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Schengen, un échec ? Un faux débat pour de vraies questions sur l'élargissement de l'UE
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Sans frontières ?

Le ministre de l'Intérieur s'est rendu jeudi à Luxembourg pour plaider une réforme de Schengen. A savoir la possibilité pour un pays de rétablir unilatéralement les contrôles à ses frontières pendant trente jours en cas de flux migratoire important et incontrôlé. Une position française non iconoclaste, qui ne doit toutefois pas laisser entendre que Schengen serait responsable de tous les maux européens.

Henri  Labayle

Henri Labayle

Henri Labayle est professeur agrégé des Facultés de droit françaises, en poste à la Faculté de Bayonne à l’Université de Pau.

il dirige le CDRE, laboratoire de recherches spécialisé en matière européenne et notamment en matière de droits fondamentaux, d’immigration et de sécurité intérieure.

Il est également membre du réseau Odysseus et directeur du GDR "Droit de l'Espace de liberté, sécurité, justice"

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Point trop n’en faut. L’instrumentalisation de Schengen dans le débat électoral français doit-elle d’être prise au sérieux ? Faut-il n’y voir qu’un clin d’œil appuyé aux souverainistes, pour ce qui est du procès en sorcellerie européenne, et à l’extrême droite, pour celui fait à l’immigration irrégulière ? Et quand bien même ce serait le cas, cette réussite de la construction européenne est-elle entièrement exempte de critiques ?

Schengen, c’est la disparition des contrôles aux frontières intérieures séparant les États membres de l’Union et leur report harmonisé aux frontières extérieures les séparant d’un État tiers. Conçu à l’époque du rideau de fer, entre cinq États homogènes (la France, la RFA, et les trois États du Benelux), ce « laboratoire » n’envisageait ni la dislocation de la frontière orientale de l’Europe ni la formidable pression migratoire caractérisant aujourd’hui la planète. Est-il iconoclaste d’avancer que, vingt ans plus tard, ce dispositif souffre de difficultés sérieuses ? Bien sûr que non. Est-il sérieux de prétendre qu’il est la source de tous les maux ? Pas davantage.

Construit par et pour des États, Schengen est l’objet d’une polémique curieuse, à front renversé. Ses concepteurs le décrivent comme l’hydre d’une technocratie européenne qu’ils ont pourtant mise soigneusement à l’écart. La Commission dénonce vigoureusement sa mise en cause, oubliant qu’elle l’a longtemps combattu, parce qu’il était géré de manière concurrente par les États membres …

Briser le thermomètre n’a jamais fait baisser la fièvre et Schengen n’est qu’un instrument. Ses auteurs l’imaginèrent parce qu’ils leur devenait techniquement de plus en plus difficile d’assurer l’imperméabilité de leurs frontières. Établir des listes communes de pays soumis à visas, harmoniser les documents et procédures de franchissement des frontières, responsabiliser les transporteurs furent les réponses qu’ils gravèrent dans la convention d’application de Schengen en 1990. S’il fut accompagné d’une vigilance soupçonneuse, l’utilité de ce rapprochement ne fut discuté ni à droite, ni à gauche, de Robert Pandraud à Élisabeth Guigou… Du blocage français de Schengen en réaction au « narco-Etat » qu’étaient les Pays Bas jusqu’aux polémiques liées à la clause de sauvegarde ou à la menace, déjà, d’en sortir lors de la vague d’attentats terroristes de 1995, la méfiance fut de règle.

Le problème est ailleurs. Il touche au tabou de l’élargissement de l’Union européenne. Le dispositif Schengen était cohérent en 1991, entre États contigus et dotés d’une culture administrative et policière identique, partageant les mêmes aspirations et niveaux sécuritaires. Mettre en doute cette homogénéité dans une Europe à 27 n’est faire injure à personne mais rend compte simplement de la réalité. En 1985, Schengen n’avait quasiment pas de frontière terrestre avec l’extérieur, le rideau de fer étant infranchissable. Aujourd’hui, à l’Est, plusieurs milliers de kilomètres la composent. En 1985, nul n’imaginait la défaillance d’un partenaire. Aujourd’hui, elle est patente à propos de la Grèce, la majeure partie de l’immigration irrégulière européenne ayant transité par son territoire. La crise du printemps arabe n’a pas davantage donné le beau rôle à l’Italie, sans réaction particulière de l’Union.

Aussi, la semaine dernière, lorsqu’une lettre conjointe du ministre allemand et du ministre français de l’Intérieur à la Présidence danoise de l’UE évoque le besoin d’un « mécanisme de compensation » en cas de défaillance d’un État Schengen, elle traite d’un vide juridique autant qu’elle exprime la vision commune des deux États. Rien n’a été prévu dans Schengen pour y faire face et l’inertie de la Commission dans les cas précités démontre que les procédures ordinaires du traité n’ont pas été plus efficaces.

Là est la question, le reste n’est que littérature ou polémique politicienne. Y compris dans la menace d’un rétablissement unilatéral permanent des contrôles aux frontières, évidemment contraire aux traités. Il demeure d’ailleurs à prouver qu’il serait matériellement possible.

Est en jeu la crédibilité d’un projet migratoire et sécuritaire européen où il faudra bien, un jour, mettre les discours en phase avec les actes. Comment réclamer dans le même temps à la Grèce les restrictions que l’on sait en matière de services publics et imaginer qu’elle puisse respecter ses obligations de surveillance des frontières ? Comment accuser Schengen de tous les maux, quand la responsabilité individuelle de chaque État membre devrait être mise en question ? Comment critiquer impunément ces « technocrates européens » qui ont bon dos en oubliant que la responsabilité de Schengen a été confiée aux préfets qui nous gouvernent ?

Jusqu’à quand faire semblant d’ignorer que, politiquement, pour une bonne part des États membres, la question migratoire n’en est pas vraiment une. Pourquoi seulement une soixantaine de demandes d’asile en Estonie en 2011 pour plus de 56 000 en France et moins de 500 décisions positives en Pologne quand la Suède en accorde près de 9 000 la même année ? Y répondre est comprendre que les mots des traités, « solidarité », « partage », « équitable » ont encore un sens à trouver dans l’Union.

Alors, crise de croissance ou crise de confiance ? Le mimétisme de la crise de Schengen avec celle qui nous affecte en matière budgétaire et financière incline à pencher pour la seconde. Les mêmes causes ne produisent-elles pas les mêmes effets ?

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