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Tension au sein de la Gay Pride : les militants de la marche des fiertés se déchirent sur le pinkwashing et la priorité des "luttes"
©JACQUES DEMARTHON / AFP

La descente aux enfers des luttes

A l'occasion de la Gay Pride, un collectif "Stop au pinkwashing" a lancé un appel pour défiler en tête de cortège. Il s'oppose au cortège LGBT officiel. Voici quelques éléments de réponses sur ce type de mouvement.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : A l'occasion de la Gay Pride, un collectif "Stop au pinkwashing" a lancé un appel pour défiler en tête de cortège. Il s'oppose au cortège LGBT officiel qu'il  dénonce comme "homonationaliste et raciste, dont le discours officiel de la Marche des fiertés se fait le relai". Le collectif dénonce la domination des" hommes gays blancs, bourgeois et issus des classes aisées" , complices du gouvernement, des violences policières faites aux immigrés", etc. Comment qualifier ce type de mouvement? Sur quels relais s'appuie-t-il?

Eric Verhaeghe : La notion de "pinkwashing", c'est-à-dire d'instrumentalisation de la cause gay pour améliorer sa réputation, est apparue dans les années 2010 dans le monde anglo-saxon, essentiellement dans les milieux "progressistes" gay. Beaucoup se sont focalisés sur la question palestinienne et sur le reproche adressé aux Israéliens d'utiliser la lutte contre l'homophobie pour discréditer les régimes arabes. De fait, l'homosexualité est volontiers persécutée en terre d'Islam. Pour Israël, la question gay  est pain béni, si on ose dire. Elle permet de souligner tous les avantages de la démocratie en version israélienne, et tous les défauts des régimes arabes, à commencer par le régime palestinien lui-même. Pour Israël, c'est une bonne façon de rappeler qu'il vaut mieux être un Arabe opprimé dans un Israël démocratique, qu'un Arabe citoyen indépendant dans une dictature négatrice des minorités. Certains se sont donc attachés à dénoncer l'instrumentalisation de la cause gay par Israël, et ont rappelé ou souligné que la cause gay passe par une dénonciation de toutes les formes d'oppression, à commencer par l'oppression raciale ou religieuse. La dénonciation du pinkwashing dans la Gay Prise parisienne procède de la même logique: il ne s'agirait pas, selon les associations qui appellent à ce mouvement, de faire oublier que nous persécutons le monde entier, sous prétexte que la condition réservée aux homosexuels serait satisfaisante. Ce genre de mouvement est aiguisé par la question des migrants, où les critiques contre le "racisme" de la France sont nombreuses.
Ce collectif « politique, radical, féministe, queer, antiraciste et anticapitaliste" ouvrira la Marche. et demande que "les personnes blanches  respectent cette non-mixité en se plaçant derrière elles/eux". 

Cette demande est-elle légale ?  Le risque n'est-il pas finalement de s'exclure soi-même ?

Votre question est double. 
Il y a d'abord le sujet de la légalité. Bien entendu, l'appel à racialisation est illégal, dans la mesure où il constitue une discrimination raciale. Toutefois, les pouvoirs publics se montrent mous du genou sur le sujet, car il est difficile de qualifier un appel à ne pas se mélanger à la majorité comme un appel à la haine raciale. C'est l'ambiguïté de notre législation qui peine à sanctionner les écarts des militants minoritaires et ne sanctionne franchement que les majoritaires. Un défilé se déclarerait réservé aux blancs, il serait immédiatement interdit, et les organisateurs seraient dissous sans coup férir. C'est la faiblesse de notre démocratie que de ne pas réagir, à l'inverse, face à ce genre d'appels. La timidité des pouvoirs publics sur le sujet s'explique en partie par le "pinkwashing" du gouvernement, et justifierait en réalité les revendications de ces groupes. En effet, si le gouvernement réagissait trop fortement sur la question, il prouverait qu'il se montre protecteur vis-à-vis des mouvements homosexuels, mais peu tolérants vis-à-vis des revendications sur les étrangers ou sur les discriminations raciales. Il commettrait donc bien une forme de pinkwashing. 
Il n'en reste pas moins, aujourd'hui, que notre démocratie universaliste est démunie face à ce genre d'appel qui suinte la haine contre elle. Car ce que le collectif demande, ce n'est pas seulement la reconnaissance des droits des minorités, c'est l'exclusion et l'assujettissement de la majorité. On n'est plus seulement dans la revendication politique au sein d'une démocratie. On est dans la revendication d'un modèle de société communautariste. Le collectif qui appelle à manifester en tête de cortège appelle aussi à ne plus vivre ensemble. Il faudrait que la majorité blanche hétérosexuelle (et on ajoutera tôt ou tard chrétienne) soit reléguée dans des zones qui lui seraient réservées et où elle serait supposée expier les innombrables fautes qu'elle a commises contre le reste du monde: l'esclavage, la colonisation, le capitalisme, etc. En ce sens, ce mouvement questionne bien la conscience identitaire que nous avons de nous-mêmes: sommes-nous coupables de notre histoire ou pas?

Quel est le but de ce type de revendications? Cette stratégie vise-t-elle à décrédibiliser la Gay Pride?

Je pense que ce genre de revendications exprime la haine profonde de l'homme blanc qui guide la partie active, voire activiste, de la Gay Pride. Elle en constitue le débouché naturel, en quelque sorte, ou l'étape d'après. N'oublions pas que la Gay Pride obéit d'abord à l'idée qu'il faut changer les pratiques en majoritaire en imposant le droit pour les homosexuels de suivre officiellement leur orientation sexuelle. L'adoption du mariage gay a en quelque sorte signé la mort de la Gay Pride, puisque le mariage pour tous a consacré ce droit à l'orientation sexuelle et il a banalisé l'homosexualité dans nos sociétés, non plus en tant que pratique sexuelle (tolérée, voire acceptée au grand jour de très longue date depuis la France Gauloise), mais en tant que groupe social. On aurait donc pu imaginer que la Gay Pride disparaisse. Pourquoi la maintenir au fond? Y a-t-il une Straight Pride, ou les hétérosexuels défileraient? 
On voit bien que, pour maintenir vivante la tradition de la Gay Pride, il faut ouvrir de nouveaux chantiers, et sur ce terrain les sujets sont inépuisables. Car la revendication homosexuelle s'est appuyée sur une veine féconde: la haine du blanc chrétien hétérosexuel. Cela ne signifie pas que tous les mouvements qui ont revendiqué la reconnaissance des droits pour les homosexuels s'en sont inspiré. Cela signifie seulement que l'idée de casser la société blanche universaliste et non communautaire a inspiré le principe de la reconnaissance légale des minorités au sein de nos sociétés. Après l'adoption du mariage gay, vient donc le temps des autres combats: la reconnaissance de droits spécifiques pour les musulmans et pour les noirs, la mise au pilori des "bourgeois" et du capitalisme (fraudeur, c'est bien connu), la stigmatisation des hommes (tous des porcs dragueurs, violeurs et violents), etc. Ces combats seront sans fin tant que subsistera une Europe occidentale capable d'agir indépendamment des puissances qui entendent bien exercer une tutelle sur elles. En ce sens, ce mouvement ne vise pas à décrédibiliser la Gay Pride, mais à la continuer sous ses formes de plus en plus innovantes… L'œuvre communautariste ne fait que commencer. 

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