Progressistes contre nationalistes : le clivage cher à Emmanuel Macron dont l’entretien menace pourtant la démocratie<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Progressistes contre nationalistes : le clivage cher à Emmanuel Macron dont l’entretien menace pourtant la démocratie
©LUDOVIC MARIN / AFP

Manœuvre

Emmanuel Macron lors de son discours devant le Congrès a déclaré que la "véritable frontière qui traverse l'Europe est celle qui sépare les progressistes des nationalistes". Une telle opposition dénuée de nuances risque de produire un réel effet de polarisation du débat politique en France.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

Voir la bio »
Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

Voir la bio »

Atlantico : Lors de son discours devant le Congrès, Emmanuel Macron a pu déclarer "Il faut le dire clairement: la frontière véritable qui traverse l'Europe est celle aujourd'hui qui sépare les progressistes des nationalistes. Et nous en avons pour au moins une décennie.". Une vision qui a pu être dénoncée rapidement par l'intervention de Bruno Retailleau, sénateur de la Vendée, qui a indiqué pour sa part "Monsieur le Premier ministre, je n'accepte pas que le Président de la République réduise le choix européen entre camp des progressistes et camp des nationalistes !". Quel est le risque posé par une telle opposition, qui ne semble pouvoir produire qu'un effet de polarisation du débat politique  ? Une telle opposition ne risque-t-elle pas d'étouffer le débat démocratique en poussant chaque partie dans une approche binaire ? 

Maxime Tandonnet : Oui, cette déclaration est très surprenante. En effet, le dépassement du clivage droite-gauche était la marque de fabrique du macronisme. Or voici que le clivage revient sous une autre forme: progressiste/ nationaliste. On se souvient que Mitterrand disait: le nationalisme, c'est la guerre. On voit donc bien que le président Macron se situe dans une optique manichéenne, il réinstalle un clivage qui va beaucoup plus loin qu'une opposition dite droite/gauche. Opposer progressiste et nationaliste, cela signifie la paix contre le nationalisme guerrier, le bien contre le mal. C'est très étonnant car le premier rôle d'un chef de l'Etat est d'incarner l'unité nationale. La Constitution le présente comme un arbitre, au-dessus de la mêlée. Quant au débat démocratique, il n'a plus vraiment de raison d'exister. On ne débat pas, on n'échange pas avec le "mal nationaliste" – le populisme ou la lèpre -, on le combat de toutes ses forces. La vie politique se présente comme une lutte à mort entre les tenants du bien et ceux du mal. Dans ce contexte, on voit mal quel peut-être la place de la politique comme mode de résolution des désaccords. On est plutôt dans une logique de guerre civile au moins virtuelle.

Eric Deschavanne : La politique est binaire ! Emmanuel Macron le sait. S’il ne veut pas être broyé par le retour de l’opposition gauche/droite, il lui faut activer le ressort d’une autre opposition binaire, celle en l’occurrence du « progressisme » et du « populisme », de l’européisme et du souverainisme. Une telle opposition, comme on l’a vu à l’occasion du second tour de la présidentielle, lui est de surcroît clairement favorable. Son diagnostic n’est en outre pas faux : il ne dispose pas, par le verbe, du pouvoir de créer cette opposition binaire ; c’est la réalité elle-même qui l’impose. Sur le plan européen, il existe désormais deux camps : celui des nations encore gouvernées par les forces politiques classiques, globalement pro-européennes, et celui des nations désormais gouvernées par des populistes souverainistes. Le fait que le clivage traverse l’Union européenne devrait renforcer le clivage au sein de chacun des pays de l’Union.

Je comprends les raisons politiques qui peuvent conduire à plaider pour une troisième voie, mais je ne pense pas qu’un tel discours « néo-centriste » puisse être entendu des peuples. En vérité, on peut avoir de forts doutes quant à la puissance réelle de ce clivage, qui oppose des européistes impuissants à rendre l’Europe homogène, fédérale et gouvernable à des souverainistes inconséquents, réticents à vouloir vraiment la fin de l’Union Européenne ou la sortie de la zone euro. Mais sur le plan des discours électoraux, lesquels font rarement dans la subtilité argumentative, il ne peut y avoir, face aux défis auxquels sont ou vont être confrontés les Européens (immigration, guerre commerciale), que des positions tranchées : ou bien on plaide pour l’instauration d’un souverainisme européen, ou bien pour la restauration de la souveraineté nationale. Les leaders politiques seront ceux qui parviendront à prendre la tête de chacun de ces deux camps.

Comment une opposition peut-elle exister dans une telle forme de polarisation de la vie politique ? En quoi l'injonction de choisir son camp, entre "progressistes" et "souverainistes" peut-elle effectivement museler toute tentative de proposer une alternative à ce débat entre contraires ? 

Maxime Tandonnet : On voit bien ce qui se passe en ce moment partout en Europe, avec le Brexit, la Pologne, la Hongrie, l'Italie, l'Allemagne, une montée de la fracture entre la bourgeoisie libérale et internationalisée et des milieux populaires dans l'ensemble réservés envers la mondialisation, la construction européenne et l'immigration. En somme, le président Macron choisit le camp de la première et se pose comme son leader. Il me semble que tout ceci fait partie de la grande dérive de la vie politique dans le spectacle. Elle a son héros et tout logiquement, son combat du bien contre le mal qui poursuit la logique du second tour de l'élection présidentielle de 2017. L'opposition républicaine a au contraire un rôle majeur à jouer dans ce contexte. Le rôle de cette opposition républicaine est de refuser cette logique en proposant une alternative globale, fondée sur le retour de la politique au sens noble du terme: non pas un spectacle mais une volonté de débat et d'action collective en faveur de l'intérêt général.  L'opposition républicaine, justement, doit absolument refuser d'entrer dans cette logique manichéenne et prôner l'unité et le respect. Son rôle est de pouver qu'il existe une troisième voie entre progressisme et nationalisme, qui est tout simplement, la démocratie. En dernier ressort, la souvernaineté doit appartenir au peuple et la loi de la majorité doit s'appliquer.

Eric Deschavanne : Cette polarisation conduit en effet à étouffer le débat sur l’Europe aussi bien à droite qu’à gauche. La gauche anti-libérale, de Mélenchon à Hamon, développe une critique radicale, mais européiste, de l’UE. Elle se veut donc progressiste, et voit dans Macron un partisan du statu quo. Si le débat démocratique s’ordonne autour de la confrontation européistes/souverainistes, ce discours « progressiste » anti-libéral sera marginalisé. A droite, la marge de manœuvre est encore plus étroite. La présence de la France dans la zone euro rend le positionnement strictement souverainiste quasi-suicidaire. Comme en Italie, le « nationalisme » devrait se traduire par un discours véhément contre l’immigration. On voit toutefois que Macron se garde prudemment de prêter à l’accusation de laxisme sur le sujet, enrageant en conséquence toute la gauche. Il sera donc difficile à la droite classique de définir un positionnement « équilibré » et crédible entre le « progressisme » macronien et le « nationalisme » du RN

En quoi les institutions de la Ve République peuvent-elles représenter une menace supplémentaire à une telle polarisation du débat ? En quoi le cumul de la force des institutions de la VE République à un débat fortement polarisé peut-il être perçu comme un risque supplémentaire ? Comment mesurer les propos d'Emmanuel Macron au regard de cette situation ? 

Maxime Tandonnet : A mon sens, il est désormais totalement erroné de parler de la Ve République, du régime instauré par le général de Gaulle en 1958. Il reposait sur un Chef de l'Etat souverain, élu pour 7 ans, chef de la Nation, au dessus des partis et des factions, tenant sa légitimité de la confiance du peuple dans son ensemble. Le gouvernement, la politique quotidienne était la mission du Premier ministre et des Ministres sous le contrôle du Parlement. Le régime a été radicalement transformé par le quinquennat, qui aligne le mandat des députés sur celui du président et place l'Assemblée nationale sous la tutelle de l'Elysée. La mutation se prolonge avec la banalisation du Congrès de Versailles qui achève de transformer le chef de l'Etat en un super-Premier ministre présentant son programme de politique générale devant le Parlement. Le problème, c'est que ce chef de Gouvernement, en charge effectivement de la politique de la Nation, est lui irresponsable pendant 5 ans, échappant à toute sanction politique. Il manque en outre cruellement un président visionnaire, et symbole de sagesse et d'unité. Les nouvelles institutions de la France, transgression de la Ve République, sont un véritable désastre. Elles se fondent sur l'émergence du culte d'une image personnelle et l'affaiblissement concommittent de toutes les sources d'autorité, de gouvernerment du pays et courroie de transmission entre les dirigeants et le peuple, Gouvernement, Ministres, parlementaires, élus locaux, administrations. La politique s'éloigne toujours un peu plus de l'action concrète pour devenir un grand jeu de manipulation des émotions collectives, d'où l'idolâtrie et le manichéisme, dans la perspective suprême de la réélection en 2022. D'ailleurs, dans le thème de la lutte du bien progressiste contre le mal nationaliste, c'est déjà la présidentielle qui se prépare... La priorité absolue de l'opposition républicaine devrait être, à l'inverse, de restaurer les fondements d'une démocratie française tournée vers la quête la concorde républicaine et de l'intérêt général.  

Eric Deschavanne : Les institutions de la Ve République garantissent la prudence (contrainte) du peuple français. Les Français auront le loisir d’observer 30 changements de gouvernements et d’orientations politiques en Italie avant qu’une alternance véritable ne se produise en France… de sorte que celle-ci ne se produira peut-être jamais. Si le populisme souverainiste réussit à l’Italie, le Brexit aux Britanniques et le protectionnisme aux Américains, les Français se laisseront peut-être tenter par une expérience souverainiste. Dans le cas contraire, le RN demeurera un parti protestataire voué à rester éternellement dans l’opposition.

Les Français perçoivent nécessairement le fait que le « dégagisme » macronien, pas davantage que l’alternance droite/gauche, n’offre une alternative aux contraintes économiques et juridiques imposées par l’engagement de la France au sein de l’UE et de la zone euro. Il est inévitable que le ressentiment à l’égard de l’impuissance publique se traduise par l’émergence d’un discours populiste anti-européen. Aucun parti de gouvernement ne prendra toutefois le risque de d’un programme de rupture, et la tradition politique française rend impossible une alliance des populismes de droite et de gauche. De sorte que la France est condamnée – pour le meilleur ou pour le pire (selon les points du vue) – au conservatisme sur la question européenne.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !