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La jeunesse méconnue de Didier Deschamps : les débuts de sa passion pour le football à Bayonne, son cadre familial et le drame effroyable de son frère Philippe
©FRANCK FIFE / AFP

Bonnes feuilles

L'équipe de France du sélectionneur Didier Deschamps s'apprête à disputer la finale de la Coupe du monde en Russie face à la Croatie ce dimanche. En cas de sacre, l'entraîneur des Bleus assoierait définitivement sa légende. Malgré les images d'archives de France 1998 et sa carrière de joueur, la jeunesse de Didier Deschamps reste assez méconnue du grand public. Sa passion pour le football et l'affection de ses parents lui ont permis de surmonter un drame effroyable, la perte d'un frère. Extrait du livre de Philippe Grand, "Didier Deschamps, face à l'histoire" aux éditions Mareuil. (2/2)

Philippe Grand

Philippe Grand

Philippe Grand est chef du service des sports du Courrier Picard. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur le football.

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« J’ai arrêté le rugby lorsque je me suis aperçu autour de moi qu’ils étaient beaucoup plus grands. » 

Originaire de Bayonne, où il est né le mardi 15 octobre 1968 en fin d’après-midi, pendant les Jeux olympiques de Mexico, Didier Deschamps a toujours aimé utiliser cette pirouette en guise d’explication de son choix pour le football, lui l’enfant du Sud-Ouest, installé dans la maison familiale à Anglet et fils de rugbyman biarrot. Son père, Pierre Deschamps, était en effet un troisième ligne du Biarritz olympique, le club du légendaire Serge Blanco. Mais en vérité, côté sport, Didier était « un boulimique ». Un touche-à-tout : rugby et football donc, handball, pelote basque bien sûr, et encore athlétisme, où il excellait dans les courses de demi-fond. Avec deux titres majeurs – déjà – pour lui, acquis durant sa scolarité : champion d’académie benjamin de cross-country puis champion de France minime du 1 000 m, épreuve qu’il a survolée. Un premier palmarès sportif qui induisait ses qualités naturelles d’endurance, appelées à devenir primordiales dans le futur cadre de son poste de milieu de terrain, où l’on doit multiplier les courses et faire d’incessants va-et-vient entre la défense et l’attaque. 

Parallèlement, l’élève Didier Deschamps était parmi les meilleurs, que ce soit à l’école primaire, à Anglet, ou au collège Saint-Bernard – un établissement privé catholique –, à Bayonne. Bref, un vrai « bon fils » après avoir été un bébé (de 3,750 kg à la naissance) sans problèmes et sans histoires, ayant manifestement hérité du meilleur de ses parents courageux et travailleurs, avec un papa exerçant le métier de peintre en bâtiment à la direction départementale de l’Équipement des Pyrénées-Atlantiques, et une maman commerçante. Le père est présenté comme un homme plutôt réservé et perfectionniste, et la mère comme volontaire et attentive. Les chiens ne faisant pas des chats, Didier incarne, entre autres, ces vertus développées par Pierre et Ginette Deschamps. Ainsi, leur footballeur de fils a toujours été, tout au long de sa carrière, un homme volontaire, attentif, perfectionniste mais néanmoins réservé, dès lors qu’il s’agit d’évoquer sa personne. 

DD est en effet resté constamment à l’écart du star system, qui a prévalu à partir du titre de 1998, sans que cela soit antinomique avec son ambition de devenir un leader partout où il est passé. 

Il en fut de même à l’Aviron bayonnais. Son premier club, alors que la logique aurait voulu qu’il rejoigne celui de sa ville, Anglet Genêts. Sauf qu’il a refusé. À 12 ans, Didier estimait que ce n’était pas le bon choix, « car aucun joueur n’est sorti de là-bas ». Sous-entendu : Anglet Genêts n’a jamais produit un jeune footballeur capable de faire carrière ensuite chez les professionnels ! 

Forfanterie ou ambition maladroitement exprimée  ? Interrogé des années plus tard sur la question par Thierry Ardisson dans l’une des ses émissions de télévision, Deschamps a précisé la teneur de ses paroles : « Je me rappelle avoir dit ça. Pourtant, à ce moment-là, pour moi le football n’était pas un métier. Mais tant qu’à prendre une licence, autant que ce soit dans une équipe qui ne prenne pas des raclées (sic) tous les week-ends ! Je n’aime pas perdre… ».

Le refus de la défaite. Une ligne directrice constante chez Didier Deschamps, anéanti par le moindre revers dès son plus jeune âge, comme lors des « foot » à deux contre deux dans le jardin de la maison, avec son frère Philippe et ses deux cousins Daniel et Jo. 

« Il faut que je gagne sinon je deviens fou… » Un état d’esprit qu’il a conservé durant toute sa carrière et qui lui a permis de se surpasser et de sublimer ses coéquipiers pour remporter quasiment tous les trophées les plus prestigieux, excepté la Coupe de France.

Les dirigeants bayonnais vont vite découvrir cette force de caractère qui a opté pour le football, après que son meilleur pote lui demande de l’accompagner au club où il va s’inscrire. Une sollicitation à laquelle DD ne répond pas immédiatement favorablement. Il laisse passer quelques jours avant de se décider. Comme quand Noël Le Graët le réclame à la tête de l’équipe de France, ou dans plusieurs autres circonstances au cours de sa vie de champion. Car c’est ainsi, Deschamps ne dit jamais oui d’emblée, pour mieux prendre le temps de la réflexion. En revanche, quand il s’engage, c’est pour aller au bout du projet, sans que rien ne puisse le faire dévier de sa trajectoire. Bernard Tapie l’apprendra à ses dépens quand il cherchera à transférer Deschamps de Marseille au PSG à l’été 1991. 

« Pour moi, il fallait que je m’impose à l’OM », assure celui qui a donc osé s’opposer – ils étaient rares à l’époque – au choix du Boss de Marseille, alors au sommet de sa gloire. Tapie fut toutefois suffisamment pragmatique, ce qui n’est pas une surprise concernant le personnage, pour finir par se rendre à l’évidence et revoir sa position jusqu’à faire de l’ex-futur banni le capitaine de la plus forte équipe de Marseille de tous les temps ! 

En attendant, pour l’heure, Didier doit s’imposer à l’Aviron bayonnais, club omnisports historique fondé en 1904 (La section football est apparue en 1930) . 

Contrairement à Anglet, l’Aviron a sorti plusieurs joueurs pros. Tel, avant Deschamps, l’insaisissable ailier gauche des Verts de la belle époque, Christian Sarramagna. Ou, période post-Deschamps, le gardien de but Stéphane Ruffier. 

Dès sa première séance d’entraînement, Didier Deschamps impressionne. La petite histoire rapporte même que, ce jour-là, le gardien venu essuyer une série de tirs des débutants, s’est tordu le poignet à l’occasion de la première frappe du futur international venu d’Anglet. 

En fait, « il était excellent partout ». Le directeur sportif du club, Jacques Sorin, n’en croyait pas ses yeux. Difficile d’admettre, dans ces conditions, qu’à 12 ans, âge relativement tardif pour commencer (la plupart des enfants prennent leur première licence entre 6 et 10 ans), Didier n’a jamais joué au football. Et pourtant ! Hormis un oncle, saisi par ce qu’il voyait dans les jeux de balles familiaux, personne n’avait songé pousser le gamin à « exploiter » son talent naturel. Pas forcément convaincu par les bienfaits du ballon rond, le second fils de Pierre et Ginette, cadet de trois ans de Philippe, s’amusait pourtant de plus en plus balle au pied chez lui : «  Je me sentais à l’aise avec le ballon. » 

Il était tout aussi heureux quand il partait avec son frère et son père à la chasse et à la pêche sur les bords de la Nive (Errobi disent les Basques), une rivière affluente de l’Adour où Didier taquinait le goujon. La magie des plaisirs familiaux de l’enfance… 

Une nostalgie qui ravive avec force l’insupportable douleur du funeste destin de Philippe Deschamps, dont la vie s’est arrêtée le 21 décembre 1987 à 15h10 dans un crash d’avion, un Embraer 120 RT Brasilia fabriqué un an plus tôt et opérant pour Air Littoral. Le drame est arrivé alors que le voyage Bruxelles-Bordeaux touchait à sa fin. 

C’est lors d’une phase d’approche, à 5 km de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac que, selon le rapport officiel, les pilotes auraient commis plusieurs erreurs fatales. Bilan : aucun rescapé, 16 morts (les 3 membres de l’équipage et les 13 passagers). Parmi lesquels Philippe Deschamps, 22 ans, établi en Belgique et qui revenait fêter Noël ! La foi catholique de la famille en a été ébranlée. 

Didier a perdu son frère et plus rien n’allait jamais être comme avant.

Les belles années Bayonne vont vite passer. Le football va tout emporter. « Je me suis retrouvé dans ce sport et j’en ai cultivé la passion. L’élément déclencheur a été la Coupe du monde 1982 en Espagne. Elle a fait basculer mon choix. J’avais trouvé ma voie. » 

Trop fort chez les benjamins et très grand (1,68 m) pour un garçon de 12 ans, il est surclassé (terme sportif indiquant qu’un jeune opère dans une catégorie d’âge supérieure à la sienne après un avis médical favorable) pour renforcer l’équipe minime du club basque. Un peu mis à toutes les sauces, Deschamps domine partenaires et adversaires. Dès qu’il est positionné comme attaquant, il empile les buts, du pied droit comme du gauche. Entre 12 et 14 ans, il en marque 70 par saison en moyenne ! Une statistique étonnante pour celui qui, en pro, sera tout sauf un buteur, accaparé par ses tâches de milieu défensif. 

Plus rien ne l’arrête, il gagne souvent et n’accepte pas la moindre défaite, jusqu’à lui en arracher des pleurs. Déjà, il devient le relais naturel des entraîneurs qui le désignent capitaine, vantant sa vision du jeu et son sens tactique. Ce que ses coéquipiers chez les Bleus de 1998 et 2000 appelleront à son égard, « la science du jeu ». 

Il brandit un premier trophée important : la Coupe nationale des minimes, remportée avec l’équipe de la Ligue d’Aquitaine dont il était évidemment devenu un capitaine indiscuté… 

Inévitablement, sa réputation de jeune prodige s’étend bien au-delà du département des Pyrénées-Atlantiques, de la région Aquitaine et du Pays basque. 

L’équipe de France minime s’offre à lui tandis que les recruteurs des meilleurs clubs français vont venir juger sur pièce le phénomène. 

Comme souvent à l’époque, les plus fins en la matière sont les Stéphanois. Depuis leurs exploits européens, avec cette maudite finale de la Coupe d’Europe des clubs champions à Glasgow en 1976, les Verts jouissent d’une incroyable popularité et sont la référence du football en France. Même si, en ce début des années 1980, la concurrence du FC Nantes et l’ambition dévorante des Girondins de Bordeaux tendent à faire tomber de son piédestal l’AS Saint-Étienne (ASSE). En attendant, c’est le réputé Pierre Garonnaire, considéré comme le plus grand dénicheur de talent de l’Hexagone, qui approche le premier Didier Deschamps et sa famille. Garonnaire a, comme toujours, un coup d’avance. Il propose un contrat de non-sollicitation à M. et Mme Deschamps pour leur fils, car il faut avoir 14 ans pour pouvoir intégrer un centre de formation d’un club pro, et Didier en a 13. 

Pierre Garonnaire, disparu quelques jours avant la finale du Mondial 1998 où il aurait sûrement ressenti une forte émotion à voir l’enfant qu’il avait repéré brandir la Coupe du monde, propose aussi une visite des installations stéphanoises, doublée pour Didier d’un bref stage à l’ASSE pendant les vacances de Pâques. Enchantement assuré. Les Verts, champions de France en titre, que Platini avait rejoint en 1979, c’est le must… 

Mais patatras  ! Une sale affaire de caisse noire, sur une dénonciation anonyme, éclabousse le club le 1er avril 1982. Ce n’est hélas pas un poisson d’avril. Cette histoire de gros sous va entraîner la chute de la maison stéphanoise : des joueurs sont accusés d’avoir touché de fortes sommes d’argent en liquide. Michel Platini, lui-même, aurait encaissé de cette manière plus de 800 000 francs. Pas grand chose à côté de ce qui lui sera reproché plus de trois décennies plus tard à la tête de l’UEFA. Mais suffisamment pour être condamné à une peine de prison avec sursis. 

En pleine tourmente médiatico-judiciaire, le mythique président de l’ASSE, Roger Rocher, et l’ensemble du club ont brusquement d’autres priorités que d’assoir le recrutement du jeune Deschamps. D’ailleurs, au final, en sus de 800 000 francs d’amende comme Platini, Rocher sera condamné à trois ans de prison dont quatre mois ferme. Une terrible sentence pour cet homme gracié par Jacques Chirac en 1991 et mort en 1997, qui a fait la légende des Verts (neuf titres de champions, six Coupes de France, la finale européenne historique de 1976), suscitant une reconnaissance éternelle du peuple stéphanois. 

Dans ce contexte, les Girondins de Bordeaux cherchent à récupérer le bébé DD. Las, les nouveaux riches du football français s’y prennent très mal sous l’impulsion de leur sulfureux et omnipotent président Claude Bez (décédé en janvier 1999, il aura fait lui aussi un passage par la case prison). Prêts à courtiser toute la famille Deschamps, Bez et son directeur sportif, ex-attaquant de l’équipe de France retenu pour la Coupe du monde 1966 en Angleterre, Didier Couécou, arrivent en limousine devant le domicile familial d’Anglet. Ils affichent ostensiblement leur volonté d’acheter Didier. L’histoire est connue. Le grand-père Deschamps s’indigne : « Ce sont des maquignons ! » Les Girondins insistent, mais rien n’y fait : Didier Deschamps ne signe pas chez eux. 

Dans ces conditions, qui va pouvoir s’offrir la nouvelle petite merveille du football français ? Les sollicitations se multiplient. Difficile de s’y retrouver. Alors la vérité viendra encore de Bayonne, où le dévoué Jacques Sorin a la bonne idée de vouloir faire visiter aux Deschamps les centres de formation des meilleurs clubs français. Histoire de leur permettre de faire un choix en toute sérénité. Sauf que la tournée des grands ducs ne sera pas nécessaire. Car la première étape de ce qui s’annonçait comme un marathon va suffire. Du haut de ses bientôt 14 ans, Didier est conquis par Nantes et son centre de formation, La Jonelière, un lieu-dit de l’agglomération nantaise situé sur les bords de l’Erdre où le FC Nantes a établi son vaste quartier général, inauguré en 1978. Il a rapidement compris que son avenir allait s’écrire ici. 

Pour leur part, les parents obtiennent les garanties nécessaires sur la scolarité de leur fils. Une sage assurance au regard des taux de réussite enregistrés par les centres de formation des clubs pros. Grosso modo, selon différentes sources, au mieux 20 % des stagiaires deviennent pros et seulement 10 % finissent par jouer en Ligue 1. Or, au fur et à mesure que Didier affichait ses qualités de footballeur, il n’en restait pas moins un bon élève, doué pour les chiffres a priori. Aussi, pas question d’abandonner la proie pour l’ombre. Il n’empêche, terminé le trop court (trois ans : 1980-1983) bon temps de Bayonne ! Un autre monde attend Didier Deschamps. Il scellera son destin.

Extrait du livre de Philippe Grand, "Didier Deschamps, face à l'histoire" aux éditions Mareuil.

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