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Les épines du rosier 13) La gauche, les pseudo-réformes de l'Etat et le déclin des services publics
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Pamphlet

Dans un pamphlet qu'Atlantico publie en feuilleton et alors que François Hollande fait figure de favori des sondages, Roland Hureaux a souhaité faire le point sur les grandes lignes des politiques passées et à venir des socialistes. 13ème épisode : La gauche, les pseudo-réformes de l'Etat et le déclin des services publics.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Le premier pilier de l’État, c’est la constitution. Le principal mérite d’une constitution est l’ancienneté, la patine qui en fait un texte sacré que personne ne doit être tenté de plier à sa guise. Aucune constitution n’est parfaite mais une constitution ancienne a plus de chances d’être respectée qu’une nouvelle. Longtemps le vice de la France avait été son instabilité constitutionnelle : quinze régimes, seize constitutions en un siècle et demi ! En instaurant la Ve République, le général de Gaulle pensait mettre fin à cette instabilité. Il y réussit d’autant mieux que le régime, après avoir franchi le cap de la mort de son fondateur, réussit le virage du passage à gauche en 1981. Mitterrand qui avait pourtant dénoncé avec véhémence « Le coup d’État  permanent » que représentaient ces institutions eut la sagesse de ne pas les remettre en cause.

On peut seulement se demander si, toutefois, bien que fidèle à la lettre des institutions, la cohabitation de 1986-1988 ne fut pas une grave entorse à leur esprit. C’est ce que pensèrent Marie-France Garaud et Raymond Barre. Michel Debré, rédacteur de la constitution, ne le pensa pas.

La vraie rupture fut l’instauration du quinquennat en 1999, à l’initiative conjointe de Chirac et de Jospin. Si la gauche n’avait pas été au pouvoir, il n’est pas sûr que le président de la République aurait trouvé pour ce faire une majorité. Comme il arrive presque toujours quand l'idéologie s’en mêle, les effets furent à l’inverse du but recherché. La principale victime de ce changement fut le Parlement, singulièrement l’Assemblée nationale qui, désormais élue dans la foulée de la présidentielle, y a perdu ce qu'elle avait encore d’autonomie. La fonction présidentielle s’est apparemment renforcée au détriment du premier ministre comme l’a montré l’attelage Sarkozy-Fillon, mais le président, devenant un peu son propre premier ministre, a perdu une partie de la hauteur de vue qui devait être la sienne dans le dessein primitif.

On ne saurait cependant reprocher à la seule gauche l’altération des institutions, tant il est vrai que l’ampleur de la réforme Sarkozy du 21 juillet 2008, dont on cherche en vain la cohérence puisque elle affaiblit le pouvoir du gouvernement, constitue une quasi-mutation. Il reste que c’est aujourd’hui la gauche, toute à son irresponsabilité en matière d’institutions qui parle de passer à la VIe République. Mélenchon et Montebourg l’ont dit très fort (sans jamais en préciser le contenu) ; les autres socialistes y pensent. Faire replonger la France dans le cycle d’instabilité d’où elle était sortie en 1958, sans savoir exactement quelles institutions on veut, ni en quoi elles résoudraient les problèmes qui se posent aujourd’hui, est gravement irresponsable.

Si on peut mettre au crédit de Mitterrand d’avoir ménagé le cadre institutionnel, on ne saurait en dire autant de Rocard et de ses émules qui sont les initiateurs de réformes de l’appareil d’État  d’autant plus destructrices que, au-delà l’équilibre des pouvoirs, elles touchent la machine exécutive dans ses profondeurs.

Quand un élève de l’ENA sort à l’inspection des finances, on imagine qu’il sera d’abord attiré par le pouvoir et par l’argent et c’est ce qui arrive ordinairement. Mais se présenter en même temps comme un homme de gauche ne nuira nullement à sa carte de visite, au contraire.

En se ralliant à la gauche, hier au Club Jean Moulin ou au PSU, aujourd’hui aux « Gracques », les brillants technocrates qui ont cette chance semblaient y apporter une rigueur gestionnaire qui, à une certaine époque, lui faisait défaut. Se réclamer de Pierre Mendès-France, de Michel Rocard ou de Jacques Delors était alors bien porté.

Pour peu qu’ils conservent un peu de leur éducation catholique et les voilà promis à une carrière brillante : de gauche, mais bien-pensants dira la droite, catholiques mais des nôtres, dira la gauche.

Cette posture fut longtemps, est même encore, une des plus profitables de la haute fonction publique : elle ouvre les portes des cabinets ministériels, des directions de ministère et, aujourd’hui des grandes banques.

Éloignée de la gauche sociologique, cette deuxième gauche prétendit y apporter des idées modernes qui, encore imprégnées, au début, d’un parfum social, se résumèrent bientôt au libéralisme pur et dur.

Ces milieux furent le principal pivot qui fit passer la gauche du temps héroïque de la "sociale" à l’ultralibéralisme des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix.

Beaucoup pensent, notamment à droite, que cette gauche moderne est en définitive moins dangereuse que la vielle gauche laïque et étatiste. En recrutant des gens comme Jouyet ou Hirsch dans son premier gouvernement, Sarkozy montra qu’il partageait ce préjugé.

Nous pensons qu’elle le fut en définitive davantage. C’est elle que l’on trouve aux origines de l’euro et de la politique du franc fort (ces gens-là se piquant de vertu, voulurent imposer à tout prix la vertu monétaire aux Français), avec les conséquences que nous avons déjà vues, notamment en termes de chômage.

Alors que la vieille gauche, communiste compris, respectait l’État, fondement multiséculaire de tout pouvoir, cette nouvelle gauche le prit pour cible. Dire que le vieil État  jacobin français était dépassé, qu’il fallait promouvoir la décentralisation, les régions, les métropoles, l’Europe, que l’État  se devait désormais d’être "modeste", vertu chrétienne s’il en est, passa dans l’air du temps. On dit aussi, modernité oblige, qu’il fallait introduire les méthodes dites « managériales » dans la gestion publique, c’est-à-dire la transposition mécanique des méthodes du secteur privé.

Les premières tentatives sérieuses de réformes de l’État  datent du gouvernement Rocard : elles mirent là la mode la déconcentration (qui se traduisit par une augmentation générale des effectifs !) et l’évaluation mais encore à dose modeste. La droite suivit la voie créant en 1995 un pompeux commissariat à la réforme de l’État  dont il ne sortit pas grand-chose.

Le pas décisif du bouleversement de l’État  fut la loi organique sur les lois des finances (appelée LOLF par les initiés) du 1er août 2001. Promue par des parlementaires de droite et de gauche, elle fut votée à l’unanimité avec l’appui du gouvernement Jospin par les deux assemblées et devait devenir désormais la charte de la réforme de l’État. Mais compte tenu de sa complexité, elle ne devait être mise en œuvre qu’après 2005, soit après le retour au pouvoir de la droite. Et du fait de la lenteur du démarrage, elle ne trouva son plein régime qu’après 2007, soit avec le quinquennat de Sarkozy, au point que tout le monde l’assimile à tort à une réforme Sarkozy.

Cette loi comporte l’évaluation, selon des indicateurs chiffrés, de l’activité de tous les fonctionnaires. Les enseignants qui, en mars 2012 manifestèrent contre l’évaluation systématique et permanente de leur travail au moyen de batteries de tests, considéraient que c’était là le produit du libéralisme sarkoziste ; ils ne se doutaient pas qu’il s’agissait en fait de l’application d’une réforme votée au temps de la gauche.

Cette évaluation systématique, séduisante sur le papier, comporte les pires inconvénients. D’abord, elle part du préjugé, très répandu dans les hautes sphères où se prennent les décisions, que les fonctionnaires faisaient mal leur travail, ce qui n’était pas vrai dans la majorité des cas. Les instituteurs à l’ancienne, ceux de la IIIe et de la IVe République avaient-ils besoin d’indicateurs pour instruire avez zèle ? Y a-t-il plus ardent au travail qu’une jeune attachée de préfecture, fraiche émoulue des IRA ?

Dans l’esprit des promoteurs du système, ces indicateurs sont d’autant plus importants qu’ils doivent à terme conditionner la rémunération, comme les résultats d’une banque conditionnent les bonus. Ainsi, pour nos réformateurs généralement issus de la deuxième gauche d’inspiration chrétienne, l’attrait du lucre fut supposé être un stimulant plus efficace que le goût du travail bien fait ou l’esprit de corps.

Cet esprit de corps, sur lequel a longtemps reposé l’efficacité de l’État  français et qui suscitait une émulation telle que l’ingénieur des ponts voulait construire de beaux ponts, le gendarme être un bon gendarme, l’instituteur un bon instituteur, se trouve disqualifié comme un "corporatisme" dépassé, aux yeux de la droite libérale mais encore plus d’une certaine gauche faisant profession de modernisme.

Lié à la dévalorisation de l’esprit de corps, l’attrition de ces corps eux-mêmes que l’on se propose d’affaiblir ou de fusionner (ponts et chaussées et génie rural, impôts et trésor, police et gendarmerie) au mépris de traditions séculaires et sans aucun gain pour l’État, au contraire, puisqu’il est établi que la notion d’économies d’échelle n’a aucune pertinence en matière de fonction publique[1].

La généralisation de ces méthodes à la fin des années 2000 par une droite totalement suiviste a entraîné une profonde démoralisation des services de l’État  et de la plupart des établissements publics.

Est-ce la gauche qui s’est ralliée à la droite ou le contraire ? En tous les cas, si l’on considère que le libéralisme est une valeur de droite, il faut bien dire que la gauche n’a pas été la dernière à s’y engager.

Libéralisation rime avec dérégulation, privatisation, ouverture au marché, rentabilité.

La gauche classique, appuyée sur les puissants syndicats d’EDF, de la SNCF, des PTT s’était longtemps posée en défenseur du service public.

L’idée d’une remise en cause de cette notion est venue de la gauche prétendue moderne, rocardienne ou pas.

D’abord parce que le libéralisme devenant à la mode au plan international à partir de 1985, beaucoup de socialistes qui n’avaient pas d’autres motifs d’adhérer à la gauche que sa supposée modernité, penchèrent spontanément de ce côté, laissant aux archéo-gaullistes ou archéo-communistes le souci de maintenir l’esprit de service public.

La libéralisation des services publics procédait en même temps de la foi européenne qui animait le parti socialiste en général (hors les archéo-chevènementistes !) et la deuxième gauche PSU-rocardienne en particulier. L’instauration de la concurrence dans les services publics découlait du marché unique. Que le principal initiateur de ce marché ait été le socialiste Delors montre l’ambiguïté de cette deuxième gauche – tout comme la promotion de son meilleur disciple Pascal Lamy à la tête de l’OMC.

La loi Quilès de 1990, séparant la Poste de France Télécom, en vue de préparer la privatisation de celle-ci, opérée par le gouvernement Rocard, s’inscrit dans ce mouvement.

De pair avec la libéralisation de services publics, va le délaissement par ces mêmes services du monde rural, récusé pour son supposé pétainisme, déjà évoqué, et l’abandon de la politique d’aménagement du territoire que l’on voit aussi apparaître à l’orée des années quatre-vingt-dix. La réforme de la politique agricole commune, concomitante, a la même inspiration et les mêmes initiateurs.

Nommé ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, Charles Pasqua tenta une réaction de façade contre ces tendances, réaction qui apparait avec le recul comme un baroud d’honneur. Le moratoire sur le démantèlement des services en milieu rural qu’il annonça, comme son nom l’indique, ne devait être qu’une mise en sursis. Il fut oublié après lui.

Le gouvernement Jospin qui se voulait exemplaire en matière européenne souscrivit à la directive de 1997 prévoyant la fin du monopole d’EDF et la libéralisation du marché de l’électricité en Europe. Une libéralisation qui devait faire baisser les prix : on en  connaît le résultat ! Le même gouvernement devait privatiser davantage d’entreprises que ne l’avaient fait ensemble Balladur et Juppé. Parmi ces privatisations à l’accéléré, celle de  France-Télécom qui aboutit très vite à une quasi-faillite.

N’est-il pas extraordinaire, quand on connaît un tel contexte, de trouver encore de vieux syndicalistes, d’EDF, de La Poste  ou de France-Télécom qui, par une sorte de réflexe conditionné, votent encore à gauche ?

Parmi les grands services public, celui de la justice et de la sécurité. Ils n’ont pas connu de réforme en profondeur qui fasse date, si l’on considère que l’abrogation de la peine de mort en 1981, d’une haute portée symbolique, n’eut qu’un impact marginal sur l’institution judiciaire. La loi Guigou du 15 juin 2000, au motif de protéger la présomption d’innocence, aura surtout compliqué encore les procédures. La création d’une cour d’assises d’appel a certes évité certaines erreurs judicaires, mais un aménagement de la cassation en matière criminelle aurait sans doute été une solution plus simple. L’instauration du juge des libertés et de la détention constitue une sorte de dédoublement du juge d’instruction. Par une singulière ironie de l’histoire, c’est peu de temps après son instauration que s’est développée l’affaire d’Outreau, preuve qu’il ne suffit pas de compliquer les procédures pour protéger les innocents.

Même si la gauche n’a effectué aucune grande réforme de la police, elle alimente par son idéologie et ses réseaux un climat de suspicion à son égard qui ne lui facilite pas le travail. Le développement de la police de proximité par Lionel Jospin a été un échec : jamais la délinquance n’a cru autant que sous son gouvernement. Le mépris persistant du gouvernement de   gauche   à l’égard des forces de l’ordre a conduit la gendarmerie à sortir de sa réserve traditionnelle pour manifester en uniforme sur les Champs Élysées en décembre 2001 : une première !

Peu crédible sur la sécurité, la gauche socialiste l’est encore moins sur l’impartialité de l’État. Malgré sa propension à crier à la captation de l’État  dès qu’elle se trouve dans l’opposition, ceux qui peuvent prétendre aux grands emplois savent bien que, la gauche socialiste réserve la quasi-totalité des postes à ceux de son bord, ce que, quoi qu’on dise, la droite ne fait pas. En nommant plusieurs hommes de gauche à des postes importants – et non des moindres : le premier président de la Cour des Comptes, le directeur de France-Inter, le haut-commissaire aux solidarités, au risque de mécontenter son propre camp, Nicolas Sarkozy s’est inscrit dans une vieille tradition d’ouverture qui n’a jamais eu son pendant à gauche.


[1] On peut le démontrer facilement en considérant les expériences du Pôle emploi, de la fusion Impôts-Trésor, DDA-DDE, du rapprochement Police-gendarmerie etc. Toutes se traduisent par des coûts supplémentaires. 

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