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Usage des armes par la police : l’inquiétant filtre moral de la CEDH
©NICOLAS TUCAT / AFP

Surréaliste

Alors que le gouvernement prend connaissance du rapport alarmant sur la situation morale des forces de l’Ordre, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) vient par arrêt du 7 juin 2018 de condamner la France à indemniser les parents d’un jeune homme décédé suite à un tir d’un gendarme.

La motivation de cette décision, déconnectée de la réalité du terrain et des exigences opérationnelles, va singulièrement compliquer le recours éventuel à l’usage des armes.

Les faits étaient hélas d’une triste banalité. Durant une nuit trois gendarmes en patrouille au sein d’un véhicule de dotation (qui s’avèrera poussif) ont eu à faire avec des individus déterminés conduisant une voiture surpuissante.

Les individus ont commis de nombreux délits durant la nuit (larcins, tentative de cambriolage, refus d’obtempérer…) malgré plusieurs tentatives d’interpellation et de poursuites (avec avertisseur sonore, tir de flash-ball dans la vitre arrière…) qui se sont avérées vaines, les gendarmes étant régulièrement semés.

De façon accidentelle le véhicule des délinquants s’est trouvé bloqué dans un dispositif de pompiers à l’occasion d’un accident de circulation.

Les gendarmes ont pu alors se garer derrière le véhicule des fuyards et un des gendarmes a effectué à plusieurs reprises les sommations d’usage d’avoir à stopper le véhicule et de descendre.

Pour seule réponse le véhicule a foncé sur lui dessus en marche arrière puis à nouveau en manœuvrant pour repartir en sens inverse.

Après avoir réussi à esquiver à deux reprises, le gendarme en dernier recours a fait usage de son arme et a ouvert le feu en direction des pneus du véhicule pour tenter de l’immobiliser alors qu’il repartait à vive allure.

Malheureusement une des balles entrée dans le bas du haillon a ricoché à l’intérieur de l’habitacle et a touché mortellement un des occupants allongé sur la banquette arrière.

Le véhicule ne s’est pas arrêté et le décès n’a été connu que plus tard lorsque le corps de la victime a été jeté dans la cour d’un hôpital par les autres occupants de la voiture.

Ces derniers après avoir incendié l’automobile et s’être enfuis seront interpellés plusieurs mois après et in fine condamnés pénalement pour notamment violences volontaires sans ITT sur personne dépositaire de l’autorité publique.

Le gendarme a immédiatement été entendu dans le cadre d’une garde à vue et mis en examen du chef de coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner.

Après une longue instruction la justice française (arrêt de la Cour de Cassation du 21 octobre 2014) a finalement ordonné un non-lieu considérant que les circonstances de l’espèce révélaient une évidente intention des fuyards de ne pas obtempérer, mais également leur dangerosité et que le recours à l’usage d’une arme à feu, dans le respect des règles alors édictées par le Code de la Défense, était absolument nécessaire.

Ce faisant la juridiction française reprenait la jurisprudence de la CEDH sur les exigences de proportionnalité et du caractère d’absolue nécessité.

Rappelons que le droit à la vie protégé par l’article 2 la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas un principe juridique de portée absolue. Ainsi la mort n’est pas considérée comme infligée en violation dudit article lorsqu’il s’agit d’effectuer une arrestation régulière.

Ce qui pouvait être traduit en langage prosaïque par l’adage « Force doit rester à la loi ».

Mais visiblement cela ne suffit plus.

Pour la CEDH s’il s’agissait bien de procéder à une arrestation régulière, elle conteste l’usage de la force notamment en raison du risque de blesser les occupants du véhicule. La Cour retient que les manœuvres dangereuses du véhicule (euphémisme pour décrire un bolide lancé à pleine puissance sur un piéton…) ne sont imputables qu’au seul conducteur et que le véhicule en fuite ne représentant plus de danger pour le gendarme il était inutile de tirer…. D’autant que les autres délits constatés tout au long de la soirée ne concernaient que des atteintes aux biens.

La CEDH reproche au gendarme d’avoir analysé la situation en faisant du véhicule utilisé comme une arme une entité délinquante unique, munie d’une seule et même volonté.

Ce pourtant à quoi il a été réellement confronté n’ayant jamais pu identifier le nombre exact d’occupants….

Bref il appartient dorénavant aux représentants de l’ordre dans le laps de temps où on leur fonce dessus de se demander :

1)    Si malgré la dangerosité objective que représente une auto surpuissante qui cherche à vous écraser à 2 reprises, il n’y aurait pas à s’inquiéter d’abord pour tous les autres occupants, victimes potentielles d’une mesure d’arrestation ;

2)    Si en amont de l’agression dont il est victime il n’y aurait pas des circonstances atténuantes tirées du fait que les précédentes infractions commises seraient moins graves ;

3)    Si la fuite ne doit pas être encouragée ou considérée comme inéluctable…

Je préconise dorénavant aux forces de l’ordre, pour s’assurer d’être en conformité avec les exigences surréalistes de la jurisprudence européenne de ne plus poursuivre les délinquants qui ne se rendent pas d’eux-mêmes et mieux encore de ne plus utiliser leur arme dans certains cas pourtant prévus par la loi et l’article L 435-1 du Code de la Sécurité intérieure :

3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s'arrêter, autrement que par l'usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ; 

4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ; 

C’est-à-dire en cas d’évasion ou de barrages forcés.

Car à l’évidence la CEDH ne considèrera jamais que la dangerosité manifestée par les délinquants vis-à-vis des forces de l’ordre puisse permettre de retenir ultérieurement qu’elle représente un danger suffisant pour autrui dans leur fuite ou leur évasion.

Dans l’espèce que ce serait-il passé si le véhicule dans sa course folle peu respectueuse du Code de la Route avait causé un accident ou écrasé un piéton ?

En aurait-on rendu responsable le gendarme ? on se perd en conjectures.

Le plus inquiétant sans doute est l’inversion absolue des valeurs. Pourquoi dans une société de la responsabilité individuelle, ceux qui choisissent à un moment précis de violer le pacte social et de se mettre hors la loi n’aurait pas également à supporter la prise de risque correspondante ?

Pour que force reste à la loi il faut encore que la loi puisse montrer sa force.

Sans excès, ni abus, ni erreurs bien entendu, comme hélas les faits tragiques de Nantes le rappellent.

Mais sans démagogie inverse non plus.

Sait-on le poids que représente pour les personnels de la Police et de la Gendarmerie l’exercice de leur travail au service de tous pour que soit restauré, au moins dans les grands principes, une forme de présomption selon laquelle l’usage des armes est conforme à l’intérêt général et ne réserver les enquêtes que pour les cas où il ressort qu’une erreur manifeste d’appréciation a été commise.

Le décès lui-même, pour tragique qu’il soit, ne constituant pas ipso facto la preuve d’un dysfonctionnement.

Je sais bien que penser ainsi n’est pas correct, surtout pour un avocat forcément acquis aux visions progressistes, mais un peu de mauvais esprit sauve parfois….

Ou pas.

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