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Délit de solidarité : comment la décision du Conseil constitutionnel participe à créer un flou juridique au nom des bon sentiments alors que très peu de gens étaient poursuivis sur ce motif
©DENIS CHARLET / AFP

Droitdelhommisme

e Conseil constitutionnel a censuré partiellement le "délit de solidarité" au nom du "principe de fraternité" dans une décision du vendredi 6 juillet.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Le Conseil constitutionnel a censuré partiellement le "délit de solidarité" au nom du "principe de fraternité" dans une décision du vendredi 6 juillet. Mais en prenant cette décision, le Conseil des sages ne contribue-t-il pas à créer un nouveau flou juridique ?  Est-ce que cela veut dire que l'on peut désormais organiser des filières clandestines pour autant cela se fasse sans contrepartie ?

Gérald Pandelon : Notre législateur est dans cette affaire piégé. Si nous faisons montre d'un excès de sévérité en sanctionnant trop durement le délit de solidarité, nous nous exposons inconditionnellement aux foudres de ceux qui estiment nos pouvoirs publics trop répressifs et par conséquent dénués de réelle humanité.

En revanche, un excès de laxisme au nom d'une fraternité sans limites, cosmopolite et quasi-cosmique, frappe d'une inefficacité et d'une illégitimité immédiates toute décision responsable et réaliste. En effet, sans un encadrement juridique fort de cette solidarité systématique, cette louable intention risque de devenir l'alliée objective de menées moins honorables que constituent non seulement les divers trafics mais également le développement du terrorisme, sous couvert  moral d'humanisme. Il faudra un jour dresser le procès de ceux qui, de la Terreur aux thuriféraires modernes des droits de l'homme infinis, ont fait couler le sang au nom de leur définition très personnelle et à usage interne de leur humanisme... Quand osera-t-on enfin reconnaître que dans notre beau pays les gens les plus haineux et dangereux sont feux qui paradoxalement se fondent sur cet humanisme-là ?

Quel est le risque d'une telle démarche d'interprétation "souple" de la loi ? A l'inverse, quel aurait été le risque d'appliquer à la lettre le proverbe "dura lex sed lex" (dure est la loi mais c'est la loi) ?

Nous sommes bien au-delà de ce que nous pourrions considérer comme un simple risque. En effet, au nom de valeurs que notre histoire politique a contribué à façonner, nous ne pouvons plus légiférer sans sombrer désormais dans le paradoxe ou l'antinomie structurelle. C'est d'une certaine manière notre orgueil, celui de se considérer peu ou prou depuis la Révolution Française comme le centre du monde, celui du progrès infini de l'esprit humain, qui se retourne contre nous car il nous bloqué ou neutralise dans notre capacité à  décider sans être moralement condamné. Car notre pensée est devenue  corsetée au nom d'un paradoxal progrès, elle est devenue d'une particulière intolérance au nom de la tolérance, particulièrement totalitaire au nom de la démocratie, totalisante et réfractaire à l'altérité au nom d'une haine de l'Autre. Et, dans cette veine, il ne nous sera donc plus possible à terme de légiférer sous le spectre sévère de cette transparence absolue. Quand on pense que tout cela se déploie au nom de la liberté... 

Au final, quelle pourrait être la solution pour sortir de situations qui, juridiquement, semblent parfois inextricables où valeurs et principes peuvent s'opposer ?  

Il nous faut payer le prix du courage pour ne pas sombrer dans des contradictions insurmontables et définitives. Une solution pourrait consister à abandonner notre sempiternel patriotisme constitutionnel au sens où l'entendait Jurgen Habermas en ne plus abandonnant systématiquement tout processus décisionnel à des instances dénuées de réelle légitimité. Car, au fond, que valent les neuf Sages du Palais de Montpensier face au pouvoir constituant originaire que constitue le peuple ? Pourquoi ne pas soumettre nos grandes questions de société au peuple souverain ? Mais pourquoi méprise-t-on autant le peuple français au nom paradoxal du progrès et de la "tolérance" ? 

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