pour les partisans de l’arbitrage vidéo, il va de soi que l’empire de l’exactitude s’accompagne nécessairement du règne de la justice sportive et de son impératif fondamental : « Que le meilleur gagne (dans les règles) ! »

Il existe en effet un lien entre la justesse (au sens de l’exactitude, de la vérité) et la justice. Une erreur dans le jugement qui établit la vérité des faits peut conduire à l’erreur judiciaire qui condamne l’innocent ou disculpe le coupable. Dans le foot, qui est un sport à but rare, une seule mauvaise décision (une seule erreur de jugement) peut décider du sort d’une rencontre. Pour être estimé juste, il ne suffit pas que l’arbitre soit impartial ; encore faut-il qu’aucune erreur de jugement ne vienne déterminer arbitrairement l’issue d’un match. Le nombre d’erreurs ne fait ici rien à l’affaire. Les erreurs d’un arbitre calamiteux peuvent s’accumuler sans injustice, si celles-ci se répartissent de manière égale sur les deux plateaux de la balance (d’où la fameuse « compensation » fréquemment évoquée à propos de l’arbitrage). Un arbitrage quasi-parfait peut à l’inverse être terriblement injuste si la rencontre se termine sur un score de un à zéro et qu’une seule décision erronée s’avère déterminante. Il faudrait donc, pour que l’arbitrage vidéo soit juste, qu’il soit omniprésent (dès lors que l’ubiquité est techniquement possible et mise à disposition des arbitres, toute « inattention » devient arbitraire et peut être considérée comme une décision injuste). Mais la part d’interprétation étant irréductible dans l’arbitrage footballistique, même une application systématique et illimitée de l’assistance vidéo ne garantirait pas l’empire de l’exactitude. Il est par exemple impossible d’établir si le Sénégal a été éliminé de manière juste ou injuste, et si l’assistance vidéo (qui a conduit l’arbitre à refuser un pénalty d’abord accordé aux Sénégalais dans un match perdu 1-0 contre les Colombiens, alors qu’un nul assurait leur qualification) a contribué à éviter ou au contraire à fabriquer une décision injuste. L’impossibilité objective d’une justesse (exactitude) parfaite réduit donc à néant l’espoir, non seulement d’une justice parfaite, mais même simplement d’une réduction du nombre des injustices.

Au regard de l’idéal de justice, pourrait-on à tout le moins objecter, l’assistance vidéo ne saurait nuire, si elle ne garantit pas la possibilité d’une amélioration. Je ne pense donc pas que ce soient les injustices dues à l’arbitrage vidéo qui aient incité la FIFA à renoncer à son usage à partir des huitièmes de finale. Il existe cependant une autre finalité de l’arbitrage, implicite mais capitale, et qui n’est pas la justice au sens d’une stricte application des règles du jeu fondée sur l’exactitude des faits observés. Cette fin ne sera jamais théorisée, mais les effets de l’assistance vidéo l’on fait apparaître par le contraste avec l’arbitrage traditionnel qu’elle a généré. Il s’agit de l’harmonie du jeu (une certaine idée de la « justesse », dans un sens autre que l’exactitude) qui sied aux joueurs comme aux spectateurs, qui se nourrit d’équité mais à laquelle la justice au sens de la mise en œuvre infaillible du droit strict ne convient peut-être pas.

Imaginons un arbitre doté d’une connaissance parfaite du règlement, d’une rigueur impitoyable, d’une capacité d’attention et d’une acuité visuelle exceptionnelles. Imaginons qu’il soit aussi ou plus performant que l’assistance vidéo fournie par la technologie et qu’il applique strictement les règles du jeu. Un tel arbitre serait-il un bon arbitre ? Ne laissant rien passer, il hacherait le jeu en permanence, distribuerait moult cartons jaunes et rouges et sifflerait de multiples pénaltys à chaque match. Il me semble qu’il se rendrait assez rapidement insupportable, exaspérant joueurs et spectateurs. Ne dit-on pas qu’un bon arbitre est un arbitre qu’on ne voit pas (critère au regard duquel le VAR fait un très mauvais arbitre) ? Qu’est-ce à dire, sinon que l’arbitrage n’est pas une science exacte mais un art de la « juste mesure » (l’une des conceptions possibles de la « justesse »), consistant à « laisser jouer » sans faire preuve de laxisme, à sanctionner les mauvais gestes tout en faisant preuve de « psychologie », à appliquer les règles sans créer par de « justes décisions » des déséquilibres irréversibles qui influent prématurément sur l’issue d’une rencontre ?

Si l’on pouvait établir l’empire de l’exactitude au moyen de l’assistance vidéo, le football changerait de nature. La moindre petite faute dans la surface de réparation donnerait lieu à un pénalty, si bien que le sort des rencontres et le destin des équipes finiraient par être exclusivement déterminés par l’arbitrage. Le Brésil aurait battu la Belgique par trois buts à deux et deux pénaltys à zéro. La justice y aurait peut-être trouvé son compte, mais en faisant de l’arbitre l’acteur décisif de la rencontre, ce qui ne correspond pas forcément l’esprit du jeu. C’est un problème classique de philosophie du droit : faut-il privilégier le droit strict ou l’équité ? Le juge n’est-il qu’une machine à appliquer sans état d’âme la règle générale aux cas particuliers ou bien contribue-t-il par ses jugements à fabriquer une jurisprudence, en tenant compte des situations particulières dans l’application de la loi et en créant en quelque sorte les règles d’application de la règle qu’il doit appliquer ? La philosophie explicite de l’arbitre de football ne peut être que celle du droit strict, mais dans la pratique, compte tenu du flou qui entoure à la fois la définition et l’interprétation des Lois du jeu, une jurisprudence impose aux arbitres soucieux de l’équité sportive de souvent fermer délibérément les yeux.

Paradoxalement, la systématisation de l’assistance vidéo à l’occasion de cette coupe du monde est venu perturber cette jurisprudence, contraignant les arbitres à ouvrir les yeux quand ils auraient préféré les tenir clos. Raison pour laquelle sans doute, même si les choses ne seront jamais présentées ainsi officiellement, il a finalement été décidé - afin de préserver la jurisprudence garante de l’harmonie du jeu - de laisser la technologie de l’assistance vidéo au vestiaire.

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