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Tempête sur une piscine : mais comment expliquer le syndrome “Marie-Antoinette” qui aveugle les élites bien au-delà du Fort de Brégançon ?
©MIGUEL MEDINA / AFP

Une piscine qui fait des remous

Le couple Macron souhaite construire une piscine dans la résidence de Brégançon, lieu de villégiature présidentielle. Le symbole d'un véritable aveuglement ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Une semaine après la polémique relative à la formule du "pognon de dingue" utilisée par Emmanuel Macron concernant le coût des aides sociales, le Figaro et l'Express révélaient ce jeudi 21 juin la demande formulée par le couple présidentiel aux​ services de la présidence à propos de la construction d'une piscine à Brégançon, résidence estivale du chef de l'Etat. Alors que derrière l’anecdote d'une piscine, la question du symbole politique ne semble pas atteindre l'Elysée, malgré l'environnement social actuel, comment peut-on expliquer ce que l'on pourrait appeler le "syndrome Marie-Antoinette" d'un isolement sociologique ayant un effet aveuglant sur le sort des autres ? Comment expliquer cet aveuglement face aux risques politiques encourus ? 

Edouard Husson : Ça tombe mal pour le Président en effet. Un effet boomerang de la « fake video » diffusée à la veille d’un discours sur la refonte des aides sociales. La polémique est facile: d’un côté, les revenus minimaux coûteraient un « pognon de dingue » et reviendraient à arroser le sable; mais le président fait construire dans la résidence d’été des présidents une piscine dont on nous dit qu’elle est démontable, mais qui coûte 3 ans de RSA d’un couple avec enfant; six ans de RSA d’une personne célibataire. Evidemment, le raisonnement, posé ainsi, est idiot: d’abord, l’entretien des résidences présidentielles crée des emplois; ensuite, il peut y avoir des raisons de sécurité: ne vaut-il pas mieux que le président nage dans la zone de protection étroite que représente la résidence plutôt de que faire déployer un cordon de sécurité lui permettant de nager dans la mer mais qui, lui aussi, « coûtera au contribuable ». Cependant les communiquant de l’Elysée vont avoir du mal à faire passer de tels messages. La logique du « en même temps » est devenue soudain inefficace. Imaginez l’effet de cette annonce sur ces centaines de milliers de familles qui ne peuvent pas partir en vacances, faute de moyens. La prochaine fois que Gavroche croisera le président, il lui demandera: « Eh! Manu, tu plonges? Je peux venir avec toi? ».

​Quels sont les biais, aussi bien cognitifs, sociologiques, ou psychologiques pouvant expliquer cet aveuglement ? 

René Girard nous a appris que le plus vieux mécanisme politique, la chasse au bouc émissaire, est véritablement constitutif des communautés humaines. C’est un mécanisme religieux avant d’être politique. Pour sortir de la potentielle guerre de tous contre tous que suscite le désir mimétique d’acquisition, les hommes n’ont trouvé, originellement qu’une façon de faire, réconcilier tous contre un seul. Les sociétés archaïques ne comprennent pas ce qu’elles font mais elles reproduisent régulièrement ce sacrifice originel, en le ritualisant.  Girard, s’appuyant sur deux siècles d’observations anthropologiques explique très bien comme « le roi » est à l’origine une victime destinée au sacrifice qui a réussi à convaincre la communauté de ne pas le sacrifier. Quand elle a décidé de reproduite rituellement le meurtre qui ramène la paix civile, la communauté désigne une victime; elle peut décider de lui laisser quelques jours, au cours desquelles la future victime aura droit à tous les privilèges: mets somptueux, partenaires sexuels, vie de luxe. C’est une façon aussi de justifier le meurtre qu’est le sacrifice: la victime avait exagéré, s’était accaparé les ressources de la communauté. On raconte que dans la vieille tribu celte des Ambiani, le rejeton d’une famille de Saramobriva (Amiens) - appelé Macro selon certaines sources - ait eu suffisamment d’éloquence pour différer le jour fatal. Il réussit à convaincre les druides de surseoir au sacrifice. N’était-il pas le plus éloquent, le plus énergique....? Avec talent, il convainquit la communauté d’attendre cinq étés et cinq hivers avant qu’il accepte de se soumettre au sacrifice. Il se disait que ce serait bien suffisant pour asseoir son pouvoir. Evidemment, il commença par distribuer généreusement les biens qui lui avaient été accordés, assurant sa popularité et rendant plus difficile pour les druides, cinq ans plus tard, de réclamer sa vie, due à Bélénos ou Toutatis. Je suppose qu’Emmanuel Macron ne connaît pas l’histoire de cet ancêtre. Et il n’a peut-être pas cet instinct de survie des très grands fauves politiques, qui n’ont pas lu les anthropologues mais qui savent que le chef est toujours en danger de (re)devenir le bouc émissaire des frustrations de la communauté. 

Comment expliquer ce paradoxe d'élites modérées mondialisées, cherchant à incarner la démocratie libérale et le respect des droits humains, et leur soutien aveugle à une mondialisation qui creuse les écarts, qui semble avoir mis fin à l’ascenseur social ? Comment expliquer que la texte de Raymond Aron, sur la définition du libéralisme qui indiquait  "On ne doit pas fermer les yeux aux évidences : la plupart des individus ont une conscience malheureuse de la dureté de l’univers économique dans lequel ils vivent, des contraintes auxquelles ils doivent se soumettre pour répondre aux défis de la science, de leurs concurrents, du dedans et du dehors." ne soit plus d'actualité ?

Raymond Aron écrit dans une société encore largement imprégnée de christianisme. Contrairement à ce que nous ont seriné les philosophes des Lumières ou toute la philosophie allemande, les évangiles sont le livre le e plus réaliste jamais écrit sur les impasses anthropologiques de l’humanité et les moyens d’en sortir. Vous n’avez pas besoin d’être croyant pour voir le lien entre l’évangile et la naissance du capitalisme. A une société où les fortunes se constituent largement par le pillage, la thésaurisation et les dépenses somptuaires, le Christ explique le bon usage de l’argent: il doit circuler, être redistribué, volontairement, par l’individu, pour fructifier. L’épargne et l’investissement sont des enfants du christianisme. Les historiens ont bien identifié la naissance du capitalisme dans les monastères cisterciens ainsi que dans les réseaux bancaires d’Italie du Nord aux Xè-XIè siècles. Ce que Max Weber a identifié pour les patrons calvinistes est en fait antérieur de plusieurs siècles. La force du capitalisme, c’est la frugalité personnelle de ceux qui épargnent et investissent le capital. Ce n’est pas un hasard que les mêmes villes italiennes, qui inventent la banque d’investissement, soient aussi le berceau de la démocratie urbaine, toujours au Moyen-Age. Le christianisme a aussi bouleversé la réalité du pouvoir. Jésus savait avant Lord Acton que « Tout pouvoir corrompt. Le pouvoir absolu corrompt absolument ». Mais le Christ n’est pas libertarien: il suggère de développer une autre pratique du pouvoir: exercer un pouvoir, c’est se mettre au service de la communauté. Les inventeurs du capitalisme préféraient la démocratie à la monarchie, qu’il s’agît de la démocratie urbaine italienne ou de l’élection des abbés dans les monastères. Le grand drame du néo-libéralisme, c’est qu’il est largement un néo-paganisme. Le grand travail de réforme de Margaret Thatcher, la fille d’épicier méthodiste, a été largement détourné de son sens par la génération du « jouir sans entraves ».  Ce qu’Aron nous dit, c’est que le libéralisme n’est supportable que s’il reste enraciné dans le terreau chrétien ou dans tout autre vision qui donne un sens aux communautés humaines. 

Qu'avons-nous perdu en abandonnant une forme de paternalisme, ou même de cynisme - notamment lorsque Bismarck cherche à priver le socialisme de sa raison d'être en mettant en place l'assurance sociale - qui prenait alors en compte cette réalité des conditions de vie de la population ? 

Bismarck est un luthérien, jusqu’à la moelle. Il lit la Bible tous les soirs. Disraëli est bien moins religieux que Bismarck mais il est imprégné de l’éthique de la société victorienne. Notre difficulté, aujourd’hui, à inverser la dynamique du néo-libéralisme, c’est que ses adversaires ne sont pas animés par une grande vision de l’homme et de la société: C’est aussi la raison pour laquelle nous sommes désemparés aussi bien par l’islamisme - nous n’avons plus idée de la manière dont une croyance peut porter les individus au point de les pousser au sacrifice d’eux-mêmes - que par le patriotisme des Israëliens ou des Russes. Au fond, Macron s’est lancé en politique pour sauver le monde issu du néo-libéralisme. Est-il lui-même animé par une croyance qui le dépasse? On a pudiquement jeté le voile sur les exaltations de fin de meeting politique, constatées à quelques reprises. Elles faisaient plus peser à un gourou qu’à un aspirant-président. On ne peut qu’être frappé par l’idéalisme européen dont fait preuve le président dans beaucoup de ses discours. Mais le côté gourou New Age ou père de l’Europe ne nous mettent pas sur la piste d’une vision d’intégration de la société française. A suivre.

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