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Euro crash : Mario Draghi ne pourra pas tout faire pour sauver l’Europe cette fois-ci (ou les dangers de n’avoir misé que sur l’économie pour construire l’Union)
©Ilmars ZNOTINS / afp

Avenir en pointillés

Sans Mario Draghi, cela fait plusieurs années que l’euro aurait éclaté. Mais son mandat touche à sa fin... et des questions cruciales restent en suspens.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors que depuis 10 années, c'est à dire depuis la crise de 2008, les problèmes de l'Europe ont été suivis principalement sous l'angle économique, une situation qui a permis une sortie progressive de crise grâce à l'action de Mario Draghi à la tête de la BCE, ne peut-on pas voir le Conseil européen se déroulant ces 28 et 29 juin comme étant le révélateur d'une crise politique plus profonde qui dure depuis 10 ans ? Les mots de Mario Draghi "Whatever it takes", prononcés en 2012, ont-ils en réalité finalement masqué l''immobilisme et les difficultés politiques des dirigeants européens ?

Edouard Husson : Il est intéressant qu’à quelques années d’intervalle ce soit deux fois les Italiens qui cherchent à tempérer les conséquences de décisions allemandes dogmatiques. Sans Mario Draghi, cela fait plusieurs années que l’euro aurait éclaté. Et sans Matteo Salvini, jamais la question du bon fonctionnement de l’espace Schengen n’aurait été posée aussi rapidement. Les dirigeants italiens ne font jamais que mitiger la situation. Ils n’y apportent pas de solution globale. Draghi a fait en sorte que la zone euro ne soit pas complètement asphyxiée; le résultat est imparfait car ce sont largement les banques qui ont profité de l’assouplissement quantitatif, pas les sociétés les plus touchées: l’Italie du Sud, la Grèce, l’Espagne du Sud, la France périphérique. De même, Salvini, en refusant de continuer à jouer le jeu cynique, des passeurs, oblige l’UE à un débat. Maintenant vient, comme vous le pressentez, l’heure de vérité se rapproche. Le mandat de Mario Draghi à la tête de la Banque Centrale Européenne se termine à l’automne 2019. Qui pour lui succéder? Si l’Allemagne s’obstine à imposer Jens Weidmann, ce sera la fin de l’euro. La France aura-t-elle le courage de pousser un autre candidat - pourquoi pas Christine Lagarde? Quant à la crise des Accords de Schengen, la menace que fait peser l’immobilisme est immédiate. Angela Merkel peut perdre sa majorité si elle sort du Conseil européen avec un accord pas assez restrictif. Je ne comprends pas pourquoi Emmanuel Macron n’appuie pas, lui aussi, une solution restrictive, de manière à conforter Angela Merkel, dont il a besoin par ailleurs. 

En quoi les problèmes actuels, de la question de l'immigration à la guerre commerciale, nécessitent-ils une prise en considération politique qu'aucune institution ne pourra traiter ? En quoi ces sujets mettent-ils finalement les dirigeants européens au pied d'un mur qui existe pourtant depuis de longues années ? 

Le grand rêve de Jean Monnet était d’abolir la politique. Il voulait substituer, comme il le disait, l’administration des choses au gouvernement des hommes. C’était fondé sur une lecture erronée des causes des deux guerres mondiales. Il les pensait causées par le choc des politiques nationales alors que la Première Guerre mondiale est largement due au choc des politiques impériales russe, austro-hongroise et allemande; et que la Deuxième Guerre mondiale est le résultat d’une conjugaison entre la politique rooseveltienne de rapatriement systématique des capitaux américains aux USA et la volonté fasciste, en particulier hitlérienne , de déclencher une nouvelle expérience de guerre totale.  Les successeurs de Monnet l’une des plus remarquables bureaucraties du monde, qui ressemble à toutes les bureaucraties en ce qu’elle est incapable de sécréter une analyse, et a fortiori une décision politiques. Les gouvernements ont abdiqué devant la logique de la technocratie: l’Allemagne parce qu’elle croit que l’on gouverne par la simple force de la règle; la France parce que les haut-fonctionnaires y ont largement confisqué le gouvernement. On sent bien, dans un certain nombre de pays, un réveil de l’envie politique de changer le cours des choses: populismes de gauche il y a quelques années; populismes de droite ou conservatisme aujourd’hui. Mais il n’y a pas encore de chef de file du camp conservateur en Europe. L’Union est donc menacée de paralysie, sinon d’éclatement. 

Comment anticiper la suite de l'aventure européenne dans un tel climat, un tel contexte ? Quels sont les éléments nécessaires à une réelle "refondation" du projet européen ? 

Angela Merkel est à bout de souffle politiquement parlant. Il n’est pas impossible qu’elle perde sa majorité dans les prochains mois; c’est le premier choc endogène que pourrait connaître l’Europe. A l’échéance d’un an, et même un peu moins, on peut parier raisonnablement sur une victoire des populistes et des conservateurs aux élections européennes; il pourrait en résulter un choc frontal entre la Commission et un Parlement Européen qui lui serait hostile. Il y aura aussi des chocs externes. L’exigence trumpienne de revenir à un commerce international plus équilibré, la poussée migratoire des régions en guerre au sud et à l’est de la Méditerranée sont deux exemples évidents. La grande question c’est de savoir dans quelle mesure une coalition suffisante de pays se formera pour refonder, sinon l’Union, en tout cas la politique européenne. Emmanuel Macron est sans doute celui qui serait susceptible de le faire mais, selon un vieux défaut des politiques communautaires françaises, il n’a pas tissé un réseau d’alliés.

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