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L’adoption est-elle un champ social où la lutte contre les discriminations peut devenir un objectif de rang 1 ?
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Trouver des parents à un enfant ou un enfant à des parents ?

Jugées discriminant et stigmatisant, les propos d’une responsable de Seine-Maritime au sujet de l’adoption par les couples homosexuels ont provoqué une vaste polémique.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : En raison de leur caractère jugé discriminant et stigmatisant les propos d’une responsable de Seine-Maritime au sujet de l’adoption par les couples homosexuels ont provoqué un tollé.  Faisant allusion au fait que les couples homosexuels refusent d’adopter des enfants difficiles celle-ci a déclaré que « quand on est atypique par rapport à la norme biologique et sociale  on doit pouvoir supporter des enfants atypiques ». À quoi elle a ajouté : « Ce n’est pas aux parents d’avoir un droit à l’enfant mais à l’enfant d’avoir droit à des parents ».  Au-delà de cet incident la question de la discrimination ne tend-t-elle pas à devenir aujourd’hui une obsession ? Dans le cas de l’adoption pourquoi le droit à l’enfant devrait-il l’emporter sur le droit à des parents ?

Bertrand Vergely. Bien évidemment en rappelant que les couples homosexuels sont atypiques cette responsable s’est mise dans son tort. À l’heure où le discours officiel de la société et des medias repose tout entier sur deux formules à savoir 1 « zéro discrimination » et 2. « pas de dérapage », rappeler que les homosexuels sont atypiques revient à franchir la ligne jaune en bravant l’interdit. D’où le tollé contre cette responsable. Cela dit, cet incident fait ressortir un problème de fond.

Quand Lionel Jospin, ancien premier ministre socialiste,  a mis en place le PACS, celui-ci s’est prononcé contre le mariage homosexuel et contre l’adoption par les couples homosexuels en expliquant que l’humanité ne se divisait pas entre homos et hétéros mais entre hommes et femmes et qu’il existait non pas un droit de l’enfant mais un droit à l’enfant. Lionel Jospin était alors d’accord avec l’idée que le couple homme-femme est le couple fondateur de l’humanité et de la société et que la famille se fonde de ce fait sur un père et une mère. Propos repris à cette époque par Elisabeth Guigou, ancienne garde des sceaux, elle aussi socialiste, à l’Assemblée Nationale. Dans cette perspective, était reconnu à l’enfant le droit d’avoir pour parents un père et une mère en n’étant pas privé de fait de père et de père. D’où, à l’époque, le refus d’accorder l’adoption d’un enfant à une femme seule, un homme seul ou bien encore un couple homosexuel. Pour un enfant, ne pas être orphelin de père ou de ère apparaissait comme légitime.  Les choses ont changé.

Aujourd’hui plus personne ne parle du droit de l’enfant. En revanche il est devenu normal de parler du droit à l’enfant. Et l’adoption d’un enfant par une femme seule, un homme seul ou un couple homosexuel n’est plus vécue comme suppression pour un enfant de son père ou de sa mère. Pour satisfaire le désir d’enfant chez l’adulte le droit à l’enfant à évincé le droit de l’enfant.

Si cette substitution ne choque plus personne ce n’est pas le cas de la responsable de Seine Maritime. D’où ses propos. Il faut imaginer la scène. Un couple homosexuel vient la voir en désirant adopter un enfant. Celle-ci propose à ce couple différents types d’enfants dont des enfants difficiles. Le couple se récrie. « Un enfant difficile. Surtout pas ». La discussion s’engage. « Pourquoi pas ? Pourquoi l’enfant difficile est-il réservé aux couples hétéros ? ». Le ton monte. La responsable s’emporte. Le couple aussi. Pour se justifier il invoque le droit. Les homosexuels ont désormais des droits. Ils sont des couples comme les autres. Il faut les respecter comme tels. On n’a pas à leur attribuer les efants dont on veut pas. Énervement de la responsable qui finit par lâcher : « Et l’enfant ? Vous ne croyez pas qu’il a des droits lui aussi, notamment le droit d’avoir des parents ? ». Propos destiné à faire taire. Propos néanmoins blessant en rappelant que les couples homosexuels ne sont pas des couples comme les autres. Propos révélateur d’un problème de fond.

     En 2013, quand il a voté le mariage pour tous avec adoption, le législateur a pensé qu’il était possible d’établir une équivalence entre tous les couples, homos et hétéros. Il n’a pas voulu entendre ceux et celles qui expliquaient que ce n’est pas possible. L’heure était alors au rêve. Égalité. Égalité, calmait-on. Un monde d’égalité, ici, maintenant, tout de suite. Et pour y parvenir, à défaut de pouvoir le faire par l’économie, le faire par les mœurs en obligeant les mentalités à changer grâce au mariage gay. Ce que révèle l’incident qui s’est produit en Seine Maritime c’est que ce n’est pas si simple.

Quand il a voté le mariage gay le législateur n’a pas vu une chose. Il n’a pas vu la question de l’enfant. On ne plaisante pas avec l’enfant. Or, on est en train de plaisanter avec lui. Un enfant a besoin d’un père et d’une mère. Ce rappel n’est pas pris au sérieux. Idéologie familialiste, est-il dit. Papa, maman, bébé. Un modèle d’un autre âge qui nous amène droit à Vichy et au pétainisme. Travail. Famille. Patrie. Amalgame facile. Famille fondée sur le père et la mère = familialisme. Familialisme = pétainisme. À bas la réaction. Le fascisme ne passera pas. Tant pis. Vous n’avez pas voulu entendre quand on vous disait casse cou. Ne jouez pas avec la famille. Ne jouez pas avec l’enfant. Vous ne voulez toujours pas entendre quand on vous le dit. L’enfant sera la croix du mariage pour tous. Les choses ne font que commencer. On n’a pas fini d’en parler.

Les minorités  ethniques, religieuses ou sexuelles qui entendent se faire reconnaître ne sont-elles pas en train d’abuser de la notion de droit ? 

Oui et elles ne sont pas les seules. En Janvier dernier Le Parisien a sorti son édition du matin avec en une un article sur la génération C’est mon droit. C’est une professeur d’histoire Barbara Lefebvre qui a signalé ce problème à travers un livre Génération « J’ai le droit ». Bergson a fait cette remarque : « La démocratie est née du projet de protéger les individus. Elle périra à cause de l’égoïsme des individus ». Nous y sommes. C’est exactement ce qui se passe. Les droits de l’homme ont donné le mauvais exemple en parlant des droits et jamais des devoirs de l’homme. Résultat, les droits de l’homme qui ont comme vocation de protéger les hommes contre la violence par le droit finissent par légitimer la violence des minorités au nom du droit. Racine au XVIIème siècle a vu qu’avec la société bourgeoise allait apparaître un monde de plaideurs faisant des procès à tout bout de champ  afin de faire valoir leurs droits. Ce monde nous y sommes. 

Sur quoi s’est appuyé le mariage pour tous ? Sur le droit. Vive le mariage comme contrat. Vive le mariage comme droit. Vive le mariage bourgeois reposant sur le contrat et le droit, a-t-il été dit, afin de parvenir à l’égalité en matière de couples. On a le droit de s’aimer. Donc, on a le droit e se marier, le droit d’avoir des enfants, le droit d’être une famille comme une autre. Le mariage pour tous s’est servi du droit pour gommer les différences. Jeu dangereux. Le mariage n’est pas qu’un contrat. Il ne doit pas l’être, souligne Hegel dans ses Principes de la philosophie du Droit. Le droit n’a pas à se mêler de tout et à tout réguler. Quand tel est le cas on est dans la violence et non dans le droit. Que l’on sache, un couple c’est tout de même autre chose qu’un contrat !

À chaque fois que l’on a affaire à des phénomènes de discrimination réels ou vécus comme tels ces minorités réclament une réponse immédiate des pouvoirs publics. Une telle pratique n’est-elle pas en train de modifier complètement les relations sociales, leur construction ainsi que le champ des valeurs ?

Oui. Et cela va dans le même sens que ce qui vient d’être dit. Tout comme le droit a tendance à se mêler de tout l’État a tendance, lui aussi, à se mêler de tout. Si bien qu’il sort de son rôle. C’est aux hommes de régler les affaires des hommes. C’est à la société de régler les affaires de la société. Ce n’est pas à l’État entendu comme administration.

Tocqueville pensait que la démocratie n’est pas le contraire de la tyrannie mais sa version douce et voyait dans l’État l’expression de cette tyrannie. Je vois disait-il une foule d’homme affairés et tenus par des désirs médiocres avec au-dessus d’elle un État s’occupant de tout par plaisir de s’occuper de tout mais aussi parce que la foule le lui demande. Je vois, disait-il, une foule haletante réclamant d’être prise en charge et un État se faisant un plaisir de venir la prendre en charge. Nous y sommes, l’heure étant à l’État nounou. Dans cette relation infantile qui est en train de s’établir entre l’État et la société un phénomène est particulièrement inquiétant, en l’occurrence la surveillance des pensées et des consciences à travers la surveillance des mots, des phrases et des discours. Une responsable de Seine Maritime tient des propos jugés discriminants. Cela devient un drame national. Sous prétexte de prévenir le racisme et l’exclusion on bascule peu à peu dans un totalitarisme soft. Il faut lutter contre le racisme, est-il dit. Et pour cela il faut dénoncer les dérapages. Pas de dérapage. Certes. Et c’est cela qui est inquiétant. Comme on ne peut rien rétorquer à ce type d’argument - on ne va tout de même pas justifier les dérapages – une police de la pensée et du langage est tranquillement en train de se mettre en place via des observatoires de la démocratie et des discriminations et des scènes de lapidation médiatique pour les contrevenants au nouvel ordre mental.

Ces minorités ne sont-elles pas en train d’envahir la majorité  en imposant leurs  comportements et en dictant ainsi ce que doit être le droit ?

Une chose m’a frappé dernièrement : le fait que sans rien demander à personne l’administration a remplacé le mot sexe par le mot genre et les termes père et mère par parent 1 et parent 2. La théorie du genre n’est qu’une théorie. Elle est si peu une théorie constituée que l’on parle même à son sujet de théories au pluriel et non plus de théorie au singulier. Or, que voit-on ? Cette théorie est aujourd’hui admise et devient la norme. De quel droit ? De quel droit impose-t-on l’idée selon laquelle le sexe n’est qu’une construction culturelle ? De quel droit m’impose-t-on l’idée comme quoi je ne suis pas de sexe masculin mais du genre masculin ? À la rentrée la théorie du genre va être enseignée au lycée, j’imagine au cours de science naturelle. Il s’agit là d’un changement majeur. L’humanité s’est toujours pensée à travers la notion de sexe. Aujourd’hui, on lui impose de se penser à travers la notion de genre. De quel droit ? Il y a une réponse à cela. Le transgenre est en train de prendre le pouvoir et d’imposer sa vision du monde en pratiquant un déni total de démocratie. Ce qui est stupéfiant. On vole à l’humanité le fait d’être une humanité sexuée. On l’oblige à se penser comme une humanité genrée. On impose à tout le monde l’idéologie du transgenre en s’immiscant dans la partie la plus intime d’elle-même qui est son sexe. Et personne ne dit rien. On veut un exemple de minorité s’emparant de la majorité afin de lui dicter ses normes et d’établir le droit. On en a là une démonstration magistrale.

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