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Comment l'intelligence artificielle est en train de révolutionner la médecine mondiale et pourquoi les Européens feraient bien de s'en préoccuper
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Médecine 2.0

Alors qu'en Chine, une intelligence artificielle s'est distinguée en élaborant un diagnostic médical d'une précision inégalée, la supériorité de ces nouvelles technologies pose la question de la nécessaire mutation de nos professions médicales.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Récemment un coup de tonnerre foudroya l'univers médical : une IA a battu la fine fleur de la médecine chinoise dans l'élaboration d’un diagnostic. Au regard de la performance de l'intelligence artificielle médicale, assistera-t-on à une complète substitution de l'homme par la machine ?

Laurent Alexandre : Il faut regarder cette incroyable vidéo. Les Chinois ont organisé un grand Barnum opposant les radiologues et l'intelligence artificielle. Un combat digne de la Rome Antique, avec ses gladiateurs et ses martyrs. L'IA à humilié en public les docteurs..... Une salle ultra-moderne avec des écrans géants. Les meilleurs spécialistes de la radiologie du cerveau s’opposent devant le public à l’Intelligence Artificielle. Les médecins sont confiants ! Aussi confiants que les champions de Go l’étaient avant d’être écrasés par Google-Deepmind… 
Nous revivons donc l’histoire du jeu de Go. Le New-York Times expliquait en 1997 que la machine ne saurait jouer au Go avant un siècle ou deux. En octobre 2015, Alpha Go, une IA développée par DeepMind, filiale à 100% de Google, a ridiculisé le champion européen de go, Fan Hui, par cinq victoires à zéro. C’était la première fois qu’une machine battait un joueur de Go professionnel, exploit que les experts de 2015 n’attendaient pas avant dix ou vingt ans. En mars 2016, la victoire d’Alpha Go sur le sud-coréen Lee Sedol, un des trois meilleurs joueurs au jeu de go, marque une nouvelle étape dans l’histoire de l’IA. Lee Sedol a admis être sans voix devant la puissance de l’IA de Google. En mai 2017, Alphago a écrasé par 3 à 0 Ke Jie, le champion du monde. Plus troublant encore, Alphago joue en se reposant sur une machine qui ne comporte que 4 puces électroniques et n’a pas appris à jouer en analysant des parties humaines mais en jouant contre elle-même. La médecine vit en ce moment la même histoire !
Le Professeur Guy Vallancien explique fort bien la violence de cette mutation : « la FDA américaine a labellisé une IA pour faire le diagnostic de rétinopathies diabétiques sans validation par la signature d’un médecin. Mes confrères vont-ils comprendre qu’il est urgent de repenser l’intégralité de nos métiers au lieu de nous pavaner dans des lieux communs désuets ? Pour poser un diagnostic, le médecin procède lui-même par algorithmes sans s’en rendre compte. L’IA par sa capacité à manier des données innombrables en un temps record le dépassera dans la quasi-totalité des cas et la relation humaine n’est en rien spécifique au toubib ». Guy Vallancien est inquiet pour l’avenir : « Il faut surtout être lucide et accepter d’évoluer sous peine de disparaitre et vite. L’IA et la robotique se foutent de nos jérémiades pseudo humanistes. Il faudrait en urgence développer des outils numériques européens: on n’en prend pas le chemin. C’est dramatique »
De semaines en semaines, les territoires où l’IA ridiculise les meilleurs médecins se multiplient. Cela ne signifie pas du tout que le médecin n’a pas de place dans la médecine du futur. Mais l’Europe risque d’être marginalisée.

Quels seront les principaux acteurs de cette révolution technologique s'inscrivant dans le bouleversement de nos sociétés contemporaines ? L'état doit il prôner un interventionnisme prégnant ? Ou selon vous ce secteur doit être pris en charge par la sphère privée pour dynamiser son essor ?

L.A. : Les géants du numérique seront les maîtres de la médecine de 2050. Microsoft a présenté un plan pour vaincre le cancer avant 2026. Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, a annoncé, le 21 septembre 2016, un premier financement de 3 milliards de dollars pour éradiquer la totalité des maladies avant 2100, grâce à des outils révolutionnaires autour de l’IA. Amazon a lancé sa division « 1492 », qui marque son entrée dans la médecine et promet de secouer les docteurs enfermés dans un entre-soi confortable. Et Baidu –le B de BATX, les géants chinois du numérique- fait de grands progrès en IA médicale. Et Amazon a lancé le projet 1492 qui marque son entrée dans la médecine et promet de secouer les docteurs. Les GAFA court-circuitent le monde feutré de l’entre-soi académique et posent la première pierre d’une industrialisation de la recherche médicale. Nous passons d’un artisanat organisé par une myriade de professionnels, qui gèrent de tout petits volumes de données et de patients, à une industrie mondiale aux mains des GAFA. Nos Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) sont en danger de mort. Si la médecine est, demain, inventée par les géants du numérique au travers de cohortes de millions de patients, nos hopitaux connaitront, après une longue agonie, le sort de Kodak. Agnès Buzyn a raison d’affirmer que l’IA ne va pas supprimer les docteurs mais les GAFA et leurs IA vont ridiculiser notre mandarinat si nous restons dans le déni. 

L'avènement de ces nouvelles technologies se révélera être onéreux sur le moyen terme, le temps de sa démocratisation. Ce fait ne risque-t-il pas de creuser davantage les inégalités liées à l'accès au soin ?

L.A. : Ces techniques ne seront pas coûteuses. Nous sommes face à un problème de souveraineté, et non face à un problème économique d’accès aux soins.
En médecine comme ailleurs, la prophétie de Sergey Brin cofondateur de Google se réalise mois après mois : « Nous ferons des machines qui raisonnent, pensent et font les choses mieux que nous –humains- le pouvons ». Le pouvoir médical sera aux mains des concepteurs des IA médicales. Et l’éthique médicale ne sera plus produite par le cerveau du médecin mais par l’IA. Chaque IA médicale coûtera des milliards de dollars : les leaders de l’économie numérique seront les maîtres de cette nouvelle médecine made in California puis made in China.
A part Guy Vallancien, Olivier Veran, Clément Goehrs et Jacques Lucas, bien peu de médecins comprennent que la bataille mondiale de l’IA médicale a débuté sans nous. Le mandarinat et le ministère de la santé ne réfléchissent guère à l’évolution des compétences

Et la Chine...

L.A. : Les Chinois sont les plus permissifs et transgressifs sur le plan technologique  ! Une enquête de BETC, publiée en janvier 2018, montre le gouffre entre l’acceptation inconditionnelle de l’IA par les Chinois et les peurs françaises. Près des deux tiers des Chinois contre un tiers des Français pensent que l’IA va créer des emplois. Une importante partie de la population chinoise souhaite remplacer son médecin par des IA, tandis que les Français y sont farouchement opposés puisque par exemple moins d’un Français sur 10 souhaite être soigné par une IA.  Les chinois disposent d’une gigantesque population avide d’IA. Une majorité de chinois contre 6 % des baby-boomers Français pensent que nous aurons des relations amicales voire sentimentales avec les robots et 90 % des Chinois contre un tiers des Français pensent que l’IA sera bonne pour la société. Plus des deux tiers des Chinois pensent que l’IA va nous libérer et nous permettre de jouir de la vie contre un tiers des Français. La Chine est devenue la première puissance transhumaniste, loin devant les Etats-Unis, et ne trouve aucun obstacle sur sa route. La médecine de demain ne sera pas forcèment made in California, elle pourrait être made in China… Le tournoi de juillet 2018 est sans doute un tournant dans l’histoire de la médecine.

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